Burkina Faso: Gestion durable des terres - La « Mise en défens », une méthode gagnante à Dayagrtenga

26 Novembre 2024

A Dayagrtenga, une localité de la région du Plateau Central (Ziniaré), les populations utilisent une technique communément appelée « Mise en défens » pour récupérer les terres dégradées, autrefois impropres aux activités agricoles. Grâce à cette méthode ancestrale, les producteurs sont parvenus à transformer des terrains dénudés en de véritables forêts. Le processus génère également des revenus tout en atténuant les effets des changements climatiques.

Le domaine de Boureima Nassa contraste avec le paysage peu dense et clairsemé de Dayagrtenga, bourgade située à une trentaine de kilomètres de Ziniaré, dans le Plateau Central. Dans son espace de 2,89 hectares, le couvert végétal a refait surface. Des arbres, des arbustes, des herbes ... ont repoussé et reverdissent désormais ce champ, transformé en une quinzaine d'années, en un jardin botanique. La propriété du sexagénaire donne à découvrir une diversité floristique.

Des produits forestiers non ligneux et des plantes médicinales y ont poussé. Autrefois dénudé, cet espace est maintenant peuplé de pieds de pruniers d'Afrique ou Ximenia americana, de Guirras senegalensis, de kinkéliba ou de Combretum micranthum, de dattiers du désert ou de balanitès aegyptiaca appelé keglga en mooré, de jujubiers, de viteria, de kapokiers, de nérés, des lianes, d'acacias ... En tout, Boureima Nassa a répertorié, sur son terrain, plus de 1 000 arbres appartenant à 45 espèces différentes, utilisés pour l'alimentation et les soins de santé, aussi bien chez les hommes que chez les animaux.

Fière allure, les mains dans le dos, le vieux Nassa parcourt, ce mercredi 31 juillet 2024, le résultat d'une ancienne technique de récupération de terres dégradées, encore appelée la Mise en défens (MED). Il l'a adopté depuis 2009, pour permettre aux écosystèmes de sa portion de terre, jadis aride et sèche, de régénérer naturellement.

Mettre en jachère un espace sécurisé

« La Mise en défens est une méthode qui consiste à clôturer, à sécuriser un espace pour restreindre l'exploitation et l'accès par les hommes et les animaux, de sorte à récupérer et à restaurer le couvert végétal », explique le chef de service départemental en charge de l'Environnement de Zitenga, le lieutenant des Eaux et forêts Robert Doulkom. Dans la pratique, ajoute-t-il, le terrain est protégé par une haie vive défensive et laissé en jachère pendant plusieurs années, empêchant toute exploitation agricole, pastorale et forestière. « Dans le Plateau Central, la technique fonctionne bien », affirme le chef de service départemental en charge de l'environnement de Zitenga.

La Mise en défens est développée dans ce nouveau format, depuis 2006 par l'organisation non gouvernementale (ONG) Tiipaalga (nouvel arbre, en langue officielle mooré), dans sa lutte contre la dégradation des terres et la désertification au Sahel, indique l'inspecteur des

Eaux et forêts, Serge Zoubga, chargé de programmes chez l'ONG Tiipaalga. Elle est mise en oeuvre dans le cadre d'un partenariat avec l'initiative de la Grande muraille verte pour le Sahel et le Sahara (IGMVSS) au Burkina Faso. Selon l'inspecteur Zoubga, 156 MED ont été réalisées dans la région, sur une superficie de 470 hectares.

Au niveau national, plus de 400 sites sont mis en défens. Sur les terres où la MED a été expérimentée, le « désert » a laissé place à une végétation plus dense, une terre fertile, un climat plus doux et une température plus basse. « Si l'appui technique est bien fait, les arbres sont bien plantés, nous avons des taux de réussite entre 90 et 100%, en matière de récupération des terres », ajoute Serge Zoubga. Le Lieutenant Robert Doulkom se convainc que la Mise en défens aide à l'adaptation et à la résilience des plantes face aux changements climatiques. « Les espaces protégés constituent des puits de carbone. Les arbres séquestrent le carbone et purifient l'air. Ce qui fait baisser la température », soutient-il.

Une végétation luxuriante

A une dizaine de kilomètres à l'ouest du domaine du vieux Nassa, se trouve celui de Lamoussa Zoundi, encore plus dense et verdoyant. Sur ces lieux, une végétation luxuriante y procure un climat tempéré avec une température en dessous de la moyenne. D'une superficie de 3,08 hectares, cet espace, mis en défens depuis 2010, est sécurisé par des grillages, en plus de la haie vive défensive. «

A l'exception de quelques grands arbres, le milieu était complètement aride et l'herbe même ne poussait pas », développe M. Zoundi qui admet avoir « beaucoup hésité » avant d'adopter la MED. Une fois le terrain acquis et clôturé, celui qui a porté un t-shirt estampillé « docteur du sol » a réalisé, par endroit, des ouvrages agro-écologiques notamment des cordons pierreux, des demi-lunes et du zaï, pour retenir l'eau et faciliter la poussée des arbustes, des arbres et des herbes.

