Membre fondateur de l'Association des femmes atteintes et affectées par le cancer (AFAC), Issoufou Belem s'investit profondément dans la lutte contre cette maladie au Burkina Faso. Malgré son âge avancé, il déploie toujours son énergie aux côtés des victimes pour combattre ce fléau insidieux. Plongez dans l'univers d'un héros !
Ce n'est pas un guérisseur traditionnel mais plutôt un attaché en santé mentale admis à la retraite depuis 2020 qui consacre dorénavant ses « vieux jours » pour éradiquer le cancer féminin sous toutes ses formes au Burkina. Issoufou Belem fait rêver des femmes plongées dans le désespoir de cette « sale maladie ». Ce choix n'est pas hasardeux. Son engagement débute en 2011, lorsque Habibou Belem, sa tendre épouse est diagnostiquée malade du cancer du sein à la suite d'une biopsie.
D'un centre de santé à un autre, impossible de trouver une solution. Son état se dégradait. Mme Belem est alors contrainte de subir une ablation du sein
« malade ». Mais, sa santé reste fragile. Elle bénéficie alors d'un voyage thérapeutique au Ghana pour la radiothérapie puis d'une évacuation en Tunisie pour une prise en charge totale.
Malheureusement, à son retour de la Tunisie, son état s'empire et elle rend l'âme en 2017. « Nous avons fait de notre mieux pour la sauver. Dieu en a décidé autrement », relate-t-il encore sous le choc. En 2012, alors que sa femme est diagnostiquée du cancer, il explique lui avoir proposé de se mettre en communion avec Rosalie Ziba, une de ses amies et voisine de quartier atteinte de la même maladie, pour mettre en place une structure de lutte contre les cancers féminins.
Aider les malades à se prendre en charge
Car, outre elles, quatre autres femmes voisines souffraient du même mal dans leur entourage. Ensemble, elles décident de mettre en place l'Association des femmes atteintes et affectées par le cancer (AFAC). Au regard du coût élevé du traitement du cancer, hors de portée des patients démunis, l'AFAC se fixe pour objectif principal d'aider les malades à se prendre en charge. Issoufou Belem qui en est l'instigateur ne se contente pas de lancer l'idée de créer l'association. Il veille à la concrétisation du projet. « C'est lui qui a rédigé tous les documents. Que ce soit le règlement intérieur et les statuts. Il nous a même accompa-gnés à la police pour récupérer le récépissé », narre Rosalie Ziba, actuelle présidente de l'association. Pour elle, l'AFAC lui doit son existence.
L'unique homme, membre de l'association, est considéré comme le « mari » des femmes de l'AFAC. Les activités de l'association se résument essentiellement à la sensibilisation, au soutien aux malades à travers une assistance financière et à des visites régulières pour leur apporter du réconfort.
Marie Thérèse Hien, 63 ans, malade du cancer du col de l'utérus témoigne avoir bénéficié de la visite des membres de l'AFAC à maintes reprises. A chaque fois qu'ils sont venus, atteste Mme Hien, Issoufou Belem était à la tête de la délégation. Pour lui, le soutien psychologique est le premier remède dans le combat contre le cancer. "Dans l'entendement général, le mot cancer rime avec mort à tel point que lorsqu'on annonce à une personne qu'elle a un cancer, elle est toute suite paniquée », affirme l'ancien enseignant à l'école nationale de santé publique.
Déterminé malgré le décès de son épouse
En cela, les visites orga-nisées par l'AFAC auprès des malades sont très importantes de son point de vue. C'est pourquoi, il se porte toujours volontaire pour conduire l'équipe avec son véhicule. « Lorsque tu es assise seule dans ton salon, malade, angoissée et qu'une telle association se mobilise ne serait-ce que pour t'apporter une assistance psychologique, cela est immense », confirme Mme Hien. Voir un homme comme Issoufou Belem autant engagé pour une cause féminine est salué par les membres de l'AFAC.
Elles sont d'autant plus admiratives vis-à-vis de M. Belem que malgré le décès de son épouse en 2017, il n'a pas baissé les bras. Bien au contraire ! Lucie Rouamba est la trésorière de l'AFAC. Elle a intégré l'association en 2014, suite au décès de sa mère, du cancer du sein en 2013. Dès son intégration, l'engagement de M. Belem est la chose qui a le plus retenu son attention. « Peu importe la sollicitation et quelle que soit l'heure, il répond toujours. Son engagement va au-delà du simple don de soi. Une des difficultés des femmes de l'AFAC, c'est l'inaccessibilité aux ressources financières. Il a même mis à contribution ses ressources malgré ses moyens modestes pour aider les malades. A un moment donné, nous n'avions plus de siège. C'est chez lui, à domicile que les activités se tenaient », affirme-t-elle.
Un sacerdoce
Mais, déjà, grâce à Issoufou Belem, l'AFAC a bénéficié de deux financements pour assurer une meilleure prise en charge sanitaire des victimes du cancer. Bien qu'elle soit « minime (150 000 F CFA) », dit-elle, cette aide a apporté une bouffée d'oxygène aux bénéficiaires, au regard du coût élevé des soins. « Il n'y a pas plus attristant que de dépister une femme atteinte du cancer surtout, celle qui n'a pas les moyens pour se prendre en charge », se désole Mme Ziba.
