Le récit d'Ephrem Yalike permet de mesurer l'emprise des mercenaires russes en Centrafrique, où l'ex-groupe Wagner mène des activités de trois types : militaires, économiques et informationnelles. Sur ce dernier point, les Russes ont développé leurs propres outils de surveillance et de diffusion. Point d'étape sur les acteurs de ce système.
Cette enquête a été réalisée dans le cadre d'investigations coordonnées par Forbidden stories, un réseau international de journalistes qui poursuit le travail de journalistes assassinés ou menacés. Elle implique dix médias partenaires dont RFI. Le lanceur d'alerte, qui témoigne ici, a pu quitter la République centrafricaine avec l'aide de la PPLAAF, la Plateforme de protection des lanceurs d'alerte en Afrique.
Si l'organigramme des Russes de Centrafrique demeure assez opaque, et que l'impact des évolutions des programmes de mercenariat russe après la mort d'Evgueni Prigojine fin août 2023, reste également à éclaircir, une chose n'a pas changé à Bangui : l'interpénétration des patrons du groupe Wagner et de la structure de l'État centrafricain.
L'homme qui symbolise le mieux cette installation est Dimitri Sytyi. Cet ancien traducteur, après avoir mené les campagnes de désinformation du BIC (Bureau d'information et de communication), s'est installé à la Maison russe. Il est le supérieur direct de Mikhail Mikhailovich Prudnikov, le patron d'Ephrem Yalike. Il dirige officiellement la Maison russe, centre culturel où l'on diffuse les films produits par le groupe Wagner, et où on prend des cours de russe pour souhaiter bon anniversaire à Vladimir Poutine, ou fêter la fête russe de l'Unité.
De jeunes Centrafricains qui étudient le russe à la Maison russe de Bangui félicitant le président russe Vladimir Poutine pour son anniversaire, le 7 octobre, dans une vidéo relayée sur Telegram par African Initiative.
Pour afficher ce contenu Telegram, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choix Au fil des ans, il a également pris la tête de la partie « business » de la nébuleuse Wagner, des entreprises qui exploitent massivement or, diamants, bois, pas toujours légalement, et sans payer aucune taxe à l'État, le groupe se nourrissant « sur la bête » puisque le gouvernement centrafricain n'a pas les moyens financiers de l'entretenir. Les matières premières sont évacuées directement par avion, ou par le port de Douala au Cameroun, les certifications sur les diamants et le bois sont régulièrement trafiquées, afin de faciliter leur exploitation, comme l'ont montré plusieurs enquêtes. Dubaï apparait comme une plaque tournante de ces trafics.
Le rôle de Dimitri Sytyi est si important que, selon certaines sources, le président Touadéra aurait demandé personnellement son maintien à Bangui, alors que le gouvernement russe reprenait la main sur les opérations extérieures du groupe d'Evgueni Prigojine.
Sur le plan sécuritaire, le nouvel arrivant s'appelle Dimitri Podolsky. Cet ancien cadre en Ukraine, blessé de guerre, a été nommé conseiller à la sécurité à la présidence centrafricaine.
Il travaille en coordination avec Denis Dredneyi, chargé d'opérations militaires, mais qui est également impliqué dans des opérations économiques et, selon Jeune Afrique, avec Maksim Povrosky, responsable du recrutement des combattants.
Dans ce paysage, le rôle de Denis Pavlov interpelle. Cet agent des services de renseignement extérieurs (SVR) a été nommé au sein de l'ambassade l'an dernier. Une arrivée considérée comme une preuve de reprise en main par l'appareil d'État russe. Il serait l'agent de liaison des deux patrons de la politique sécuritaire du Kremlin en Afrique : le vice-ministre de la défense Yunus Bek-Yevkurov et Andreï Averyanov, chef des opérations clandestines des Renseignements militaires (GRU), qui ont fait le tour de l'Afrique après la mort d'Evgueni Prigojine.
La question du nombre de mercenaires déployés actuellement en Centrafrique demeure délicate : en juin dernier, un rapport polonais les estimait à 1 600, mais un chercheur récemment passé par Bangui pense qu'ils sont actuellement un millier, probablement du fait des difficultés causées par la contractualisation des ex-membres du groupe Wagner au sein des structures paraétatiques russes comme les paramilitaires d'Africa corps.
À lire aussiAfrica Corps, le groupe paramilitaire russe dans les pas de Wagner en Afrique
En arrière-plan de la présence russe se trouvent les diplomates, avec des personnes expérimentées présentes depuis de nombreuses années dans le pays, l'ambassadeur Alexandre Bikantov, et le chargé d'affaires Vladislav Ilin.
Des Centrafricains sont aussi des relais de premier plan, tel que le ministre de la Jeunesse et des sports Héritier Doneng, invité régulièrement à Moscou, ou les agitateurs anti-français Didacien Kossimatchi du mouvement pro-pouvoir « galaxie nationale », et Euloge Koï Doctrouvé.
Parmi les hommes politiques centrafricains réputés proches des Russes : Fidèle Gouandjika, le conseiller du président Touadéra, le premier à ouvertement s'afficher avec un t-shirt « Je suis Wagner » ; l'ex-Premier ministre Firmin Ngrebada, qui jouit toujours de la protection de plusieurs mercenaires dans sa ferme de Boali, ou encore plusieurs ministres, dont en premier lieu Hassan Bouba. Le ministre de l'Élevage, ex-numéro 2 du groupe armé l'Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), est régulièrement mis en avant par les médias subventionnés par les Russes, au point qu'il aurait ses derniers temps suscité la méfiance du chef de l'État.
Contactées par le consortium pour commenter les opérations informationnelles russes dans le pays, les autorités centrafricaines n'ont pas répondu aux sollicitations.
Les épisodes de l'enquête :
- En Centrafrique, anatomie de l'hydre Wagner :
- Influences russes en Afrique : un système en phase de duplication (disponible le 24 novembre 2024)