En 2023, toutes les 10 minutes, une femme a été tuée intentionnellement par son partenaire ou un membre de sa famille. Les meurtres liés au genre (féminicides) sont la manifestation la plus brutale et extrême de la violence à l’égard des femmes et des filles.
Le dernier rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et d’ONU Femmes, publié à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et du début des 16 Jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, montre que le nombre de féminicides est en hausse dans le monde entier. En dépit de la prise de conscience croissante de ces meurtres et de l’indignation générale qu’ils suscitent, il reste encore beaucoup à faire pour prévenir la violence à l’égard des femmes, mettre fin à son escalade, fournir des services adéquats aux survivantes et punir les auteurs de ces crimes.
Qu’est-ce que le féminicide ? Définition et causes
On entend par féminicide l’homicide volontaire dont le mobile est lié au sexe de la victime. A contrario, d’une manière générale, le mobile d’un homicide (ou meurtre) peut ne pas être lié au sexe de la victime.
Le féminicide s’explique par la discrimination à l’égard des femmes et des filles, les rapports de force inégaux, les stéréotypes de genre ou les normes sociales préjudiciables. Il s’agit de la manifestation la plus brutale et extrême de la violence à l’égard des femmes et des filles, qui s’inscrit dans un continuum de formes de violence multiples et connexes, à la maison, au travail, à l’école ou dans l’espace public, telles que la violence entre partenaires intimes, le harcèlement sexuel et d’autres formes de violence sexuelle, les pratiques préjudiciables et la traite des êtres humains.
1. Les femmes et les filles sont plus susceptibles d’être tuées par leurs proches
En 2023, environ 51 100 femmes et filles dans le monde ont été tuées par leur partenaire intime ou par un autre membre de leur famille (par exemple leur père, leur mère, leur oncle ou leur frère). Cela signifie qu’en moyenne, chaque jour, 140 femmes ou filles sont tuées par un membre de leur propre famille. Les partenaires intimes et les ex-partenaires sont de loin les plus susceptibles de commettre un féminicide, puisqu’ils commettent en moyenne 60 % de l’ensemble des meurtres commis par un partenaire intime ou un membre de la famille de la victime.
Dans de nombreux cas, seuls les meurtres liés au genre perpétrés par un partenaire intime ou un membre de la famille sont comptabilisés comme des féminicides, alors que l’on sait que des meurtres liés au genre ont lieu dans de nombreux contextes au-delà de la sphère privée. Ils peuvent être en lien avec un viol ou des violences sexuelles commises par une personne inconnue de la victime, avec des pratiques préjudiciables telles que les mutilations génitales féminines ou les crimes dits d’honneur, avec des crimes motivés par la haine liés à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, ou encore avec des conflits armés, des gangs, la traite des êtres humains et d’autres formes de criminalité organisée.
Cette année, on a enregistré le plus grand nombre de féminicides perpétrés par un partenaire intime ou un membre de la famille, ce qui montre que le monde ne parvient pas à empêcher des morts qui pourraient être évitées par une intervention précoce, des services de police et un système judiciaire sensibles au genre et l’accès à un soutien et une protection centrés sur les survivantes.
2. Le féminicide est un problème universel
Le féminicide constitue une crise mondiale qui touche les femmes et les filles de tous les pays et territoires. Selon le nouveau rapport, en 2023, c’est l’Afrique qui a enregistré le plus grand nombre absolu et relatif de meurtres de femmes et de filles commis par un partenaire intime ou un membre de la famille de la victime, avec environ 21 700 victimes (2,9 victimes pour 100 000 femmes et filles). Les Amériques et l’Océanie ont également enregistré un taux élevé de féminicides commis par un partenaire intime ou un membre de la famille en 2023 (respectivement 1,6 et 1,5 pour 100 000), tandis que ce taux était nettement inférieur en Asie et en Europe (respectivement 0,8 et 0,6 pour 100 000).
3. L’échelle réelle du féminicide est probablement beaucoup plus élevée
Si les chiffres présentés dans ce rapport sont alarmants, ils ne montrent que la partie émergée de l’iceberg. De trop nombreuses victimes de féminicides ne sont toujours pas recensées : pour environ quatre meurtres intentionnels de femmes et de filles sur dix, les informations disponibles ne permettent pas de les recenser comme des meurtres liés au genre en raison des différences nationales dans les pratiques de recensement et d’enquête de la justice pénale.
Pour connaître l’ampleur réelle du problème et y répondre, disposer de données complètes et ventilées est crucial. Pour aider à dépasser les limites actuelles de la collecte de données, l’ONUDC et ONU Femmes ont élaboré le cadre statistique de comptabilisation des meurtres de femmes et de filles liés au genre (« féminicides »), approuvé par la Commission statistique des Nations Unies en mars 2022.
Derrière chaque chiffre se cache une femme ou une fille dont la vie s’est achevée brutalement à cause de la violence masculine, de la misogynie et des normes sociales qui tolèrent et perpétuent la violence à l’égard des femmes et des filles.
4. Les femmes et les filles marginalisées sont celles qui sont les plus confrontées aux risques
Les femmes en vue, notamment les femmes politiques, les défenseuses des droits humains et les journalistes, sont souvent la cible d’actes de violence délibérés, en ligne et hors ligne, dont certains aboutissent à une issue fatale et à des homicides volontaires.