Après plusieurs expériences douloureuses à voir des femmes dépistées du cancer passer de vie à trépas, faute de moyens pour se soigner, le dépistage
est désormais exclu des activités. Aujourd'hui, la structure intervient plus dans la sensibilisation et les visites à domicile. Et même pour ces activités, le manque de moyens pèse comme un couperet. N'eut été le « sacerdoce » de certains membres comme M. Belem, même les visites à domicile ne pourront plus être menées, confie Mme Ziba, ancienne secrétaire au ministère de la santé.
« Actuellement, nous n'avons pratiquement rien dans nos caisses. Nos ressources se limitent à la simple cotisation annuelle des membres qui s'élève
à 1 000 F CFA, l'année », confie la trésorière. Mu par la volonté d'aider les malades et las de rester impuissant face au désarroi de certains membres, Issoufou Belem a émis l'idée en 2016 d'organiser un dîner gala, en vue de recueillir des fonds pour leur venir en aide.
Une idée productive, car elle a permis de récolter plus de 12 millions de FCFA, en une soirée. Cette somme a servi, aux dires de Rosalie Ziba, à contribuer aux frais de chimiothérapie d'une vingtaine de femmes avec
une subvention allant de 200 000 F à 500 000 F CFA. L'argent mobilisé a aussi permis de prendre en charge des orphelins d'autres membres décédés à travers un don de vivres.
L'argent, le nerf de la lutte
Malheureusement, les malades sont actuellement laissés à elles-mêmes sous le regard impuissant du « philanthrope » et de la présidente. « Ce n'est pas la volonté qui nous manque, mais comme on le dit, l'argent est le nerf de la guerre. Peu importe votre volonté, si vous n'avez pas d'argent, c'est difficile de faire quoi que ce soit", soutient Mme Ziba. Son voeu le plus ardent, c'est la manifestation des personnes de bonne volonté pour venir en aide à la structure.
Dans la même logique, le président de la Coalition burkinabè contre le cancer (COBUCAN), Pr Nahi Zongo, sonne une mobilisation générale dans la lutte contre le cancer au Burkina. De son point de vue, plusieurs efforts sont déjà faits par le gouvernement à travers le ministère de la Santé en facilitant l'accessibilité de l'écho-mammographie, principal moyen de dépistage gratuit du cancer du sein dans les hôpitaux publics.
Bien qu'étant une réalité, le cancer n'est pas une fatalité, aux dires du Pr Nahi Zongo. Une détection précoce permet des traitements moins lourds et moins couteux, avec une bonne chance de guérison complète de 94%. Pour celles dont le cancer est déjà dépisté également, l'espoir est permis. Au Burkina Faso, tous les pans du traitement sont disponibles. La radiothérapie, un des éléments clés des traitements, est même rendue gratuite.
Ce qui constitue une bouffée d'oxygène pour les malades car le coût moyen d'un traitement par radiothérapie au Burkina est estimé à 1,8 millions FCFA. Cependant, les autres types de traitement demeurent inaccessibles à la plupart des patientes du fait de leur coût élevé. Le seul point d'orgue pour les patientes demeure leur coût.
« Je ne dors plus »
Dame K. (nom d'emprunt) a été dépistée malade du cancer du col de l'utérus. Depuis le début de l'année, elle est en attente d'une chimiothérapie qui devrait l'aider à vaincre le mal. Mais faute de moyens, difficile pour elle de la réaliser. Avec un mari à la retraite et des enfants toujours à la charge de leurs parents, aucune porte de sortie ne semble s'ouvrir devant la quinquagénaire. Elle ne trouva d'autres alternatives que de se tourner vers le Fonds national de solidarité (FNDS), une structure intervenant dans la prise en charge des malades indigents. Son espoir sera de courte durée.
Les possibilités pour une prise en charge totale restent peu probantes. Même si elle se dit reconnaissante des énormes efforts faits par le gouvernement pour les personnes souffrant du cancer, de nombreux défis demeurent. Parmi ces défis, Issoufou Belem pointe du doigt l'achèvement du centre de cancérologie du Centre hospitalier universitaire de Tengandogo. Ce centre devra permettre une prise en charge holistique de tous les types de cancer au Burkina à l'image d'autres pays. Mais, rassure le ministre de la Santé et de l'Hygiène publique, Dr Lucien Robert Kargougou, les travaux sont fin prêts. Ce centre sera doté de technologie de dernière génération. Il va concentrer en lui seul, des équipements d'un niveau très élevé.
Transmettre la fibre à la progéniture
Le rêve de Issoufou Belem pourrait donc être une réalité plus tôt que prévu. Il nourrit aussi le secret de transmettre la fibre du sacerdoce à ses enfants. A la retraite depuis 2020 après une trentaine d'années de service, il pense avoir joué sa partition. Il souhaite voir son combat être poursuivi par ses enfants. C'est le cas de sa fille cadette, Faridatou Belem. Agée de 20 ans aujourd'hui, l'autopalpation des seins est devenue un réflexe pour elle après chaque menstruation.
Malgré qu'elle ne soit pas encore membre de l'AFAC, Faridatou Belem participe déjà aux activités, aux côtés de son père. Piquée par le virus du « bon samaritain », celle qui a opté pour le journalisme entend poursuivre le même combat mais autrement : se servir de sa plume ou du micro pour sensibiliser. Elle envisage s'impliquer davantage dans les différentes activités de l'association. Loin d'avoir terminé, son géniteur garde quant à lui le dynamisme de poursuivre l'oeuvre jusqu'au dernier souffle.