Burkina Faso: Gratuité de la planification familiale au pays - « L'utilisation des méthodes contraceptives s'est améliorée dans toutes les régions », Dr Abou Coulibaly

25 Novembre 2024

Abou Coulibaly, médecin épidémiologiste et chargé de recherche à l'Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS), ainsi que son équipe multidisciplinaire composée de médecins (épidémiologistes et planificateurs), de sociologues et d'anthropologues ont mené une étude sur les impacts de la politique de gratuité de la Planification familiale (PF) sur l'utilisation des méthodes contraceptives.

Ils ont également cherché à identifier les stratégies les plus efcaces pour garantir la réussite de cette politique. Dans cette interview, Coulibaly présente les résultats de leur recherche. Dr Abou Coulibaly, médecin épidémiologiste, investigateur principal de la recherche : «nous avons proposé par exemple des stratégies pour renforcer les compétences des agents de santé sur l'ofre des méthodes contraceptives » .

Quels étaient les objectifs de votre étude sur les impacts de la politique de gratuité de la Planification familiale (PF) sur l'utilisation des méthodes contraceptives ?

Nous avons voulu savoir si l'utilisation des méthodes contraceptives s'est améliorée grâce à la politique de gratuité ou pas. Aussi, nous avons voulu identifier les barrières qui limitent l'accès des femmes aux méthodes contraceptives dans un contexte de gratuité et donc, pour chaque barrière, proposer l'action ou la stratégie efficace pour sa résolution.

Quels étaient les pays concernés par cette recherche ?

En plus du Burkina, il convient de noter que cette recherche s'est conduite dans deux autres pays : la Côte d'Ivoire et la Guinée. La Côte d'Ivoire a commencé la mise en oeuvre de la gratuité de la PF depuis 2021 dans des zones pilotes et a étendu la mise en oeuvre de la gratuité dans toutes les formations sanitaires du pays, au cours du mois d'octobre 2024. La Guinée se prépare à mettre en oeuvre la gratuité de la PF. Dans ce pays, nous avons fait une analyse situationnelle qui montre que la situation est légèrement différente de ce qui a été fait en Côte d'Ivoire et au Burkina.

Quels effets notables avez-vous observés sur l'accès et l'utilisation des services de PF depuis la mise en oeuvre de la gratuité dans chacun des trois pays ?

Pour cette question, je vais m'intéresser aux résultats du Burkina. Mais avant, je tiens à préciser que les résultats ne sont pas encore définitifs. A l'étape actuelle,

nous disposons de résultats préliminaires qui seront présentés aux différents pays au cours des prochaines semaines pour obtenir leurs interprétations et leurs amendements.

Nous avons conduit une recherche mixte combinant des méthodes quantitatives et des méthodes qualitatives.

Pour la mesure des effets de la gratuité sur l'utilisation des méthodes, nous avons utilisé les données du ministère de la Santé du Burkina et les résultats ont montré que l'utilisation des méthodes contraceptives s'est nettement améliorée dans toutes les régions du Burkina depuis l'instauration de la politique de gratuité de la PF. Les analyses ont porté sur huit régions sanitaires du Burkina les moins touchées par le terrorisme : les régions du Centre, du Centre-Est, du Centre-Sud, du Centre-Ouest, du Plateau central, des Hauts-Bassins, des Cascades et du Sud-Ouest.

Le nombre total de districts sanitaires inclus dans cette recherche s'élève à 34 avec un nombre total de centres de santé et de promotion sociale qui s'élève à 1564. La période considérée est de janvier 2014 à décembre 2023. Pour des besoins d'analyse approfondie, nous avons donc comparé l'utilisation de la PF lors des 4-5 années qui ont précédé l'instauration de la politique à l'utilisation lors des 4-5 années qui ont suivi sa mise en oeuvre.

Nous avons aussi noté que les femmes, dans 95% des cas, ont rapporté qu'elles n'ont rien payé pour les services de PF, le jour du passage des enquêteurs. Ce qui témoigne que la gratuité est effective pour une grande majorité de femmes. Je précise que cette partie de l'étude (l'étude avait plusieurs composantes) s'est déroulée dans 80 CSPS et les agents de collecte des données sont restés pendant 2 jours dans chaque centre de santé pour inclure toutes les femmes qui venaient pour la contraception.Même s'il y a des limites, comme dans toute étude, il convient de noter que les résultats sont satisfaisants.

Quels sont les défis majeurs qui limitent encore l'accès aux services de PF malgré la gratuité ?

Nous avons noté que des barrières existent toujours, limitant ainsi l'accès des femmes aux services de PF malgré la gratuité. Certaines sont liées au système de santé et d'autres à la communauté. Parmi les barrières liées aux services de santé, il y a les problèmes de ruptures de stocks. Pour que la gratuité de la PF soit effective, il faut que la méthode contraceptive soit disponible chaque jour dans la formation sanitaire pour permettre à la femme d'en bénéficier. Les causes des ruptures sont multiples (mauvaise expression des besoins, problème d'approvisionnement et de transport, etc).

