- «Les élèves qui échouent au PSAC, doivent pouvoir redoubler...»
Depuis quelque temps déjà, les syndicalistes du monde de l'éducation tirent la sonnette d'alarme sur les lacunes de la réforme de l'ancien régime Jugnauth-Dookun, comme l'échec de la filière «Extended Programme» ou la promotion automatique des grades 7 à 9. Ils ont pu, cette semaine, aborder plusieurs aspects avec le nouveau ministre de l'Éducation, Mahend Gungapersad. Selon le président de l'United Deputy Rectors and Rectors Union, Harrish Reedoy, le ministre fraîchement élu est presque sur la même longeur d'ondes qu'eux sur plusieurs points. Plusieurs stakeholders du secteur éducatif ont ensemble passé en revue les dix dernières années sur le plan éducatif, notamment la réforme.
Les points saillants qui sont ressortis sont : l'Extended Programme, qui devrait définitivement être revu, l'indiscipline à l'école, plus particulièrement l'utilisation des téléphones portables dans les établissements scolaires ; mais aussi, le manque de personnel et le retard dans les manuels scolaires, qui se sont grandement fait sentir cette année. La question des trois crédits au School Certificate a aussi été abordée. «L'ancienne ministre de l'Éducation n'a jamais été à l'écoute. En quatre ans, nous n'avons eu qu'une seule rencontre et cela à cause du Covid-19. Et c'était une one-way communication où nos paroles ne valaient rien. On espère que les choses seront différentes cette fois», poursuit Harrish Reedoy. Dans une conversation à bâtons rompus, il évoque ses préoccupations et ses propositions.
Vous avez exprimé des préoccupations concernant la réforme du Nine-Year Continuous Basic Education (NYCBE). Pourquoi estimez-vous qu'elle représente une occasion manquée de transformer l'éducation à Maurice ?
La réforme NYCBE visait à moderniser l'éducation et à offrir une opportunité équitable à chaque élève de réussir, quel que soit son contexte socioéconomique. Cependant, malgré des intentions nobles, cette réforme n'a pas atteint ses objectifs en raison de lacunes importantes dans sa conception et sa mise en oeuvre. D'une part, il y avait un manque de planification stratégique, notamment des ressources nécessaires pour soutenir les élèves et les enseignants. D'autre part, la réforme n'a pas suffisamment intégré les réalités sociales et économiques de nombreux Mauriciens.
Les infrastructures scolaires restent inadéquates dans de nombreuses écoles publiques, ce qui entrave la qualité de l'enseignement. Par ailleurs, l'accent a été mis principalement sur l'évaluation des résultats académiques sans réellement s'intéresser au développement des compétences pratiques et émotionnelles des élèves. De plus, le système n'a pas su s'adapter à l'évolution rapide des attentes sociétales, comme l'importance des compétences numériques et entrepreneuriales. En résumé, la réforme aurait pu être un véritable tournant pour Maurice, mais elle a manqué sa cible.
Quels problèmes spécifiques identifiez-vous dans les écoles primaires publiques ?
L'éducation primaire publique à Maurice est confrontée à de multiples défis. Premièrement, les infrastructures scolaires sont souvent vétustes. Par exemple, plusieurs écoles publiques fonctionnent encore dans des bâtiments datant des années 1970 ou 1980, peu adaptés aux besoins actuels des élèves. À cela, s'ajoute le manque d'équipements modernes, tels que laboratoires de sciences ou salles informatiques. Contrairement à cela, les écoles privées investissent massivement dans des technologies de pointe, ce qui crée un déséquilibre flagrant.
Deuxièmement, le programme d'études ne met pas suffisamment l'accent sur les compétences pratiques et linguistiques. Dans un pays bilingue comme Maurice, les compétences orales en anglais et en français sont cruciales, mais elles sont négligées. À titre de solution, je propose que les examens du Primary School Achievement Certificate (PSAC) incluent une évaluation orale en anglais et en français. Cela motiverait les enseignants et les élèves à renforcer leurs compétences en communication. L'évaluation actuelle des compétences en anglais et en français oral au PSAC est trop élémentaire. Elle se limite à des exercices comme la lecture de phrases simples ou la répétition de mots et de courtes phrases. Cela ne suffit pas pour développer les compétences de communication nécessaires pour s'exprimer efficacement, que ce soit dans un cadre scolaire ou au-delà.
