Sénégal: Les élections législatives confirment la dynamique observée lors de la présidentielle

analyse

Le parti au pouvoir, Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef), a largement remporté la victoire aux élections législatives anticipées du 17 novembre convoquées par le président Bassirou Diomaye Faye. Les principaux partis d'opposition ont concédé leur défaite, alors même que le décompte des voix n'était pas encore terminé.

La décision de dissoudre l'Assemblée nationale et d'organiser ce scrutin a été annoncée en août dernier, quatre mois seulement après l'arrivée au pouvoir du président Faye. Il voulait ainsi clarifier le jeu démocratique et se donner une majorité stable afin de gouverner.

Alassane Bèye, dont les recherches portent notamment sur les dynamiques électorales au Sénégal, explique à The Conversation Africa les principales leçons à tirer de ces élections.

Quels sont les principaux enseignements à tirer de ces élections ?

Ces résultats provisoires officiels confirment la large victoire de Pastef, qui obtient la majorité absolue à l'Assemblée nationale avec 130 sièges sur les 165 qui étaient en jeu lors des élections législatives anticipées. Cette victoire écrasante de Pastef révèle trois éléments majeurs. Tout d'abord, ces résultats traduisent un élargissement significatif de la base rurale de Pastef.

En effet, lors de l'élection présidentielle même si la coalition Diomaye Président (celle qui portait la candidature de Bassirou Diomaye Faye) avait fait un bon score dans les zones rurales, les élections législatives ont permis d'observer une accentuation de l'ancrage rural de ce parti avec un basculement de certains départements dans le nord (Dagana) dans le centre (Linguère).

Ensuite, elles confirment une consolidation de son hégémonie dans le Sud du pays, fief de Ousmane Sonko. Enfin, elles marquent une percée importante dans les grandes villes comme Dakar, Thiès et Saint-Louis. Cette dynamique ascendante, déjà observée lors de l'élection présidentielle de mars 2024, se confirme pleinement avec ces résultats provisoires.

Le taux de participation aux législatives (49,72 %) certes est en dessous de celui de la présidentielle (62 %) de mars 2024 mais il reste acceptable pour des élections législatives. L'engouement des Sénégalais historiquement est beaucoup plus important lors de l'élection présidentielle. Cela signifie que l'électeur sénégalais a une perception très différente entre ces deux types d'élection. Maintenant, ce phénomène n'est pas spécifique au Sénégal même les grandes démocraties sont confrontées à une distanciation croissante des électeurs vis à vis des élections parlementaires. Cette situation pourrait être expliquée comme une conséquence d'une crise de la démocratie représentative.

Quelles sont, selon vous, les implications les plus significatives de la victoire du parti au pouvoir ?

Avec cette victoire, le Pastef dispose des moyens institutionnels nécessaires pour mettre en oeuvre les promesses de campagne, notamment en matière de réformes institutionnelles, de reddition des comptes et de déploiement des politiques publiques s'adossant sur le Jub Jubal Jubanti (slogan des nouvelles autorités prônant la droiture).

Cette victoire renforce également la légitimité électorale et le leadership de Ousmane Sonko (président de Pastef), qui, après avoir porté son candidat à la magistrature suprême, contrôle désormais le parlement. Il pourrait devenir, de facto, le président de l'Assemblée nationale. Ce qui contribuerait à l'unité de Pastef et à la stabilité institutionnelle du pays, évitant ainsi une dualité au sommet de l'État.

La présence de Ousmane Sonko à l'Assemblée nationale pourrait en effet libérer davantage le président de la République et enlever toute équivoque sur le risque d'une dualité au sommet de l'État.

Quels sont les principaux défis et opportunités auxquels est confrontée la nouvelle Assemblée nationale ?

Les défis sont multiples. Dans l'immédiat, après la proclamation des résultats et l'installation des députés, il sera crucial de voter la loi de finances et de valider le budget 2025 dans des délais très serrés (avant la fin du mois de décembre). Un autre défi majeur concerne la nécessité de rompre avec les pratiques antérieures observées dans le parlement sénégalais. Lors des législatures précédentes, les députés se sont souvent illustrés de manière négative (bagarres, insultes, alignement systématique avec l'exécutif).

Les nouveaux parlementaires doivent prendre conscience de leur rôle et pouvoir : contrôler l'action gouvernementale, évaluer les politiques publiques et porter des réformes institutionnelles consolidantes.

Il s'agit notamment de renforcer la bonne gouvernance en criminalisant le détournement des deniers publics, par exemple. Il faudra également renforcer la séparation des pouvoirs, rééquilibrer les pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire, en diminuant les pouvoirs du président de la République.

Que signifie le résultat des élections pour l'avenir de la démocratie multipartite au Sénégal ?

Ces résultats mettent en lumière deux aspects essentiels de la démocratie multipartite au Sénégal. D'une part, ils soulignent le rôle central des électeurs dans l'autorégulation du système politique. Malgré la prolifération des partis politiques et des candidatures, les Sénégalais semblent rejeter la fragmentation excessive des offres politiques.

Le Sénégal compte plus de 300 partis politiques. Au total, 41 listes de partis et coalitions de partis ont participé aux législatives du 17 novembre.

Lors de l'élection présidentielle, par exemple, sur 17 candidats, seuls deux ou trois (le vainqueur Bassirou Diomaye Faye avec 54 % des suffrages, l'ancien Premier Amadou Ba avec 34 % et Aliou Mamadou Dia avec 3 %) ont réellement capté l'essentiel des voix. Pour les législatives, malgré la multitude de listes, on devrait observer la formation de deux grands groupes parlementaires.

D'autre part, ces élections témoignent de l'attachement des Sénégalais aux valeurs démocratiques pour résoudre les conflits politiques. En dépit d'une campagne parfois agitée, les électeurs ont voté dans le calme, confirmant ainsi leur maturité politique et leur engagement en faveur de la démocratie.

Alassane Bèye, enseignant chercheur, Université Gaston Berger

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