« Après des années de mise en oeuvre de cette pratique, le sol s'est reconstitué et enrichi naturellement, des herbes et des végétaux ont poussé naturellement. On a obtenu ainsi un sol fertile et très riche sur lequel, on peut pratiquer de l'agriculture. C'est aussi ce procédé qui m'a permis d'avoir cette forêt. J'ai donc planté quelques arbres fruitiers comme des citronniers, des orangers..., par endroit », souligne Lamoussa Zoundi que le forestier décrit comme l'un des « meilleurs élèves » de la MED dans la localité.

« On trouve une bonne et une grande diversité floristique dans son domaine. C'est plus

riche en matière de ressources floristiques. Nous y avons des espèces en voie de disparition », dit-il. Pour ces cas précis, il énumère, entre autres, le karité, menacé par la carbonisation, les carriebirga, abattu pour le bois d'oeuvre. La propriété compte aussi des plantes pourvoyeuses de produits forestiers non ligneux tels que le néré, le karité, le moringa, la gomme arabique, les lianes, le baobab, le tamarinier, le raisin local ... « Nous encourageons les espèces locales. Parce que notre objectif est que le producteur ait des produits forestiers non ligneux grâce auxquels il se soigne, se nourrit, vit », indique le chargé de programmes chez l'ONG Tiipaalga, Serge Zoubga.

Dans le parc de M. Zoundi, plus de 1 800 plants d'une cinquantaine d'espèces utilitaires ont été répertoriés. La propriété de Lamoussa Zoundi sert aussi d'habitats et de refuges fauniques, pour de nombreux animaux qui s'y nourrissent et s'abreuvent dans les retenues d'eau. Protégés des feux de brousse, de la divagation des animaux et des prédateurs, de nombreux oiseaux, reptiles, rats, lièvres, francolins, insectes, papillons... qui avaient disparu dans la localité y ont réapparu, donnant à cette flore, des éléments fauniques. « Le milieu extérieur est très agressif. Donc ce lieu est un refuge pour eux », atteste le lieutenant des Eaux et forêts.

Des havres agricoles

Rasmané Ouédraogo, un autre producteur, a pu relever le défi de la récupération des terres dégradées. Il a à son actif, 3,09 hectares avec une diversité de spéculations produites. L'on y trouve du maïs, du mil, du haricot, des arachides... sous les pieds de karité, de néré, de nimiers, de baobab, cailcédra, etc. La densité et la diversité des jeunes arbres issus des pousses naturelles entretenues tranchent avec les exploitations agricoles voisines, clairsemées de quelques pieds sur un sol aride.

Ce condensé de plantes ligneuses libère de la fumure organique qui nourrit le sol et les cultures, soutient le chargé de programmes de l'ONG Tiipaalga, Serge Zoubga. Aussi, grâce au Bassin de collecte des eaux de ruissellement (BCER) creusé sur la parcelle « mise en défens » qui lui permet de stocker les eaux de pluie jusqu'au mois de mars-avril, Rasmané Ouédraogo fait du maraichage sur cette potion qui représente, selon lui, moins de 20% de sa superficie.

Le vieux Ouédraogo, comme les autres producteurs de MED, est autorité à exploiter une bande de 10 à 12 mètres, tout autour de la clôture. Il mène des activités agricoles sans apport d'engrais, ni de pesticides, mais seulement, des biofertilisants. Donc, Rasmané Ouédraogo y cultive du chou, de la laitue, des épinards, des auberges, de la tomate, des oignons, de l'oseille de Guinée, etc. « C'est grâce à la MED si ce sol est fertile et cultivable. Avant c'était nu. Il n'y avait rien du tout, même les grands arbres souffraient. Maintenant, je cultive des légumes, mais aussi du riz. J'arrose mes plants avec l'eau retenue dans le BCER », indique le vieux Ouédraogo.

« ... mon grenier »

A Dayagrtenga, la MED a non seulement restauré les sols, mais aussi amélioré la vie des producteurs. Pour le Lieutenant des Eaux et Forêts, Robert Doulkom, cette technique de RNA qui contribue à restaurer les écosystèmes permet également de garantir la sécurité alimentaire, en luttant contre la faim et la pauvreté. Robert Doulkom fait savoir que l'exploitation des domaines « mis en défens » permet d'améliorer véritablement et significativement les conditions de vie des ménages.

« Mon champ mis en défens est comme mon grenier ... Je vis de cela et nourris ma famille », soutient Lamoussa Zoundi, champion national en fabrication d'engrais liquides, fait à base de champignons, de feuilles mortes et d'herbes sèches, extraits dans son périmètre mis en jachère. « Les avantages de la MED sont nombreux ... J'exploite toutes les ressources disponibles ici dans la fabrication du compost », souligne M. Zoundi. Grâce à la vente de l'engrais naturel et aux formations qu'il dispense pour la fabrication du compost, le quinquagénaire brasse des millions F CFA, chaque année.

