Sénégal: Commémoration de Thiaroye 44 - Une volonté des nouvelles autorités de produire un récit historique local

Dakar — L'hommage qui sera rendu, le 1er décembre, aux Tirailleurs sénégalais massacrés à Thiaroye, traduit l'engagement et la volonté des nouvelles autorités sénégalaises de produire un récit historique local, a indiqué l'historien Mamadou Diouf, président du comité de commémoration du 80e anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye.

"Ces engagements politiques sont en particulier structurés autour d'une affirmation plus forte qu'est la souveraineté nationale, autour d'un décalage qui semble-t-il être aujourd'hui nécessaire, en particulier pour la génération des gens qui ont aujourd'hui 40 ans et nés après les indépendances", a déclaré l'historien au cours d'un entretien accordé à l'APS.

Selon lui, cette commémoration "importante" est "un acte politique qui signifie des engagements précis d'un Etat qui affiche publiquement son identité".

Mamadou Diouf a souligné que les prédécesseurs du président Bassirou Diomaye Faye avaient cet engagement politique. Toutefois, il manquait "l'affichage" public.

"Ils [Les présidents Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall ] ont tous eu un engagement politique. Il n'y a pas de régime sans engagement politique. Mais c'est l'affichage. Peut-être à cause des circonstances et du fait que la France exerçait une police rigoureuse pour qu'on ne parle pas de Thiaroye", a expliqué l'enseignant-chercheur à l'université de Colombia aux Etats-Unis.

Selon lui, le premier président de la République Léopold Sédar Senghor qui a gouverné de 1960 à 1981 a eu "un projet politique basé sur le socialisme africain et la négritude" alors que son successeur Abdou Diouf 1981-2000 "son projet idéologique était le retour à la charte nationale".

"Dans le couple senghorien enracinement-ouverture, Senghor a privilégié l'ouverture, lui [Abdou Diouf] va privilégier l'enracinement. Chez Wade (2000-2012), c'est un retour à une culture et à une civilisation qui se réclament d'un enracinement, mais différent de la manière dont les socialistes pensaient cet enracinement", a indiqué Mamadou Diouf.

Le nouveau régime, avec cette génération incarnée par le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko, sur la base de ses slogans et ses campagnes politiques, fait un écart et essaie de démanteler ce qu'ils appellent un système, pour mettre en place quelque chose de nouveau.

»(...) il (le régime) se décline le plus fortement sur une revendication souverainiste très importante et c'est cela qui est important pour Thiaroye, la production d'un récit qui n'est plus un récit contrôlé et orienté par la France, mais d'un récit qui est un récit local", précise-t-il.

"Thiaroye, c'est aujourd'hui une révision du récit historique"

Pour le professeur Mamadou Diouf, l'hommage aux Tirailleurs massacrés à Thiaroye c'est aussi "une révision du récit historique de l'empire français".

Cet empire français était composé d'une métropole qui était dominatrice et de colonies qui étaient dominées. »'Il y avait un centre et une périphérie. Et ce centre a plus dicté son récit que les périphéries", a-t-il fait savoir.

Aujourd'hui, estime-t-il, "Thiaroye est l'affirmation de la prise de parole des périphéries pour imposer leur présence sur la scène du monde. Et c'est pour ça que cette commémoration est intéressante et importante", a-t-il dit ajoutant que c'est d'autant plus important que cet événement a été tu et reste encore aujourd'hui un événement défini par des incertitudes.

Cet hommage est à la fois un travail politique et de mémoire, mais c'est aussi un travail scientifique, car il s'agit de connaître, comprendre, réunir l'ensemble des faits pour pouvoir effectivement dire le 1er décembre 1944, voilà ce qui s'est passé à Thiaroye, a martelé l'historien.

Il a précisé toutefois que cette commémoration n'est pas contre la France. »Il faut dire de manière très claire que la commémoration n'est pas contre la France, c'est un événement qui interroge un moment qui est une histoire que nous partageons avec la France, l'histoire de l'Empire français », a t-il souligné.

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