Burkina Faso: Transformation du manioc à Dédougou - Un modèle d'entrepreneuriat féminin résilient face à l'insécurité

21 Novembre 2024

Implanté au secteur 3 de Dédougou, en plein coeur de la ville, « Burkina Journalier » est une coopérative de femmes qui excelle dans la transformation du manioc. Plus d'une dizaine de produits sont fabriqués à base de ce tubercule, procurant ainsi des revenus aux membres mais aussi à des Personnes déplacées internes (PDI) qui y travaillent permanemment ou temporairement.

Samedi 2 novembre 2024, il est 7 heures 30 minutes à Dédougou. Au secteur 3 de la ville, dans une cour, des jeunes et des femmes en cette matinée sont à la tâche. Les uns, couteaux et autres matériels en main, épluchent et découpent le manioc, lavent les morceaux découpés avant de les passer au moulin pour le broyage. Nous sommes à l'unité de transformation du manioc de la coopérative « Burkina journalier ».

Elle compte 25 membres, dont seulement quatre hommes. « Nous avons commencé

principalement par la fabrication de l'atiéké à base de manioc et autres produits dérivés. Avec le temps, nous avons associé la transformation du maïs, du riz mais aussi des produits forestiers non ligneux », raconte la présidente de la coopérative Christine Yaméogo. A partir du manioc uniquement, Mme Yaméogo et ses collaboratrices, créent une dizaine de produits tels que les biscuits, la farine infantile, les gâteaux, du jus, du vin et de la liqueur.

« Ces produits sont consommés par des clients sur place dans la Boucle du Mouhoun, mais aussi à l'intérieur du pays. D'autres produits sont vendus au-delà des frontières du Burkina, notamment en Côte d'Ivoire, au Niger, au Benin et au Sénégal », soutient la présidente de « Burkina journalier ». La matière première est cultivée en grande partie dans la région de la Boucle du Mouhoun. Un réseau de plus de 120 producteurs collabore avec cette unité de transformation de manioc. Selon la présidente, le manioc provient principalement de la commune de Gossina dans la province du Nayala et des communes de Fara et Boromo dans les Balé ainsi que de Kamadéna, Safané et Bondoukuy, dans la province du Mouhoun.

Un gagne-pain pour les PDI

Cependant, regrette dame Yaméogo, l'insécurité constitue une difficulté majeure à l'accessibilité de ces différentes zones de production du tubercule pour l'approvisionnement de son unité. Tout de même, « Burkina Journalier » constitue une source de revenus pour ses membres. Son travail fait également la fierté d'hommes et de femmes surtout des Personnes déplacés internes (PDI) qui y gagnent leur pitance quotidienne. Catherine Nikièma, une déplacée interne ne dira pas le contraire.

Contrainte de quitter Débé, son village (commune de Dî), à cause de l'insécurité, elle se retrouve à Dédougou avec sa famille. Là, nourrir ses enfants constitue la croix et la bannière. Elle se lance dans les petits travaux domestiques et intervient à « Burkina Journalier » comme temporaire. « Quand on m'appelait pour éplucher le manioc, je pouvais avoir plus de 3 000 F CFA par jour », se rappelle-t-elle. Sa détermination finit par payer. Elle est repérée parmi tant d'autres dans l'exécution des tâches qu'on lui confie.

Aujourd'hui, elle a intégré l'équipe permanente. « Avec mes revenus, je parviens à prendre soin de mes enfants. J'apprends, en outre, un métier qui pourra me servir une fois de retour chez moi », se réjouit la déplacée interne de Débé. Romaric Nikièma un autre déplacé venu de Dî, a vécu des débuts difficiles à Dédougou. « Nous sommes rentrés ici sans rien emporter avec nous. Nous n'avions pas non plus d'occupation qui puisse nous procurer de l'argent », se souvient-il.

Et d'indiquer que depuis qu'il a eu du travail à « Burkina Journalier », il arrive à subvenir à ses besoins. En plus, le jeune Nikièma est fier d'apprendre un métier qui pourra lui être utile à l'avenir. « Je pourrais un jour, mettre sur pied ma propre entreprise de transformation », voeu de M. Nikièma. Contrairement aux deux, Omar Romaric Coulibaly est en stage pour deux mois. Après un baccalauréat en agroalimentaire au lycée professionnel Nazi-Boni de Dédougou, il s'inscrit dans la filière agrobusiness à l'université. « J'ai des difficultés, donc je ne pouvais pas continuer les études », dit-il. Ce qui l'intéresse le plus à « Burkina journalier », c'est surtout la maîtrise de la transformation du manioc. Son objectif à terme est de créer sa propre unité.