A l'image de Lamoussa Zoundi, Boureima Nassa dit également tirer de nombreux avantages de son champ mis en défens. Les fruits, graines, feuilles des produits non ligneux récoltés sont consommés, transformés ou vendus, témoigne-t-il. Il estime ces recettes à, au moins 500 000 F CFA par an. Le fourrage naturel fauché dans son domaine est aussi consommé par ses animaux ou vendu pour plus de 250 000 F CFA l'an.

Le bois est commercialisé. L'herbe est aussi fauchée et vendue pour la paille. Environ 250 000 F CFA. Une autre source de revenus issue de la mise en défens vient de l'apiculture. Sieurs Nassa et Ouédraogo ont installé, chacun dans son périmètre, une vingtaine de ruches d'abeilles qui produisent, selon eux, plusieurs dizaines de litres de miel par an. « Je gagne beaucoup d'argent dans la vente du miel », se contente de dire Rasmané Ouédraogo, moins prolixe sur les sommes amassées. « Dans le jardinage aussi, je gagne beaucoup », précise-t-il.

Procurer des revenus supplémentaires

La Mise en défens possède un potentiel économique énorme, permettant de lutter contre la pauvreté et de rendre les producteurs autonomes, estime le forestier Robert Doulkom. Lamoussa Zoundi, Boureima Nassa, Rasmané Ouédraogo ... assurent, tous, tirer leur épingle du jeu, grâce aux activités menées au sein des propriétés mises en défens. « Avec les activités que je mène ici, j'arrive à avoir des revenus pour m'occuper de ma femme et de mes enfants, les nourrir, les habiller, les soigner en cas de maladies, payer les frais de scolarité de mes enfants », affirme Rasmané Ouédraogo.

Dans la région du Plateau Central, la MED renforce la biodiversité, fournit des ressources alimentaires alternatives et offre des sources de revenus additionnels aux producteurs. « La forêt et la terre étant une ressource naturelle, nous voulons que les familles paysannes puissent gérer cette richesse de façon durable, en maintenant les écosystèmes, à les régénérer, mais aussi à vivre grâce aux fruits, de sorte à changer leurs conditions de vie », insiste le chargé de programmes de Tiipaalga, Serge Zoubga.

Pour mieux exploiter et valoriser les ressources disponibles dans les périmètres mis en défens, une société coopérative regroupant les producteurs de la commune de Zitenga a été créée en 2023. Dirigée par Saidou Ouédraogo, 68 ans, Chevalier de l'Ordre du mérite du développement rural, avec agrafe Environnement, depuis 2016, cette association est un

cadre de partage d'expériences des meilleures pratiques en matière de protection de l'environnement, de lutte contre la désertification, de récupération des terres dégradées et d'adaptation aux changements climatiques.

« Grâce à la MED, des terres sèches et très pauvres sont devenues des terres riches et fertiles sur lesquelles, on cultive toute sorte de spéculations et on a de bons rendements agricoles. Il reste à l'association de valoriser et promouvoir tout ce qui se trouve à l'intérieur des espaces protégés », se réjouit-il. Rasmane Ouédraogo se souvient de l'époque où sa portion de terre était à l'abandon, l'érosion ayant eu raison du sol, avec seulement quelques pieds de vieux arbres, dénudés de feuillages.

Une technique à multiplier

« Au début, les gens se moquaient de moi, parce que l'endroit était sec. Ils disaient que je me fatigue et que rien ne pouvait pousser. Aujourd'hui, ce sont les mêmes qui viennent visiter et me demandent de les aider à faire des Mises en défens. Ils paient le fourrage pour leurs animaux, la paille, le miel, le soumbala (produit issu de la transformation des graines de néré), le beurre de karité, les citrons... avec moi », raconte Rasmané Ouédraogo.

Selon lui, l'une des conséquences des changements climatiques, est la famine et la pauvreté, alors que les activités menées dans la MED procurent aux producteurs des revenus supplémentaires. Pour le vieux Ouédraogo, c'est une initiative à multiplier au regard des nombreux avantages qu'elle offre aux communautés. Un point de vue partagé par le forestier Doulkom. « C'est une technique qu'il faut encourager surtout avec les changements climatiques, parce qu'elle permet de récupérer les terres dégradées et au sol, de se régénérer. Ces milieux sont complètement différents des milieux extérieurs », insiste-t-il, en ajoutant qu'elle est pourvoyeuse de sources de revenus au profit des producteurs.

En attendant, les promoteurs plaident la résolution des difficultés liées principalement au manque d'eau pendant la saison sèche. « L'une des plus grandes difficultés, c'est le manque d'eau. Sinon, il y a une panoplie d'activités qui peuvent être menées en saison sèche », affirme Saidou Ouédraogo, président de la coopérative. Il déplore la défaillance des bassins de collecte des eaux de ruissèlement que les exploitants ont creusés à main nue. En n'ayant pas respecté les consignes en matière de réalisation de ce type d'ouvrages, ces retenues d'eau sont défectueuses et ne parviennent pas à se remplir en saison des pluies.

 

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