La situation sur le dossier des Chagos est passé en phase plus dynamique. Olivier Bancoult se fait chahuter par les pro-BIOT à Pointe-aux-Sables. Nigel Farage, un des leaders tapageurs du référendum de 2016 sur le Brexit, s'y est trouvé une nouvelle «cause» à promouvoir. Aux États-Unis, le sénateur Kennedy de Louisiane s'oppose, avec des clins d'oeil malicieux, à la souveraineté de Maurice sur les Chagos. Pendant ce temps-là, Navin Ramgoolam recevait Jonathan Powell, National Security Advisor britannique et envoyé spécial du PM, sir Keir Starmer.
Si le nouveau PM mauricien s'est dit étonné que l'annonce d'un accord sur les Chagos ait été faite à quelques semaines des élections générales au pays, avec des sous-entendus que cette annonce était tactiquement utile pour le gouvernement de Pravin Jugnauth, il n'en a été, en fait, rien ! Le résultat sans appel des élections indique, en effet, que l'électorat n'était pas dupe et comprenait que tout accord serait finalisé avec un État et pas avec un parti politique quelconque, fût-il même étiqueté comme celui de «Lepep».
Navin Ramgoolam aurait demandé deux semaines pour consulter les hommes de loi, qui s'occupent du dossier, et pour réfléchir. Il voudra sans doute essayer de mettre «sa» marque sur l'accord final. Cependant il aurait intérêt à se concentrer sur l'essentiel. Farage, les échauffourées de Pointe-aux-Sables et le Kennedy de la Louisiane, c'est ce que l'anglais appellerait du «noise». Quand le journal anglais The Independent titre, mercredi, «Starmer faces 'total humiliation ' with Chagos deal on brink of collapse», en précisant que cela se passerait «in the next 48 hours», on peut mettre cela aussi au compte des «fritures sur la ligne», engendrées par des manoeuvres diverses, alliant intox et propagande.
Clairement les Britanniques n'auraient pas fait leur proposition sans l'aval de leur... locataire à Diego. Selon The Independent, les agences de sécurité des États-Unis soutiennent le bail de 99 ans avec Maurice, comme le Département d'État, le Pentagone et la Maison Blanche ! Les accusations que la souveraineté mauricienne sur les Chagos est une menace à cause des liens privilégiés entre Port-Louis et Pékin (alors que l'Inde veille !) ne convainc plus personne. Seulement voilà, c'est Trump qui sera en selle le 20 janvier prochain et son opinion (ainsi que celle de Marco Rubio, le prochain secrétaire d'État) pourrait bien être «impérialiste» au point d'embarrasser Londres, le très fidèle partenaire des Américains depuis des lustres... C'est ainsi, d'ailleurs, que Powell, après sa courte visite à Navin Ramgoolam, s'est très naturellement dirigé vers Washington pour essayer de s'assurer aussi du soutien de l'équipe Trump.
Le principal argument retenu par Londres et Washington en faveur de l'accord sur les Chagos a été de reconnaître la nécessité, pour ses promoteurs, de respecter l'ordre international mondial, afin de pouvoir le défendre, voire l'imposer, à des pays tierces. Ne pas respecter une résolution des Nations Unies ou un jugement de l'ICJ mine l'ordre international mondial et permet alors plus d'arbitraire et de chaos: invasions de pays voisins, non-respect des lois commerciales, unilatéralisme en Mer de Chine, occupation illicite des terres d'autrui, comme en Cisjordanie. Les Anglo-américains de bonne foi l'auront bien compris. Le défi pour Ramgoolam est de ne pas trop faire le difficile s'il veut d'une solution. L'alternative serait de jouer les durs ou de jouer la montre et de payer des hommes de loi pour longtemps encore...
Un accord négocié ne pourra jamais être parfait. On chipotera sur le montant du loyer, sur les clauses restrictives, sur la durée du bail, sur le principe de l'accord lui-même, mais ce qui est clair, c'est que la situation des 60 dernières années a été intolérable et que tout accord officialisant notre souveraineté aux Chagos sera une avancée.
Il ne faut surtout pas donner à Trump un prétexte de plus.
Les premiers jours du nouveau gouvernement seront, sans doute, les plus faciles. On demande à ceux de l'ancien régime de partir, on annonce, on proclame, on promet et on commence à dialoguer. On déclare la guerre aux rats, au peu de productivité du port, aux immondices qui brûlent, aux punaises, aux monopolisateurs de la pêche. La suite sera beaucoup plus compliquée ! Il reste encore à identifier les personnes compétentes et intègres pour prendre le relais, avec le minimum de calcul politique si l'on veut vraiment, comme proclamé, d'institutions indépendantes. Il faudra faire un état des lieux, établir des priorités, voir ce qu'il y a dans les tiroirs, continuer avec ce qui est bien fait et prendre des décisions difficiles et, probablement controversées, là où cela se passe moins bien.