La préservation de l'environnement, un souci

Dans le processus de transformation de ces produits agroalimentaires à « Burkina Journalier », aucun déchet n'est jeté. Tout est utile et se transforme. Les eaux usées, les résidus, les peaux de manioc et autres saletés sont utilisés dans la fabrication de compost prisé par les jardiniers. « Nous utilisons une quantité importante d'eau et de manioc. Si tous ces déchets allaient être versés dans la nature, je ne pense pas que le quartier sera vivable », justifie Christine Yaméogo, présidente de la coopérative.

A cet effet, quatre fosses ont été creusées. Et au bout de 30 à 45 jours le compost est prêt. Chaque fosse avec une quantité de quatre tricycles est monnayée à 45 000 F CFA. Issouf Sama est un client de cette fumure organique qu'il utilise pour sa production maraîchère. « Avec ce compost, nous produisons bio. Nous n'avons plus besoin d'engrais chimique », laisse-t-il entendre. L'avantage, selon lui, est que les oignons et autres légumes produits uniquement à base du compost se conservent pendant longtemps, contrairement à ceux produits avec les engrais chimiques.

Une autre innovation, et non des moindres, est la confection des pavés. Les plastiques, les sachets, les sacs usés sont fondus et servent de matière première à cet effet. Cette trouvaille ne connait pas encore d'engouement de la part des consommateurs. « Ce sont des pavés très résistants. Mais nous n'avons pas encore de clients. Peut-être que les gens ne connaissent pas encore le produit », se dit-elle.

La plaie de l'insécurité

Certains producteurs du manioc transformé par « Burkina journalier » ont fui leur localité du fait de l'insécurité. Cette situation préoccupe au plus haut point, la présidente de

la coopérative Christine Yaméogo. « S'ils ne produisent pas, il est évident que nous allons manquer de matière première », déplore-t-elle. Souhaitant que la paix revienne au Burkina Faso, son voeu est que l'Etat soit plus regardant envers ces producteurs.

« Ce sont des producteurs de plusieurs tonnes par saison. Ils contribuent à l'autosuffisance alimentaire. Nous souhaitons que l'Etat mette en place des mécanismes d'accompagnement pour ces derniers qui ont subi les conséquences du terro-risme », lance-t-elle. Quant à son entreprise, elle souffre du manque de financement et de la commande publique. « Il nous est difficile d'avoir des financements dans les banques.

Elles exigent toujours des garanties. Aussi, nous invitons les services de l'Etat à nous faire confiance, surtout dans l'approvisionnement des cantines scolaires », invite-t-elle. Et de confier que cette année scolaire, son groupement, en partenariat avec d'autres organisations, a obtenu un marché pour ravitailler des cantines scolaires en attiéké déshydraté.

« On a célébré mes funérailles à deux reprises »

La première responsable de la coopérative, Christine Yaméogo, a une histoire atypique. En Côte d'Ivoire, en 2002, lorsque la crise est survenue dans sa localité, dans la zone de San Pedro, elle a fui pour se retrouver au Libéria. Sans nouvelle d'elle, au bout de trois mois, la famille a célébré ses funérailles. Plus tard, elle resurgit. Dans la même année, dans le cadre de l'« Opération Bayiri », lorsqu'elle décide de rentrer au Burkina Faso avec sa famille, un car dans le convoi a fait un accident grave avec de nombreuses victimes.

L'information faisant cas de son décès a été rapportée à Koudougou, sa localité d'origine. Là encore, une messe a été demandée en sa mémoire. Coup de chance, elle ne se trouvait pas dans le car accidenté. Christine Yaméogo arrive enfin à Koudougou. Sur place, rien ne va. En 2006, elle abandonne ses enfants pour Dédougou. « J'ai commencé par le nettoyage. Petit à petit, des services m'ont cooptée. Et on m'appelait Mme journalier », se souvient-elle. Mme Yaméogo avait sa vision des choses : réussir pour prendre en charge sa famille. « Je ne triais pas de travail.

J'ai même creusé des fosses pour l'ONEA (ndlr, Office national de l'eau et de l'assainissement). Je voulais ouvrir ma propre unité agroalimentaire puisque j'ai été formée dans le domaine en Côte d'Ivoire », dit-elle. Dans sa persévérance, elle parvient, en collaboration avec d'autres femmes, à mettre en place, « Burkina journalier » en 2007. L'association va évoluer pour se muter en coopérative en 2018.

Aujourd'hui, elle est sollicitée dans plusieurs pays pour des formations en transformation agroalimentaire et fabrication de compost. Elle est lauréate de plusieurs prix dans la sous-région et au Kenya. Chevalier de l'Ordre de mérite, Christine Yaméogo ne cesse d'interpeller les femmes qui ont fui les attaques terroristes. « Je suis la preuve vivante d'un déplacement forcé. Malgré les obstacles, fixe-toi un objectif : réussir dans la vie », lance-t-elle.

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