Ile Maurice: Va-t-on trouver des squelettes dans le placard du Trésor public ?

20 Novembre 2024

Quand, à quatre jours des élections générales, l'ancien ministre des Finances sortait de son mutisme proverbial pour affirmer que le pays connaît un boom économique, les observateurs économiques et les journalistes étaient dubitatifs.

Loin des feux des projecteurs pendant toute la campagne électorale, étrangement absent lors des rassemblements politiques et boudant les talk-shows, Renganaden Padayachy annonçait triomphalement que quatre ans et demi après la pandémie, l'économie mauricienne est dans un cycle vertueux, que la croissance du PIB réel tournerait autour de 6,5 % pour cette année, un taux nettement supérieur aux 4,9 % anticipés par le Fonds monétaire international (FMI), et que d'ici à juin 2025, le PIB en termes nominaux atteindrait la barre des Rs 800 milliards.

Si le pays était dans un tel état de prospérité, alors pourquoi n'en avoir pas fait un thème central de la campagne électorale ? Dans tous les cas, le timing choisi par Renganaden Padayachy pour sortir de son chapeau le slogan du «boom économique» n'était pas très inspiré. Le sentiment général, c'était que la panique gagnait les rangs du précédent régime et que l'ex-Grand argentier voulait, avec ce coup d'éclat, pour ne pas dire ce coup de bluff, convaincre la population de la bonne gestion de l'économie.

Comme on le sait, ce mauvais exercice de relations publiques s'est soldé par un échec. Et aujourd'hui, c'est toute la stratégie de développement socio-économique de l'ancien gouvernement qui est remise en question.

Décidé à mettre bon ordre dans les finances publiques et à redynamiser l'économie, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, n'a pas tardé à enclencher les grandes manoeuvres. C'est ainsi que dès vendredi, il a sommé Harvesh Seegolam de quitter la BoM Tower et a procédé à la nomination de Rama Sithanen comme Gouverneur de la Banque de Maurice. Une annonce qui a rassuré les opérateurs. Connu comme étant l'architecte de la création de l'offshore dans les années 90, Rama Sithanen revient sur le devant de la scène avec un mandat clair : restaurer la confiance dans la Banque centrale, qui a perdu son indépendance en raison des ingérences du Trésor public dans ses affaires courantes, stopper la dépréciation accélérée de la roupie (près de 27 % en cinq ans), s'attaquer à la problématique de pénurie de devises, produire des rapports économiques et évaluer la pertinence des investissements de la Mauritius Investment Corporation (MIC).

S'étant tout de suite mis au travail, Rama Sithanen veut prendre son temps pour repasser tous les dossiers en revue. Pendant ce temps, le Premier ministre a constitué une équipe qui est chargée d'effectuer un audit des finances publiques et de faire un état des lieux de l'économie. Lors du meeting de remerciement de l'Alliance du Changement, Navin Ramgoolam n'a pas manqué de tirer à boulets rouges sur le tandem Jugnauth-Padayachy en l'accusant d'avoir manipulé les chiffres sur les indicateurs macroéconomiques pour projeter l'image d'une économie dynamique. Mais l'on serait très loin de cette image mirifique qu'on nous a dépeinte. Va-t-on découvrir des squelettes dans le placard ?

On ne va pas s'avancer sur ce terrain trop vite avant d'avoir pris connaissance du rapport économique que les gouvernants du jour nous promettent. Toutefois, il est vrai qu'il y a eu une forme de manipulation des chiffres concernant la valeur réelle du PIB sous l'ancienne administration. Ainsi, sous la pression du ministère des Finances, Statistics Mauritius a, ces dernières années, commencé à comptabiliser les revenus générés par les Global business companies comme des revenus domestiques. Cette reclassification a eu pour effet qu'en 2023, Rs 91 milliards de revenus des sociétés offshore sont venues grossir le PIB national. Pour 2024, il est estimé que les revenus étrangers de Rs 108 milliards provenant des sociétés offshore seront ajoutées au PIB.

Cette méthode peu orthodoxe de calcul du PIB, dont la validité pourrait être remise en question par le FMI, donne, par ailleurs, une image biaisée du taux réel de la dette publique. Car si, par exemple, on calcule la dette publique à partir d'un PIB réel de Rs 645 milliards (en excluant les Rs 91 milliards sur les revenus offshore), l'on se retrouve avec un taux d'environ 87 % au lieu de 76 % quand le calcul se fait sur Rs 734 milliards (en incluant les revenus offshore).

Quand on parle de dette publique, on marche, par ailleurs, sur des oeufs. Il y a tout un débat sur le fait de comptabiliser, ou pas, les fonds communs de créances (Special purpose vehicles - (SPV) dans le calcul de la dette publique. Ces dix dernières années, l'ancien gouvernement a eu recours à ce type de montage financier pour investir dans le Metro Express et la MIC, entre autres. Bien que les risques et engagements pris par l'État dans le cadre de ces projets soient réels, les SPV sont classifiés comme des dépenses extrabudgétaires. Ainsi, dans les chiffres officiels, l'on a une vision incomplète de la dette publique.

Ayant reçu un mandat fort de la population, le gouvernement a le devoir de parler un langage de vérité et, à partir de son exercice d'évaluation, de baliser les contours de son programme socio-économique.

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