En plébiscitant Navin Ramgoolam lors du dernier scrutin, Triolet, village phare de la circonscription numéro cinq, PamplemoussesTriolet, a confirmé son importance stratégique sur l'échiquier politique.
Autrefois considéré comme le bastion du père de la nation, Sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR), de 1967 à 1982, Triolet, le village le plus long de l'île, a non seulement élu en tête de liste, le fils Ramgoolam pour la sixième fois, mais il l'a également propulsé au sommet du pouvoir pour la quatrième fois (1995, 2005, 2010, 2024) depuis le début de sa carrière politique en 1991.
Contraint de rester éloigné du Parlement pendant une décennie -suite à des défaites successives en 2014 et 2019 - Navin Ramgoolam, âgé de 77 ans, jouait quelque part, sa survie dans l'arène politique lors des dernières élections générales.
Après avoir laissé planer l'incertitude sur son choix, le leader de l'Alliance du changement, avait finalement décidé de tourner le dos à la circonscription numéro 10, Montagne-Blanche-GRSE pour effectuer un retour dans la circonscription numéro 5, qui était auparavant considérée comme son fief entre 1991 et 2014.
Il n'est un secret pour personne que la famille Ramgoolam a toujours été étroitement liée à la circonscription numéro 5. En tant que chef d'État, SSR a fait la fierté de cette région durant son règne après l'Indépendance et il est bon de faire ressortir que l'hôpital du Nord (SSRNH) et le collège d'État Lady Sushil Ramgoolam, font partie du riche héritage qu'il a laissé à l'époque, en tant que député de cette circonscription.
Au cours de ses trois précédents mandats comme Premier ministre, Navin Ramgoolam a emboîté le pas à son père en dotant le village de Triolet d'un marché flambant neuf et d'une Medi Clinic moderne.
Malgré l'aura et le poids du patronyme Ramgoolam dans la circonscription, le leader du Parti travailliste a subi une cuisante déconvenue lors des élections générales de 2014. Alors qu'il était le Premier ministre sortant, il avait été relégué à une modeste 4e place à plus de 3 000 voix du néophyte Sharvanand Ramkaun (MSM).
Les raisons de cette humiliante défaite étaient multiples : il avait été rattrapé par des scandales et dans les coulisses on lui avait également reproché d'avoir fait une confiance aveugle à des agents et certaines personnes de son entourage, qui lui avaient fait croire qu'il était 'imbattable' à l'époque. Ayant visiblement retenu les leçons du passé, le leader du Parti travailliste n'a pas répété les mêmes erreurs au cours de la dernière campagne électorale.
Avec l'appui d'une garde rapprochée constituée de Rakesh Bhukory, son campaign manager, d'Anil Seeruthun, ancien candidat MMM de la circonscription, Maurice Allet, ancien leader du PMSD, et les anciens ministres travaillistes Lormesh Bundhoo, Rajesh Jeetah et Satish Faugoo, il a quadrillé la circonscription pouce par pouce, avec une volonté affichée d'être plus proche des électeurs.
Alors que ses détracteurs, à l'image de l'ancien speaker Sooroojdev Phokeer se sont permis de l'égratigner sur son âge en le qualifiant de «vie bolom kabose», le chef de file des Rouges les a fait taire, en faisant preuve d'une grande vivacité et d'un dynamisme à toute épreuve sur le terrain.
A cet effet, l'exercice de porte-à-porte qu'il avait effectué le lundi 4 novembre (Ndlr : A une semaine des élections), aux côtés de ses deux colistiers, Nitin Woochit et Kaviraj Rookny, du village de Solitude à Triolet, a sans doute été le point culminant de la campagne de l'Alliance du changement au numéro 5.Pour la petite histoire, il est bon de savoir que ce jour- là, il était prévu que Ramgoolam aille à la rencontre des habitants en fin d'après-midi, avant d'assister à deux réunions dans le village en début de soirée.
Toutefois, compte tenu de l'accueil chaleureux, que lui avaient réservé les habitants du village, le leader des Rouges avait été contraint d'annuler une réunion nocturne, pour poursuivre sa marche sur environ 5 km jusqu'au Terminus de Triolet. Cette marche qui avait débuté vers 17 heures avait finalement pris fin vers 21 heures !
