La quasi-majorité au Parlement pourrait bien être le levier pour redessiner les contours de notre République. La refonte de la Constitution, devenue une nécessité criante, ne saurait plus attendre. Elle porte l'espoir d'un peuple, mais aussi les résistances opiniâtres de ceux qui s'accrochent aux reliques d'un passé qui a fait son temps.
Depuis plus de cinq décennies, la Constitution mauricienne demeure l'écho lointain d'un décret colonial, le Mauritius Independence Order du 4 mars 1968. Un texte imposé plus qu'adopté, figé dans l'histoire sans que le souffle vivant de la démocratie participative ne l'ait traversé. Que représente cette Constitution pour le peuple mauricien aujourd'hui? Une façade de modernité derrière laquelle se cache une mécanique encore coloniale, incapable de refléter la diversité et les aspirations d'un peuple arc-en-ciel.
Le professeur Jacques Colom, dont les travaux sur le constitutionnalisme dans l'océan Indien sont aujourd'hui une référence, nous exprimait une inquiétude fondée : «Une Constitution qui ne reflète pas les valeurs d'une nation est condamnée à l'immobilisme ou, pire, à devenir l'instrument d'une élite politique déconnectée du quotidien des citoyens.» Et Maurice n'est pas en reste. L'ombre portée de cette élaboration non démocratique est visible dans la fragilité de nos contre-pouvoirs, la dépendance à des organes hérités d'un autre temps, et l'absence de véritables garde-fous démocratiques.
***L'instauration d'une 2e République ne doit pas être qu'une question de symboles. Elle doit porter en elle une refondation complète, à commencer par un préambule véritablement mauricien. Nos Articles 1 et 3, austères et formels, ne suffisent plus. Ce préambule devrait proclamer avec force les droits fondamentaux adaptés à nos réalités : un peuple uni dans sa diversité, une justice accessible à tous, et une protection accrue des droits culturels, linguistiques, et environnementaux.
L'île doit puiser dans ses racines, mais aussi s'inspirer des meilleures pratiques internationales. La Charte de l'environnement française, adoptée en 2004, nous offre un modèle précieux : elle inscrit dans la loi les principes de précaution et de développement durable. Maurice, avec ses lagons fragiles et sa biodiversité unique, pourrait devenir un exemple mondial en matière de protection environnementale constitutionnelle.
Une réforme ambitieuse ne saurait ignorer le Best Loser System, vestige d'un communalisme institutionnalisé. Ce système, tout en prétendant protéger les minorités, a souvent entravé l'émergence d'une véritable citoyenneté mauricienne. Il est temps de tourner la page et de garantir à chaque citoyen des chances égales, indépendamment de ses origines ethniques ou religieuses.
Dans la même veine, le cumul des fonctions de ministre et de député devrait être aboli. Cela permettrait de renforcer le rôle des backbenchers, ces députés qui devraient être les gardiens des intérêts du peuple face à l'exécutif. Un Parlement robuste, doté de moyens accrus, serait le pilier d'une démocratie revivifiée.
La démocratie ne peut prospérer sans des contre-pouvoirs forts et indépendants. La presse, les syndicats, les universités et le barreau doivent être libérés de toute pression politique. La création d'organes indépendants, comme une Haute Autorité pour la transparence et la lutte contre la corruption, garantirait que les intérêts du peuple passent avant ceux des individus ou des partis.
Maurice est à la croisée des chemins. Nous pouvons choisir de nous recroqueviller dans nos clivages, ou de marcher ensemble vers un avenir républicain, où chaque voix compte, où chaque vie importe. Le rêve d'une 2e République ne doit pas être celui d'une élite, mais celui d'un peuple entier. Dans le ressac de nos hésitations, il y a, dit-on, toujours une vague plus forte, porteuse d'espoir.