En dépit des gros efforts déployés, jusqu'ici, pour assurer la protection de l'enfance contre toute forme de violence et de crime en milieu scolaire, il est encore tôt pour crier victoire, étant donné le laxisme et l'inefficacité qui ont, par le passé, émaillé ce combat. Pour approfondir la réflexion à ce sujet, nous avons donné la parole à Ghosn El Mersni, docteur en sociologie et universitaire spécialisé dans le domaine psychosociologique. Entretien.
Un groupe d'élèves, accompagnés par leurs enseignants, récemment accueillis à la direction générale de la police judiciaire d'El Gorjani, à Tunis, en guise d'initiative de sensibilisation à la protection de l'enfance contre toute forme de violence en milieu scolaire. Qu'en pensez-vous?
Bien évidemment, on ne peut que saluer ce genre d'initiative. Une première qu'il faut apprécier, dans la mesure où on a atteint un tel stade qu'il est tout à fait déconseillé de baisser la garde ou de lésiner sur les moyens dans cette cause nationale qu'est la lutte contre les phénomènes de la violence et de la drogue qui menacent encore les établissements scolaires. Se contenter de miettes ou tomber en panne d'idées, c'est laisser la porte ouverte aux abus. Donc, ce qui s'est passé dernièrement à El Gorjani devrait perpétuer, en le généralisant à toutes les régions du pays où il y a du pain sur la planche.
Dans la foulée, j'ai appris une autre nouvelle non moins réconfortante, à travers les promesses faites, récemment à l'ARP, par la ministre de la Femme, de la Famille, de l'Enfance et des Personnes âgées, annonçant la mise en place, en 2025, d'un plan de communication préventive et de sensibilisation destiné aux membres de la famille, via la création du «portail de la famille» qui consiste en la distribution de supports de communication dans le domaine de l'éducation et de la sensibilisation aux comportements à risque, dont l'addiction.
Est-ce suffisant pour faire mouche ?
Bien sûr que non. Certes, tout cela est beau et prouve qu'on n'est, heureusement pas, en train de regarder la réalité du terrain en spectateur désintéressé. Toutefois, j'insiste personnellement sur la nécessité, autant dire l'obligation de joindre la parole aux actes. Sinon, on ne sortirait pas de l'auberge.
Concrètement, que faire pour assainir et sécuriser nos établissements scolaires contre les menaces de la violence et de la consommation des stupéfiants ?
Il s'agit là d'une oeuvre collective durable et pas conjoncturelle. Une cause pour la défense de laquelle doivent s'impliquer toutes les parties concernées, à savoir les ministères de l'Education, de l'Intérieur, de la Justice, de la Femme et de la Santé, ainsi que les composantes de la société civile, les médias et, bien entendu, les parents.
C'est, d'ailleurs, de cette façon que s'opère cette oeuvre en Occident, avec, de surcroît, le soutien actif et financier du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et du Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef).
Outre le phénomène de la violence, dont sont victimes élèves et enseignants, le problème de la consommation des stupéfiants en milieu scolaire reste posé. Pourquoi ? A votre avis, les solutions pratiques existent-elles réellement ?
La déviance n'est pas un phénomène nouveau chez les enfants et les jeunes scolarisés. Son caractère multiforme et ses causes résultent de plusieurs enjeux tant personnels que sociaux, pédagogiques et économiques.
Depuis quelques années, la montée de ce fléau inquiète les pouvoirs publics, malgré la floraison des initiatives et résolutions entreprises. D'après les observations empiriques, je pense que l'aboutissement de ces efforts se trouve rallié à la priorisation des mesures répressives envers la délinquance et le peu de préoccupations naissantes envers les types de conduites déviantes prohibés par les normes sociales informelles et les règles formelles de notre système éducatif. Il faut d'abord comprendre les déterminants personnels et contextuels liés aux conduites déviantes, se pencher ensuite sur la catégorisation existante du contexte tunisien et enfin concevoir des outils de recherche appropriés à l'application et à la compréhension de la déviance scolaire.
Il y a aussi le non moins grave danger de l'addiction, n'est-ce pas ?
La psychologie sociale aborde la problématique des addictions dans une approche non pathologique. En ce sens que la consommation des stupéfiants est à définir selon les différents types de consommateurs. Généralement, les conduites addictives distinguent la consommation de substances psycho-actives, dont certaines sont considérées à faible potentiel addictif et celles à fort potentiel addictif, ce qui correspond à la distinction communément faite entre les drogues douces (tabac, alcool, inhalants...) et les drogues dures (cocaïne, héroïne, cannabis..).
Ce qui inquiète le plus, à mon avis, c'est le développement continu du fléau de la drogue dans nos murs et sa capacité, non encore brisée, d'investir le milieu scolaire. En atteste une étude récente réalisée en Tunisie qui a démontré, entre autres révélations effrayantes, que les élèves sont de plus en plus exposés aux stupéfiants qu'ils jugent trouvables et accessibles.
D'ailleurs, si l'on se réfère aux statistiques de 2022 de l'Institut national de la santé, on constate que 7% de nos enfants ont consommé de la drogue et que 10% d'entre eux ont consommé leur première prise avant l'âge de 16 ans. La même étude va encore plus loin, en rapportant que l'accès aux stupéfiants est si facile que 16,3% des élèves estiment que l'achat d'une dose est simple et que 5,2% ont «sniffé» du benzène ou de la colle. En définitive, je reste persuadé que l'intensification de la présence policière devant et autour des écoles et lycées est vivement recommandée, mais loin d'être suffisante pour résoudre, à elle seule, ce problème extraordinairement complexe.