Centrafrique: En Centrafrique, anatomie de l'hydre Wagner - partie 3, les cibles

Le récit d'Ephrem Yalike permet de mesurer l'emprise des mercenaires russes en Centrafrique, où l'ex-groupe Wagner mène des activités de trois types : militaires, économiques et informationnelles. Sur ce dernier point, les Russes ont développé leurs propres outils de surveillance et de diffusion. Point d'étape sur les cibles de ce système.

Cette enquête a été réalisée dans le cadre d'investigations coordonnées par Forbidden stories, un réseau international de journalistes qui poursuit le travail de journalistes assassinés ou menacés. Elle implique dix médias partenaires dont RFI. Le lanceur d'alerte, qui témoigne ici, a pu quitter la République centrafricaine avec l'aide de la PPLAAF, la Plateforme de protection des lanceurs d'alerte en Afrique.

Au cours de nos échanges, Ephrem Yalike pointe une « bataille de l'information » remportée selon lui par les Russes, qui ont pu « mettre les moyens ».

Parmi les cibles récurrentes des campagnes informationnelles russes, la France, bien sûr, mais surtout la mission des Nations unies dans le pays (Minusca).

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Si les attaques sont moins virulentes depuis l'arrivée à la tête de la Minusca de la Rwandaise Valentine Rugwabiza en 2023, elles se poursuivent néanmoins. Les casques bleus sont accusés de ne pas protéger les populations, voire de coopérer avec les groupes armés, comme dans le Haut-Mbomou, dans le sud-est du pays, où le contingent marocain est systématiquement présenté comme favorable aux populations peules de la région, visées par des milices issues de la communauté locale Zandé, depuis passées sous uniforme des Forces armées centrafricaines (Faca) et formées par Wagner, dans une région de conflit intercommunautaire récurrent. Dernier exemple en date, mi-novembre, avec l'organisation d'une grande manifestation anti-Minusca à Zemio, dans le sud-est de la RCA. La mission de l'ONU a été contrainte de dénoncer « les fausses informations » et de préciser que le contingent marocain a été remplacé par des Népalais « depuis plusieurs mois ».

Un compte sur X relayant le narratif du groupe Wagner en Afrique.

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Accepter Gérer mes choix Les relations notoirement exécrables avec l'ancien patron de la Minusca, le Sénégalais Mankeur Ndiaye (2019-2022), ont conduit à une multiplication d'hostilités contre la force de l'ONU, durant ses trois années à Bangui.

L'une d'entre elles a été directement mise en musique par les « musiciens » de Wagner et par leur courroie de transmission, Ephrem Yalike. Le 30 et le 31 août 2021, deux journaux de Bangui, L'Agora et Paloma info, évoquent des manifestations à Mbaïki, à 90 kilomètres au sud-ouest de Bangui, dans la Lobaye, en termes très similaires. La population jugerait la Minusca « inefficace et complice » avec les milices selon un des habitants, cité par les deux titres. Un récit repris par Afrique Média.

En réalité, cette campagne #stopMINUSCA n'avait rien de spontané, comme le confirme Ephrem Yaliké, lui-même auteur d'un post sur son blog « La Fraternité ».

« Michel [Mikhail Prudnikov, un des chargés de communication du groupe Wagner à Bangui, NDLR] m'a emmené à Mbaïki, on a donné les pancartes "Non à la Minusca" ou "Minusca dégage" à des jeunes. Ils se sont cachés derrière des arbres et des maisons, et en voyant des véhicules de l'ONU arriver, ils sont sortis sur la route pour les bloquer. Là, je sors, je filme, et c'est bon. Chacun touche 2 000 FCFA (3 euros) et voilà. Donc, avec ça, je vais écrire pour dire que c'est la population de Mbaïki qui demande à la Minusca de quitter le pays parce que la Minusca n'applique pas son mandat. Donc, la photo et l'article, je vais maintenant prendre pour donner à des journaux pour publier. »

Le compte Telegram d'African Initiative sur «Un rassemblement antiaméricain près de l'ambassade américaine à Bangui. Les résidents locaux s'opposent à la présence de Bancroft et à l'importation d'armes des États-Unis».

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Accepter Gérer mes choix But de la manoeuvre, selon Ephrem Yalike : organiser une manifestation du même type dans chaque capitale régionale. Leur coût est minime, selon l'enquête d'Arte de 2023 : 1 684 dollars US pour quatre groupes hostiles de quinze à vingt personnes. À l'examen des photos, les pancartes sont très similaires dans leurs slogans, de même que l'écriture.

Ephrem Yalike a également aidé à organiser des manifestations devant l'ambassade de France. Il a observé, peu avant son départ, en janvier 2024, une nouvelle mobilisation de ce type, contre les États-Unis, visés à partir de septembre 2023 par une intense campagne de dénigrement, sur fond de tractations en vue d'une installation à Bangui, aujourd'hui avortée, de la compagnie de sécurité privée américaine Bancroft. Une contre-attaque multiforme d'ailleurs efficace jusque-là. Néanmoins, Ephrem Yalike note que les rangs sont plus clairsemés, un signe de moyens plus faibles à disposition selon lui.

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Les épisodes de l'enquête :

  • En Centrafrique, anatomie de l'hydre Wagner :
  • Influences russes en Afrique : un système en phase de duplication (disponible le 24 novembre 2024)

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