Aussi, il y a les barrières liées aux agents de santé que nous sommes. Les résultats ont montré que les agents de santé se font des restrictions dans l'offre des méthodes contraceptives (exigence d'une limite d'âge, exigence du consentement du partenaire avant d'offrir la méthode, exigence d'un certain nombre d'enfants pour offrir la méthode, etc.). Enfin, au titre des barrières, il y a les fausses rumeurs, les doutes persistantes et l'influence de certaines personnes influentes de la communauté (leaders communautaires, religieux, hommes, belles mères, etc.). Il ne faut pas oublier aussi la part des financements : les produits contraceptifs sont chers et dans notre contexte national marqué par la crise sécuritaire, des efforts financiers sont faits pour assurer cette politique même si des difficultés sont réelles. Donc, tout cela contribue à limiter l'accès des femmes aux méthodes contraceptives malgré la gratuité.

Quelles sont les principales stratégies identifiées dans le cadre de cette recherche pour garantir l'efficacité de la gratuité des services de PF ?

Pour les barrières identifiées, nous avons proposé des solutions, consignées dans un plan d'action (version préliminaire) qui sera discuté avec les autorités en charge de la santé pour garantir un meilleur accès des femmes à la contraception. Nous avons proposé par exemple des stratégies pour renforcer les compétences des agents de santé sur l'offre des méthodes contraceptives, le renforcement des sensibilisations dans la communauté pour dissiper les doutes et déconstruire les rumeurs, etc.

Comment la perception de la gratuité par les populations cibles varie-t-elle entre le Burkina, la Côte d'Ivoire et la Guinée ?

A.C. : Nous avons noté que dans l'ensemble, les populations (bénéficiaires) ont une bonne acceptabilité de la politique. Il est vrai que certains sont réticents sur la qualité des offres gratuites mais dans l'ensemble, les cibles acceptent la gratuité et se procurent les méthodes contraceptives, d'où l'effet positif noté sur leur utilisation au Burkina.

Quels sont les éléments de la gratuité qui ont été les plus efficaces pour favoriser l'adoption des services de PF ?

La politique de gratuité de la PF au Burkina est un pilier important dans l'amélioration de la santé reproductive et la réduction de la mortalité maternelle et infantile. De ce fait, il y a de nombreuses forces de cette politique qui lui ont valu les succès notés : un facteur favorisant la mise en oeuvre de la gratuité de la PF est son ancrage institutionnel/organisationnel.

En effet, cette politique s'insère dans une politique plus globale portant sur la gratuité des soins pour la femme enceinte et les enfants de moins de 5 ans. En effet, avec la gratuité des soins chez les femmes et les enfants de moins de 5 ans, en cours depuis 2016, le système de santé burkinabè a déjà une expérience et une expertise dans la mise en oeuvre de politiques de gratuité des soins et se sont déjà familiarisées avec les défis et les processus liés à la fourniture de services gratuits.

En outre, la mise en oeuvre de la gratuité de la PF a été un processus inclusif avec les partenaires techniques et financiers du Burkina. Aussi, la politique bénéficie d'un soutien politique solide et d'une gestion efficace par le secrétariat technique pour les réformes du financement de la santé, ce qui renforce sa pérennité. Avec l'émergence des difficultés, des efforts d'adaptation ont été réalisés, notamment l'introduction de la facturation individuelle et l'externalisation du contrôle des factures pour mieux gérer les coûts et assurer la transparence. Le passage de paiements trimestriels à mensuels pour les formations sanitaires est également une mesure clé pour améliorer la gestion financière. Tous ces aspects, de notre point de vue, ont contribué aux succès notés dans cette évaluation.

Quelles recommandations spécifiques proposez-vous pour améliorer l'efficacité et l'impact de la gratuité de la PF dans la sous-région ?

Au titre des recommandations, nous pouvons signaler que les autres pays de la sous-région doivent s'inspirer de l'exemple de notre pays en termes de mise en oeuvre de la gratuité et profiter des leçons et bonnes pratiques du Burkina. Dans ce pays, des réajustements ont été nécessaires pour faire face aux difficultés identifiées pendant les premières années. Donc, les autres pays qui veulent mettre en place la gratuité doivent tirer profit de cette riche expérience du Burkina.

Pouvez-vous nous livrer votre mot de fin ?

Au nom de tous les chercheurs engagés dans cette recherche sur les 3 pays, je voudrais vous remercier de l'opportunité que vous m'avez offerte pour parler de nos résultats. C'est justement un des défis de la recherche : comment communiquer les résultats et traduire en action les résultats des recherches pour une meilleure utilisation par les décideurs.

Cette recherche dans sa forme édictée par l'Unité de coordination du partenariat de Ouagadougou (UCPO) est une réelle occasion d'appropriation des résultats de recherche par les décideurs, car les priorités de recherche ont été définies par les différents pays et la recherche a été menée en partenariat avec les différents départements en charge de la santé de la mère et de l'enfant. Ce qui facilite l'utilisation des résultats de recherche. Je ne saurai également terminer sans dire un mot de remerciement à l'UCPO pour l'octroi de cette subvention.

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