Des scientifiques ont mis en évidence un lien entre la désertification, potentiellement aggravée par le réchauffement climatique, et le dépôt de poussière riche en nutriments dans l'océan, favorisant une croissance rapide des algues. Le biologiste océanographe John A. Gittings et une équipe internationale de chercheurs ont observé ce phénomène dans l'océan Indien, au sud-est de Madagascar.
En analysant des images satellites, ils ont relevé des variations de couleur de l'eau, attribuées à la prolifération du phytoplancton (algues microscopiques) en réponse à l'apport accru de nutriments, notamment le fer contenu dans la poussière. Selon leurs observations, la sécheresse dans les terres arides d'Afrique australe a déclenché la plus forte floraison de phytoplancton enregistrée en 27 ans au sud-est de Madagascar.
Qu'est-ce qu'une floraison de phytoplancton ?
Des millions de minuscules organismes, appelés phytoplanctons, peuplent tous les milieux aquatiques. Essentiels à l'équilibre de la planète, ils produisent environ 50 % de l'oxygène terrestre.
Le phytoplancton joue un rôle central dans le cycle global du carbone.
Le phytoplancton constitue également la base des chaînes alimentaires marins. Il constitue une source de nourriture essentielle pour des organismes tels que les zooplanctions (minuscules animaux marins), qui à leur tour assurent la subsistance d'espèces plus grandes telles que les poissons et les baleines. Cela profite directement aux pêcheries et aux communautés humaines qui en dépendent.
Tout comme les plantes terrestres, le phytoplancton connaît des périodes de croissance plus importantes selon les saisons. Lorsque la lumière, les nutriments et d'autres facteurs, comme la température, sont réunis dans des conditions optimales, le phytoplancton peut se multiplier rapidement et former une floraison du phytopanction.
Les cellules du phytoplancton contiennent de la chlorophylle, un pigment vert qui affecte la couleur des eaux de surface océaniques. Ce pigment peut être détecté depuis l'espace à l'aide de capteurs satellitaires de couleur de l'océan. Il est difficile de dire exactement combien de cellules de phytoplancton composent l'efflorescence. Cependant, cette floraison au large des côtes de Madagascar couvrait une superficie estimée à 2 000 km².
Au cours du printemps/été 2019/2020 dans l'hémisphère sud, un phytfloraison oplanctonique exceptionnelle a été découverte dans l'océan Indien au sud-est de Madagascar. Cela s'est produit à une période de l'année où les floraisons ne sont pas attendues. Le floraison a débuté en novembre 2019 avant de se diffuser dans le canal du Mozambique et plus largement dans le bassin de Madagascar en décembre 2019 et janvier 2020.
Quelles en sont les causes ?
Pour déterminer la cause, nous avons effectué une analyse approfondie de ce que l'on appelle les trajectoires lagrangiennes dans cette partie de l'océan. Cela revient à suivre la trajectoire d'un objet qui se déplace dans l'espace. Imaginez que vous observez une feuille flottant sur une rivière : au lieu de vous contenter de regarder le débit de la rivière, vous vous concentrez sur le voyage de la feuille, en suivant sa trajectoire et son évolution dans le temps.
Nous avons analysé le mouvement des parcelles d'eau (une masse d'eau aux propriétés similaires qui peut être suivie). Cela nous a permis de déterminer si les nutriments importants pour la croissance du phytoplancton provenaient de la côte est de Madagascar et du plateau continental du sud-est de l'Afrique. Nous avons ensuite cherché à savoir si la fertilisation de l'océan pouvait provenir de la sédimentation de poussières de l'air ou de l'atmosphère.
Nous avons constaté que dans les 60 jours précédant le début de l'efflorescence, environ 75 % des parcelles d'eau que nous avons suivies jusqu'à la zone d'efflorescence ne provenaient pas des masses terrestres voisines.
La floraison observée près de Madagascar a été provoquée par des poussières riches en nutriments provenant des zones arides frappées par la sécheresse dans les parties occidentales de l'Afrique australe. Les marais salants d'Etosha et de Makgadikgadi en Namibie et au Botswana, les marais et les rivières éphémères du désert du Namib côtier, ainsi que la ceinture de marais du sud-ouest du Kalahari, sont les principales sources de poussière de l'océan Austral et de ses bordures extérieures.
Portée sur de longues distances par le vent, cette poussière a été déposée dans les eaux de surface pauvres en nutriments au sud-est de Madagascar, à la suite d'épisodes de pluies intenses. Les floraisons de cette ampleur sont rares, mais l'augmentation des températures de l'air, l'assèchement croissant et les émissions de poussière plus importantes en Afrique australe pourraient rendre ces événements plus fréquents à l'avenir.
Comment les océans et la vie marine ont-ils été affectés ?
Les effets de la floraison de 2019/2020 sur le réseau alimentaire marin plus large dans les eaux au sud-est de Madagascar doivent encore être étudiés en détail. Mais cette abondance de nourriture aurait pu favoriser l'augmentation des populations de zooplancton et d'espèces de poissons dans la région. Les océans jouent un rôle clé dans l'absorption du dioxyde de carbone (CO₂) atmosphérique, ce qui en fait des régulateurs essentiels du climat. Lors de la floraison de 2019/2020, cette région est devenue un puits de carbone important en raison des taux élevés de photosynthèse observés. Ce processus, par lequel les plantes et les algues utilisent la lumière du soleil pour produire de la nourriture, entraîne l'absorption de grandes quantités de CO₂. Avec la prolifération du phytoplancton pendant cette période, une absorption significative de dioxyde de carbone a été enregistrée.
Une floraisons de phytoplancton de cette ampleur est rare. Celle-ci est la première du genre depuis le début des enregistrements des données satellitaires sur la couleur des océans, soit en près de 27 ans.
Les tendances actuelles des températures de l'air, de l'aridité et des émissions de poussière en Afrique australe laissent penser que de tels événements pourraient devenir plus fréquents à l'avenir. Associés aux récentes découvertes sur la fertilisation des océans par les méga-incendies provoqués par la sécheresse en Australie, nos résultats indiquent un lien potentiel entre le réchauffement climatique, la sécheresse, les émissions d'aérosols et les proliférations d'algues dans les océans.
La poussière qui fertilise l'océan et favorise l'augmentation des floraisons de phytoplancton pourrait contribuer à éliminer le carbone de l'atmosphère. Toutefois, cette hypothèse devra être confirmée par des recherches supplémentaires.
John A Gittings, Post-doctoral Researcher: Department of Biology, University of Athens