Il est essentiel de comprendre que, dès leur jeune âge, les élèves doivent être exposés à des situations plus interactives et pratiques. Par exemple, des activités comme des dialogues guidés, des jeux de rôle simples ou des mini-présentations adaptées à leur âge pourraient leur permettre de développer une aisance dans l'expression orale. Ces activités les aideraient également à renforcer leur confiance en eux tout en améliorant leur vocabulaire et leur prononciation. Si nous souhaitons que nos élèves soient bien préparés à interagir dans un monde où l'anglais et le français jouent un rôle clé, il est impératif de revoir cette évaluation pour y inclure des méthodes qui encouragent une véritable utilisation fonctionnelle de la langue. Ainsi, nous poserons des bases solides pour leur apprentissage futur et leur réussite dans un environnement de plus en plus compétitif.
Pensez-vous que l'échec au PSAC et la promotion automatique en grade 7 pour tous aggravent les problèmes ?
Absolument. La promotion automatique des élèves qui échouent au PSAC est une solution à court terme qui crée des problèmes durables. Ces élèves passent au secondaire sans avoir maîtrisé les bases académiques essentielles, ce qui les place en situation d'échec dès les premières années du secondaire. Cela contribue à des taux élevés d'abandon scolaire et de frustration chez les enseignants, qui doivent enseigner à des classes hétérogènes avec des écarts considérables de compétences. Je propose que les élèves échouant au PSAC soient autorisés à redoubler pour combler leurs lacunes. Ceux qui échouent à deux reprises devraient alors être orientés vers des programmes de Technical and Vocational Education and Training (TVET). Ces programmes combinent apprentissage académique et formation pratique, offrant ainsi des débouchés professionnels concrets. Des pays comme l'Allemagne et Singapour ont démontré l'efficacité de tels systèmes.
Passons à l'éducation secondaire. Quels problèmes identifiez-vous dans l'«Extended Programme» introduit par la réforme NYCBE ?
L'Extended Programme (EP) visait à soutenir les élèves rencontrant des difficultés académiques, mais les résultats ont été décevants. Par exemple, le taux de réussite au National Certificate of Education (NCE) des élèves en EP est resté extrêmement bas, avec seulement 2,15 % en 2023 et 8,9 % en 2024. Cela montre que le programme n'est pas adapté aux besoins spécifiques de ces élèves. Les élèves du EP peinent souvent à suivre le programme académique standard, même avec un délai prolongé. Plutôt que de continuer à pousser ces élèves dans un système qui ne leur correspond pas, il serait préférable de les orienter vers des parcours professionnels ou techniques plus adaptés, intégrant des compétences pratiques comme la menuiserie, la plomberie ou les technologies de l'information. Cela pourrait leur offrir des perspectives d'emploi et réduire le taux de décrochage scolaire.
Vous avez également évoqué l'indiscipline croissante dans les écoles secondaires, notamment liée à l'usage des téléphones portables. Pourquoi cette question est-elle si préoccupante ?
Les téléphones portables perturbent gravement l'environnement d'apprentissage. Ils sont souvent utilisés pour des activités non éducatives, comme le cyberharcèlement, la tricherie ou l'accès à des contenus inappropriés. Cela nuit à la concentration des élèves et augmente les conflits en classe. De nombreux pays, comme la France, ont interdit l'usage des téléphones dans les écoles, et cela a eu un impact positif sur la discipline et la qualité de l'enseignement. À Maurice, il est impératif que le ministère de l'Éducation adopte une politique similaire. Cela permettra de créer un environnement plus propice à l'apprentissage et d'envoyer un message fort sur l'importance de l'éducation.
Quels autres problèmes d'indiscipline observez-vous dans nos écoles ?
En plus de l'usage des téléphones, l'intimidation, le tabagisme et les grossesses précoces posent des défis majeurs. Pour lutter contre l'intimidation, il faut une politique de tolérance zéro et une formation des enseignants à la gestion des conflits. Concernant le tabagisme, des campagnes de sensibilisation conjointes avec le ministère de la Santé pourraient dissuader les jeunes de commencer. Pour les grossesses précoces, l'éducation sexuelle reste la meilleure solution. Nous devons offrir aux élèves des connaissances adaptées à leur âge sur les relations, la santé reproductive et la prise de décisions responsables. Ces programmes doivent inclure les parents pour une meilleure efficacité.
