Dimanche dernier, lors du meeting de remerciement à Port-Louis, le nouveau Premier ministre, Navin Ramgoolam, a révélé comment «tous les chiffres du ministre des Finances sont faussés» pour donner l'image d'un pays où la vie est en rose. Il souhaite faire la lumière sur l'étendue de cette manipulation à travers une équipe qui se livre actuellement à un état des lieux économique à être rendu public prochainement.
Sans doute, la déclaration du Premier ministre n'étonne guère les économistes et les spécialistes de la finance, qui ont plus d'une fois commenté les statistiques largement décrédibilisées de Statistics Mauritius (SM), une institution supposément indépendante mais qui avait été confrontée à l'ingérence ministérielle du gouvernement précédent. Qui n'a pas oublié la démission de Gilbert Gnany de la présidence de SM en juillet 2021, suivant des pressions pour manipuler la projection de croissance de cette année-là, passant de 3,5 % à 4,4 % pour terminer à 5,4 % ?
Plus récemment, les économistes Sushil Khushiram, Eric Ng, Rajeev Hasnah et Kugan Parapen ont dénoncé, chacun à sa façon, le chiffre faussé du PIB. Estimé par l'ex-ministre Padayachy à Rs 571,1 milliards pour 2024 dans sa dernière interview à l'express, il est loin de refléter la réalité. Il faudra en retirer, selon les experts, au moins Rs 100 milliards, soit le montant moyen provenant des revenus du Global Business qui s'additionne au PIB depuis presque deux ans pour le grossir artificiellement alors qu'il ne devrait pas être pris compte dans son calcul. Du coup, le ratio de la dette publique qui passera à 71,1% du PIB en juin 2025, sera de facto faussé.
L'ex-ministre des Finances n'a pas pour le moment réagi aux critiques du nouveau gouvernement sur sa gestion, qualifiée par des experts de «calamiteuse» et qui aurait plongé le pays dans le précipice avec un troisième mandat pour Pravind Jugnauth. Ce, alors même que le Premier ministre et leader de l'Alliance du changement prévoit le pire avec des squelettes dans les placards après cet exercice de dépoussiérage.
L'annonce par Navin Ramgoolam des statistiques faussées et du maquillage des chiffres ne devrait pas laisser insensibles les institutions internationales et les agences de notation, qui s'appuient sur les chiffres de SM pour rédiger leur rapport. «His comments could cause unease among foreign investors and international lending institutions», rapporte à cet effet l'agence de presse Reuters le 18 novembre.
En attendant, c'est le grand déballage sur les réseaux sociaux. Avec notamment des révélations sur des dossiers qui sont balancés sur des casseroles que traîneraient l'ancien régime sur des scandales financiers impliquant certaines banques et certaines institutions financières. Dans cette masse d'informations, il faudra sans doute faire le tri et séparer de simples allégations de certaines vérités auxquelles certains, libérés d'un climat de frayeur quasi permanent depuis cinq ans, souhaitent aujourd'hui faire éclater au grand jour.
Confiance
À la Banque de Maurice (BoM) comme à la Mauritius Investment Corporation (MIC), le nouveau gouverneur, Rama Sithanen, s'est déjà mis au travail pour réaliser dans l'immédiat un double objectif : arrêter la dépréciation accélérée de la roupie depuis 2020 et régler la pénurie de devises étrangères. Pour cela, il n'y a pas mille solutions : il faudra redonner confiance à l'institution et à la roupie. D'ores et déjà, la roupie, qui s'est encore dépréciée après les élections pour passer à Rs 47, voire Rs 48 le dollar, semble se stabiliser autour de Rs 46, ce que le patron de la BOM Tower juge comme un bon signe. Il veut rompre avec une politique suivie par le ministre des Finances sortant basée sur l'illusion monétaire et caractérisée par une consommation élevée, qui elle-même entraîne une hausse de l'importation, financée d'ailleurs par une roupie dépréciée.
Résultat des courses : une augmentation du coût de la vie de la population qu'il faudra impérativement faire baisser. «Nous avons un mandat pour régler la cherté de la vie. Nous nous engageons à le faire conformément à notre manifeste électoral.» Rama Sithanen compte parallèlement poursuivre les consultations avec les stakeholders pour les écouter et comprendre leurs inquiétudes de la politique monétaire conduite jusqu'ici. « Je compte gouverner dans le dialogue en écoutant tout le monde. J'ai prévu des rencontres avec les économistes et les experts financiers prochainement», dit-il.
La MIC et ses largesses en termes de prêts décaissés à certains, connus comme proches de l'ancien pouvoir, passent actuellement sous la loupe de la nouvelle direction. Ce, à un moment où une liste de bénéficiaires circule sur les réseaux, celle-là même qui figure dans le rapport annuel de la société. On y trouve tout : des grosses pointures de l'hôtellerie aux gros conglomérats du pays en passant par les opérateurs du textile, de la construction et d'autres qui ne satisfont pas les critères initiaux d'éligibilité. Il faut s'attendre à ce que les membres de son board, qui sont tous démissionnaires, soient questionnés dans les jours à venir. Suraj Bissessur, le CEO sortant, qui cherche à réintégrer, nous dit-on, son ancien poste à la BoM, devra d'abord passer à la grille et répondre aux interrogations du gouverneur sur les conditions des prêts et l'identité des bénéficiaires.
Toutes les options sont à l'étude pour éclairer le nouveau gouvernement sur la gestion de cette filiale de la BOM, dont le choix d'un Big Four. Rien ne sera laissé au hasard, nous dit-on. Est-ce que la raison-d'être de la MIC comme une agence de financement, sous le contrôle de la banque centrale sera remise en cause telle que réclamée par plusieurs institutions internationales comme le FMI ? On le saura sous peu.
Entre-temps, tous les regards sont braqués sur l'identité du nouveau ministre des Finances, qui aura la lourde tâche de poursuivre les enquêtes sur l'héritage économique, la rédaction du rapport et éventuellement sa présentation. Ce qui permettra de connaître sa marge de manoeuvre avant d'annoncer les mesures dites symboliques et populistes.