Le Sénégal est dans la course aux Tanits des 25èmes Journées Théâtrales de Carthage (JTC) avec la pièce « Médecin Après La Mort » mise en scène par Ibrahima Sarr et écrite par Balla Diop.
Dans une interview avec l'agence TAP, à l'issue de la deuxième séance de leur spectacle, dimanche soir, au théâtre du Rio, Ibrahima Sarr et Balla Diop se sont confiés sur leur inspiration et les étapes ayant abouti à cette création, à vocation universelle, sur un monde qui va mal.
Présentée exclusivement aux JTC, la pièce est produite par la compagnie « Rescap'Art » qui est de retour aux JTC pour la quatrième fois. « Médecin Après La Mort » concoure avec 11 autres pièces, issues du monde arabe et d'Afrique, pour le grand prix du festival, le Tanit d'Or.
Le duo Ibrahima Sarr et Balla Diop
Le duo d'artistes affiche une belle complicité, en tant que jeunes dramaturges qui se partagent la même passion pour le théâtre avec des chemins quelques part séparés dans différentes formes d'arts du spectacle.
Metteur en scène, comédien et chorégraphe, Ibrahima Sarr est un artiste qui touche à différents métiers dans les arts du spectacle. En tant que chorégraphe, il a notamment fait une apparition dans « Le Voyage de Talia » de Christophe Rolin, une fiction qui représentait le Sénégal à la 1ère Semaine de la critique, compétitive internationale des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) 2022. Ibrahima Sarr figurait dans une scène de ce road-movie montrant le personnage de Talia en train de s'initier à la danse de ses ancêtres, le Sabar.
Idem pour son compatriote, Balla Diop, qui lui aussi s'essaye à différentes formes de théâtre avec pour première vocation celle de comédien pour le théâtre et le cinéma, dramaturge mais aussi humoriste dans le stand up comedy. En 2022, Diop avait participé à la première édition du festival du rire Normal inte, organisé par l'Alliance française en partenariat avec plusieurs ambassades de pays francophones en Tunisie dont le Sénégal. « Tunis est devenue ma deuxième maison », s'est-il réjoui.
Leur complicité s'est traduite dans « Médecin Après La Mort » qui parle de l'être humain en général à travers un focus sur un médecin dont les interventions mènent toutes vers la mort », a déclaré le metteur en scène.
Et d'ajouter, « la pièce ne pointe pas du doigt les défaillances du système mais essaye de le montrer d'une façon assez subtile ». A travers l'histoire du médecin, sa pièce questionne sur « la capacité de l'homme à aider son prochain au moment où il en a le plus besoin d'où vient le titre le médecin après la mort ».
La pièce plonge le spectateur dans l'univers sombre d'un médecin qui a tout perdu en raison de sa découverte d'un vaccin, pour se retrouver cloitré dans un labo clandestin témoin d'un système sanitaire qui va mal. Cette oeuvre est une métaphore de la réalité notamment la vague de vaccination suite à la pandémie de la Covid 19, comme l'a bien indiqué Sarr.
« J'étais le médecin le plus réputé dans tout le pays, lance Diop qui joue le personnage du médecin alors qu'il s'adressait aux trois voleurs qui se sont infiltrés dans son labo pour ensuite se faire passer pour des fous qui ont besoin de se faire soigner. Sa découverte lui avait coûté sa liberté en écopant de cinq ans de prison, ce qui a conduit sa femme à partir avec ses enfants. Le vieux médecin, souffrant d'une myopie, se retrouve seul abandonné par tous, sa famille et le système qui l'avaient condamné à tort.
La pièce s'ouvre et prend fin au milieu d'un cimetière, sous un fond sonore de lecture du Coran et du bruit du tonnerre, dans une référence à la dualité de la notion de la vie et de la mort, la seule vérité que l'homme souhaite toujours repousser.
Après la présentation de quelques extraits dans un centre culturel à Dakar, le 6 novembre courant, la compagnie productrice a choisi de présenter « Médecin Après La Mort » en première africaine aux JTC. Cette création théâtrale de 55 minutes sur un monde qui va de plus en plus mal est ancrée dans son environnement local avec une dimension universelle.
Sur le plan scénique, la pièce offre une harmonie visuelle entre les éléments de la lumière et des décors à travers une scénographie minimaliste d'Amdy Mbacké Diop. Ce spectacle est porté par un casting composé de Balla Diop, Abdou Mboup, Mamadou Wandianga, Amdy Mbacké Diop et Moussa Ndiaye.
Balla Diop a porté la casquette du comédien en incarnant le personnage d'un médecin qui n'a pas été écrit spécialement pour lui mais un choix du metteur en scène, Ibrahima Sarr, a affirmé le comédien et scénariste du spectacle.
La copie finale du scénario a été élaborée par Diop après avoir consulté l'avis des membres de la compagnie ce qui a aidé le scénariste à concrétiser son projet, « Médecin Après La Mort » production de la compagnie « Rescap'Art ».
"Avant d'être un métier, le théâtre est une passion"
Ce travail est le fruit de trois mois d'écriture et plus de six mois de répétitions pour ces artistes à cheval entre plusieurs autres projets dans le domaine des arts du spectacle. Son metteur en scène, Ibrahima Sarr, est diplômé en arts scéniques de l'Ecole nationale des arts à Dakar. Ce jeune de 29 ans est à sa première participation aux JTC, à l'inverse des autres membres de la compagnie qui sont tous des habitués du festival.
« Rescap'Art » a eu quatre précédentes participations aux JTC dont la première, en 2018, avec la création « Rescap'art », hors compétition, lauréate du Prix de la diversité culturelle de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), puis en 2021, une pièce sur le voyage périlleux de 4 migrants clandestins, « De A à Z » mise en scène par Aminata Yacine Sane d'après un scénario de Balla Diop.
En 2022, le scénariste a écrit « Bercail », mise en scène par Arona Ba, qui fouille dans les séquelles d'une histoire douloureuse et la traite négrière ayant affecté le Continent noir et l'humanité entière. Ces deux pièces étaient sélectionnées dans la compétition officielle des JTC.
Pour les membres de la compagnie, "avant d'être un métier, le théâtre est une passion", comme l'a affirmé Balla Diop qui insiste sur leur volonté d'atteindre l'excellence dans la continuité de ce leurs prédécesseurs du théâtre au pays de Teranga, « les doyens » comme il les appelle.
La compagnie a fait le choix de produire ses propres créations sans recourir aux adaptations d'oeuvres littéraires de renommée. Le scénariste, évoque une orientation s'inscrivant dans un registre universel d'un « théâtre engagé qui donne la voix aux sans voix, en abordant les questions de l'époque, à travers l'usage, non pas du wolof, mais plutôt du français et de l'anglais ».