Le système d'académies a suscité beaucoup de débats. Que pensez-vous de leur impact ?
Les académies ont accentué les disparités dans le système éducatif mauricien. Elles regroupent les meilleurs élèves, tandis que les écoles régionales se retrouvent avec des élèves ayant des résultats moyens. Cela a des effets négatifs sur la motivation des enseignants et des élèves dans les écoles régionales, qui se sentent souvent marginalisés. L'objectif initial était de regrouper les ressources, d'améliorer l'offre éducative et de donner aux élèves un accès équitable à une éducation de qualité. Cependant, son impact réel doit être analysé de manière approfondie.
Mais, d'un autre côté, ce système a posé des défis importants. Premièrement, il y a une perte de continuité pour les élèves qui, après avoir passé les examens du NCE, doivent quitter leur école secondaire pour intégrer une académie. Ce changement peut être déstabilisant, surtout pour les élèves qui ont besoin de plus de stabilité dans leur parcours éducatif. Deuxièmement, la transition vers une académie éloignée de leur domicile impose parfois des trajets longs et fatigants, ce qui affecte leur performance scolaire et leur bienêtre général. De plus, certaines académies n'ont pas encore atteint le niveau de qualité promis en termes de gestion, d'infrastructures ou d'offre éducative diversifiée. Cela a conduit à des frustrations parmi les parties prenantes. Ces défis montrent qu'une révision approfondie de ce système est nécessaire. Il serait judicieux de mener une consultation nationale impliquant les parents, les éducateurs et les élèves pour évaluer les aspects positifs et négatifs des académies.
L'enseignement en ligne, expérimenté pendant les fermetures d'écoles, a-t-il été un succès ?
Malheureusement, l'enseignement en ligne n'a pas été à la hauteur des attentes. De nombreux élèves, surtout ceux issus de familles vulnérables, n'ont pas eu accès aux équipements comme des tablettes ou ordinateurs, ni à une connexion Internet fiable. Cela a exacerbé les inégalités existantes. Pour améliorer cette situation, le gouvernement doit investir dans des outils numériques pour les élèves et les enseignants, tout en garantissant une couverture Internet dans toutes les régions. De plus, il est crucial de former les enseignants à l'utilisation des technologies éducatives pour optimiser l'apprentissage en ligne.
En termes de programme, y a-t-il un décalage entre le NCE et les exigences du SC?
Oui, il existe un écart significatif. Le NCE ne prépare pas adéquatement les élèves aux attentes académiques plus rigoureuses du SC. Cela explique pourquoi de nombreux élèves réussissent le NCE, mais échouent en Grade 10, car ils ne maîtrisent pas les compétences requises. Il est essentiel de revoir le programme du NCE pour qu'il soit davantage aligné sur les exigences du SC. Cela inclut le développement des compétences analytiques et la capacité de gérer des contenus académiques plus complexes. Une réforme de ce type garantirait une transition plus fluide entre ces deux étapes critiques.
Que pensez-vous de la promotion automatique des Grades 7 à 9 ?
La promotion automatique est une politique problématique, car elle permet aux élèves de progresser sans maîtriser les bases nécessaires. Cela crée des lacunes d'apprentissage qui se manifestent par des échecs dans les classes supérieures. Pour résoudre ce problème, je propose de conditionner la promotion à la maîtrise des compétences fondamentales. Cela pourrait impliquer des interventions ciblées pour aider les élèves en difficulté, comme des cours de rattrapage ou un soutien personnalisé.
Enfin, quels sont les besoins prioritaires pour améliorer la gestion des écoles publiques à Maurice ?
Un des besoins les plus pressants est le manque de personnel administratif dans les écoles. Par exemple, les postes de Disciplinary Masters et Section Leaders doivent être pourvus rapidement pour assurer une gestion plus efficace. Ensuite, il est important de former davantage d'enseignants pour qu'ils puissent mieux répondre aux besoins des élèves rencontrant des difficultés académiques, sociales ou émotionnelles. Enfin, nous devons investir dans des infrastructures modernes et dans un système éducatif qui valorise autant les compétences pratiques que les connaissances académiques. Cela nécessite une vision à long terme, soutenue par des consultations régulières avec les parties prenantes. C'est en travaillant ensemble, en tant que communauté éducative, que nous pourrons transformer l'éducation à Maurice pour le bénéfice de tous nos enfants.