Ile Maurice: La Transition, un pilier invisible de la Démocratie

1 Décembre 2024

Dans les heures suspendues qui séparent la fin d'un mandat du début d'un autre, la démocratie dévoile, souvent, sa fragilité et sa force. La passation de pouvoir n'est pas un simple exercice administratif ; elle est une démonstration silencieuse de la résilience des institutions et des fonctionnaires. Et pourtant, ce moment fondateur de toute gouvernance est souvent négligé, des fois saboté. Pourquoi ? Parce qu'il exige une humilité que peu de dirigeants possèdent. La transition est un acte de reconnaissance : celui que le pouvoir ne leur appartient pas, mais qu'il est un outil temporaire au service du bien commun.

Le geste de Soodesh Callichurn, ancien ministre du Travail, est, à cet égard, une leçon à retenir. Ce lundi 25 novembre, il a rencontré son successeur, Reza Uteem, pour lui transmettre dossiers et responsabilités. Ils ont échangé, non comme des adversaires, mais comme deux maillons d'une même chaîne. Ce geste, rare à Maurice, mérite d'être salué. Trop souvent, l'ego des dirigeants les pousse à refuser le dialogue, à ignorer les besoins de continuité. Nos Premiers ministres, malgré l'importance de dossiers comme les Chagos ou Agalega, évitent de se rencontrer lors des alternances politiques.

Mais signe encourageant : malgré la saisie de ses coffres-forts en février 2015, Ramgoolam n'a pas (encore ?) rendu la monnaie de sa pièce à Pravind Jugnauth qui, avant de s'envoler hier soir pour Londres, a eu accès au State Lounge en compagnie de sa famille. Le PM n'a pas donné des instructions au Home Affairs pour l'embarrasser. Au contraire, il aurait donné sa bénédiction. C'est ainsi que l'on devrait traiter un ancien PM, et non pas comme un vulgaire voyou que la police saisit par le collet, pour le dénigrer aux yeux de tous. Ramgoolam montre ainsi sa stature d'homme d'Etat qui se place au dessus des envolées pré-électorales ou des règlements de comptes des esprits petits.

******

La transition demeure une nécessité. Aux États-Unis, 75 jours séparent l'élection de l'investiture du nouveau président. Ce laps de temps n'est pas une lenteur, mais une opportunité : celle de préparer l'avenir, de permettre aux institutions de se stabiliser. Lors de la récente passation entre Joe Biden et Donald Trump, malgré des tensions historiques, un respect mutuel des rôles a émergé. Trump, vainqueur de l'élection, a reconnu l'importance de ce moment, tandis que Biden, dans un geste rare, a tendu la main à son adversaire. Ce n'était pas un acte de courtoisie, mais une démonstration que la démocratie transcende les individus.

En France, les passations de pouvoir entre ministres suivent un protocole semblable. Mais elles manquent souvent d'authenticité. Les discours et poignées de main masquent parfois des ambitions personnelles ou des tensions larvées. Les cabinets ministériels, ces rouages essentiels de l'État, sont balayés, créant une instabilité institutionnelle. Ces gestes symboliques manquent souvent de profondeur, laissant les techniciens de l'État naviguer dans un vide organisationnel.

Chez nous, la situation est autrement plus préoccupante. Nous gaspillons nos ressources humaines en ostracisant systématiquement ceux qui ne font pas partie du camp victorieux. Cette exclusion est non seulement injuste, mais aussi suicidaire. Pourquoi amputons-nous ainsi nos capacités ? Parce que nous avons adopté une vision binaire du pouvoir, où chaque alternance est perçue comme une revanche et non comme une transition. Nous avançons sur une seule jambe, avec un oeil fermé, sans jamais chercher l'équilibre.

La transition est pourtant une opportunité unique. Elle permet aux sortants de transmettre leurs réussites et d'expliquer leurs échecs. Elle offre aux nouveaux arrivants la chance de comprendre les enjeux en cours et de poursuivre, si nécessaire, les projets de leurs prédécesseurs. Mais pour cela, il faut accepter que le pouvoir est éphémère, que chaque mandat n'est qu'un chapitre dans l'histoire d'une nation. Ceux qui s'y accrochent, qui refusent de transmettre leur savoir, trahissent l'essence même de la démocratie.

Les grandes démocraties nous montrent que la transition est un pilier de leur stabilité. À Maurice, nous préférons les querelles stériles. Nous avons oublié que la politique n'est pas une guerre, mais un contrat social. Et dans ce contrat, la transition est une clause fondamentale. Si elle échoue, c'est la continuité de l'État qui vacille.

Le geste de Soodesh Callichurn, bien qu'anodin en apparence, est un modèle à suivre. Il a montré que même dans la défaite totale, il est possible de penser au bien commun. Si nous voulons avancer en tant que nation, nous devons institutionnaliser ces pratiques, les rendre incontournables. La passation n'est pas seulement un acte administratif. Elle reflète qui nous sommes en tant que peuple. Elle est un miroir, un test de maturité.

Peut-être qu'un jour, à force de débats, de réflexions et d'efforts, nous serons prêts. Prêts à voir nos dirigeants comme des serviteurs et non des maîtres. Prêts à comprendre que la démocratie ne se mesure pas à ses élections, mais à ses transitions. C'est dans ces moments silencieux, presque invisibles, que se jouent l'avenir et la stabilité d'une nation. Car chaque transition, si humble soit-elle, est une pierre ajoutée à l'édifice fragile mais magnifique de la démocratie.

AllAfrica publie environ 600 articles par jour provenant de plus de 110 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.