Ramgoolam avait été accueilli comme une véritable rock star. Il y avait une ambiance festive dans le village avec l'incontournable séga «Ale Navin» qui résonnait continuellement dans les haut-parleurs.
Des habitants très enthousiastes étaient massés sur les trottoirs et au fil du parcours, il prenait la peine de traverser la route, à des intervalles de 150-200m pour saluer tout ce beau monde.
Plusieurs fois durant la marche, des dames l'arrêtaient pour effectuer l'«aarthi» (prière de bienvenue). Un geste symbolique comme pour saluer le retour du 'fils prodigue' après dix années d'absence.
Pendant que les jeunes et moins jeunes accouraient pour faire des 'selfies' avec lui, l'image d'un senior malade, fondant en larmes, alors qu'il lui serrait la main ne nous avait pas laissé insensible.
Visiblement touché par cet accueil, Ramgoolam s'était prêté au jeu avec son charisme habituel et il avait tenu à parcourir tout le village, afin de ne pas décevoir les habitants qui l'avaient attendu jusqu'à fort tard. A partir de là, on savait que l'ancien ministre du Travail, Soodesh Callichurn, qui avait été élu en tête de liste dans la circonscription au cours des deux dernières élections générales, avait de gros soucis à se faire.
Les deux hommes étaient engagés dans un duel à distance et Ramgoolam a jeté tout son poids dans la bataille pour ébranler la citadelle orange de son plus jeune et fougueux adversaire.
Plusieurs fois durant la campagne, il a animé au cours d'une même soirée, au moins trois réunions dans trois endroits différents. A tel point, qu'à un moment, nous les journalistes nous éprouvions clairement des difficultés à suivre le rythme effréné qu'il imprimait.
Le jour du scrutin, il nous avait concédé qu'il dormait à peine deux à trois heures par jour, mais qu'il se sentait malgré tout «revigoré».
Malgré la fatigue, il gardait sa lucidité jusqu'à fort tard durant la nuit. Il enchaînait les discours, tout en distillant, avec sa tchatche habituelle, quelques anecdotes croustillantes pour retenir l'attention des assistances toutes acquises à sa cause.
Conscient qu'il n'avait pas le droit à l'erreur, Ramgoolam avait visiblement le souci du détail.
Ainsi, comme le bulletin de vote était imprimé en recto verso - une première dans les annalespour accommoder le nombre record de 146 candidats inscrits dans la circonscription, et que les noms des trois candidats de l'Alliance du changement figuraient sur le côté verso du bulletin, il avait insisté auprès de ses lieutenants pour qu'ils conscientisent les habitants sur cet aspect particulier durant les réunions nocturnes: Lormus Bundhoo et Rajesh Jeetah se sont attelés à cette tâche avec brio, allant même jusqu'à prendre la parole en bhojpuri afin de mieux faire passer le message dans cette région rurale.
Au final, même si on a dû patienter jusqu'à 4 heures du matin le lendemain du jour du dépouillement pour la proclamation des résultats, il faut dire que l'issue du scrutin au numéro 5 ne faisait déjà plus de doutes depuis la veille.
A juste titre, deux heures avant la fermeture des bureaux des votes, l'enthousiasme débordant des centaines de partisans de l'Alliance du changement massés sur la route royale devant l'école du gouvernement Daneswock Sewraz, était une indication claire et nette qu'on se dirigeait vers un 3-0 implacable.
A l'arrivée, le résultat a été effectivement sans appel : Navin Ramgoolam a été élu en tête de liste avec 68 % des suffrages (32 156 voix) devant Nitin Woochit (29 925 voix) et Kaviraj Rookny (28 033 voix). Soodesh Callichurn a fini à la quatrième place avec 16 193 voix.
Ceux qui pensaient que Ramgoolam n'avait plus la même assise, après une absence prolongée sur le terrain, se sont mordu les doigts.
Après des années de galère, les habitants avaient décidé de le remettre sur son piédestal, donnant ainsi tort à ce fameux prêtre, qui à l'issue de sa défaite en 2014 lui avait déconseillé de poser sa candidature au numéro 5, puisque les rites funéraires de son père y avaient été effectués.