Parmi les grands chantiers douloureux où il faudra confronter les mauvaises habitudes qui nous coûtent chers : l'économie du pays, qui rend tout le reste possible et qui doit, pour cela, sûrement être LA priorité. Les premiers signaux sont que le gouvernement l'a compris : le PM garde les finances parce qu'il sait qu'il y aura des décisions difficiles à prendre ; Rama Sithanen est stratégiquement posté à la Banque centrale et un degré de planification économique sera réintroduit sous la responsabilité de Jyoti Jeetun. Un audit majeur de l'état des finances du pays est en cours pour déterminer les grandes vérités économiques qui nous confrontent, mais nous en savons déjà pas mal grâce à Kushiram, Hasnah, Axys et certains autres.
Le déficit de la balance commerciale est effrayant et se détériore. Si nos exportations progressent un peu (Rs 110 milliards en 2024), elles ne couvrent plus que... 36 % de ce que nous importons, environ 20 % de ces importations représentant les produits pétroliers, dont on dit vouloir se débarrasser grâce aux énergies renouvelables, mais avec bien peu de succès jusqu'ici... La balance des comptes courants, qui comptabilise les recettes du tourisme, sans l'apport hasardeux de l'offshore est en déficit de 12 % du PIB, ce qui est dramatique ! En effet, c'est ce «trou»-là, parmi d'autres, qui flingue la valeur et la disponibilité de la roupie...
Petite note de satisfaction cependant : le taux du dollar est à peu près stable autour de Rs 46,50 depuis avril, mais on ne sait pas à quel coût et on ne peut pas dire que les devises ont été, par ailleurs, librement disponibles. La clé ici sera de trouver rapidement comment gagner plus de devises ou en dépenser moins afin de rétablir la confiance dans la parité de la roupie. Aucune des solutions prévisibles (tarifs à l'importation, dévaluation, quotas d'importation, subventions aux exportations, gains de productivité majeurs...) ne seront sans douleurs. Il y a des «trous» à boucher partout. Le déficit budgétaire et l'endettement national demanderont de grands sacrifices qu'un 14e mois ne saurait qu'aggraver...
Apres l'économie, il ne restera alors qu'à régler le défi du commerce de la drogue (qui consomme des devises, mais n'en génère pas !) ; rétablir une éducation nationale de qualité pour tous (est-ce bien le but des syndicats et de la bureaucratie ministérielle ?) ; rapidement privatiser le port afin de le sortir de son état catatonique actuel et d'en faire et, de loin, un leader régional ; éliminer les corps paraétatiques inutiles ou si peu utiles et professionnaliser les autres ; mieux gérer les déchets ; accélérer la transition vers 50 % d'énergie renouvelable ; réduire les fuites d'eau sur le réseau à 25 % ; optimiser les services hospitaliers ; libéraliser les lois du travail pour favoriser l'investissement ; produire et exporter plus. Tout le reste sera du gâteau, par comparaison...
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La réalité est qu'une voiture électrique ne coûtera moins cher au pays en consommation pétrolière et ne produira moins de CO2 que si la part d'énergie renouvelable dans notre mix de production électrique dépasse un certain seuil. 50 % au minimum ? Le gouvernement sortant n'a jamais publié de chiffres précis à cet effet, s'est seulement contenté d'annoncer un objectif de 60 % de «renouvelable» à échéance de 2030 et a affiché le bilan lamentable d'avoir procédé dans la direction opposée à cet objectif (19,2 % de renouvelable en 2022 ayant été réduit à 17,2 % en 2023 !). Comme aurait dit Bobby Hurreeram : il y a de la planche sur le pain !
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En voyant les files de voitures débordant largement sur l'autoroute vendredi soir , à Bagatelle et à Tribeca, je me suis dit que c'était l'héritage Padayachy ! Le mauricien est devenu un consommateur forcené ! Et ce ne sont surement pas des ceintures qu'il achètera ...
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Finalement, si vous avez un peu plus qu'une demi-heure, écoutez les professeurs américains Sachs et Beckley (*) sur l'avenir de la Chine et ses relations avec les Etats-Unis, pour confirmer combien le monde qui nous attend sera, à la fois, incertain et complexe... Édifiant !