En janvier 2022, des défenseuses de l’environnement étaient visibles pendant leur résistance dans au moins un quart de tous les conflits socioenvironnementaux du monde, et dans 81 de ces conflits, elles ont été tuées. En 2023, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) a alerté sur le fait que les défenseuses des droits humains étaient doublement ciblées, en raison de leur travail et de leur sexe, à la fois en ligne et hors ligne. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a recensé au moins 34 défenseuses des droits humains tuées dans des pays touchés par un conflit en 2022.
Malgré les limites des données, les données disponibles au Canada et en Australie suggèrent que les femmes autochtones sont touchées de manière disproportionnée par les meurtres liés au genre. Avec 4,3 femmes et filles pour 100 000, le taux d’homicides de femmes au Canada était cinq fois plus élevé, en 2021, parmi les populations autochtones que parmi les femmes et les filles non autochtones.
La violence à l’égard des personnes transgenres et appartenant à la diversité de genre étant en hausse, les données de l’étude Trans Murder Monitoring 2023 ont montré que 94 % des 321 personnes trans et appartenant à la diversité de genre dont le meurtre a été recensé étaient des femmes trans ou des personnes trans féminines. Ce chiffre ne donne qu’un petit aperçu de la réalité et des tendances, puisque les données reposent uniquement sur les cas déclarés, et toutes les victimes transgenres ne sont pas identifiées comme telles ou comme appartenant à la diversité de genre dans leur déclaration de décès.
Pour prévenir les féminicides, les autorités nationales doivent enregistrer des données complètes sur les victimes. En identifiant les femmes et les filles les plus à risque, les pays peuvent mieux façonner les mécanismes de prévention et de protection.
5. Le féminicide peut et doit être évité
Les meurtres liés au genre et les autres formes de violence envers les femmes et les filles ne sont pas inévitables. Souvent, le féminicide est l’aboutissement d’épisodes répétés de violence fondée sur le genre et de l’escalade de cette violence, ce qui veut dire qu’il peut et doit être empêché en réagissant de manière efficace dès les premiers signes de violence. Les initiatives qui se concentrent sur la prévention primaire, la modification des normes sociales et la participation de communautés entières pour instaurer une tolérance zéro à l’égard de la violence envers les femmes sont les plus efficaces pour prévenir les meurtres liés au genre.
Les secteurs de la police et de la justice ont un rôle important à jouer, en croyant et en soutenant les survivantes de la violence fondée sur le genre, en répondant aux signalements de cas de violence et en punissant leurs auteurs pour mettre fin à l’impunité. Dans de trop nombreux cas, les victimes de féminicide avaient déjà signalé avoir subi des violences et leur meurtre aurait pu être évité.
Les examens approfondis des meurtres liés au genre, auxquels participent les familles et les communautés, constituent une approche prometteuse pour conduire des réformes et améliorer les réponses institutionnelles. En analysant les homicides passés, ces examens visent à identifier les lacunes et à prévenir les féminicides à l’avenir.
En Afrique du Sud, une réduction significative des cas de féminicide a été liée à des lois sévères et des politiques fortes visant à prévenir la violence fondée sur le genre, à un contrôle strict des armes à feu et à la création d’un espace permettant aux groupes communautaires et de défense des droits des femmes de partager leurs connaissances et d’élaborer des politiques.
En Aotearoa (Nouvelle-Zélande), le Comité d’examen des décès dus à la violence familiale a analysé 320 décès dus à la violence familiale (2009-2020) et constaté que 56 % des victimes étaient des femmes et des filles. Les résultats ont mis en évidence des problèmes systémiques tels que des dossiers biaisés et une réactivité insuffisante des agences lorsqu’elles traitent avec des Māori, des femmes, des enfants et des personnes handicapées. Pour y remédier, le Comité a recommandé d’adopter les méthodes utilisées par les organisations Kaupapa Māori.
Cette approche plus respectueuse met l’accent sur le bien-être, la formation des prestataires de services pour créer des systèmes plus réactifs, et des interventions axées sur la famille. Des recherches supplémentaires seront nécessaires pour mieux comprendre les causes de l’augmentation des féminicides dans certains contextes et les facteurs qui ont permis de les réduire dans d’autres, afin de mieux orienter les stratégies de prévention.
Mais ce que nous savons, c’est que les organisations de défense des droits des femmes jouent un rôle crucial dans la prévention de la violence à l’égard des femmes et des filles en suscitant des changements politiques, en demandant aux gouvernements de rendre des comptes et en fournissant des services essentiels centrés sur les survivantes. Pourtant, en 2022, moins d’un pour cent des dépenses mondiales d’aide et de développement ont été consacrées à la violence fondée sur le genre.
Le renforcement du soutien financier aux organisations de défense des droits des femmes est capital pour réduire et prévenir les meurtres liés au genre et toutes les formes de violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles.
Alors que le monde s’apprête à célébrer le 30e anniversaire des visionnaires Déclaration et Programme d’action de Beijing, qui comprenaient un plan d’action pour mettre fin à toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles, rejoignez la campagne #UNiTE (Tous UNiS) pour les #16Jours d’activisme contre la violence basée sur le genre :
#PasDExcuse : Agissez pour mettre fin à la violence envers les femmes
- Mettez fin à l’impunité en rendant les auteurs de ces crimes responsables de leurs actes et en instaurant une tolérance zéro envers la violence à l’égard des femmes et des filles.
- Adoptez, mettez en œuvre et financez des plans d’action nationaux pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes et des filles.
- Investissez dans la prévention et dans les organisations de défense des droits des femmes afin de garantir les droits des survivantes et leur accès aux services essentiels.