Il aura passé 50 ans au CEB, ayant gravi les échelons de l'adolescence à la retraite. Une décennie plus tard, il vit avec sa famille en France, mais reste toujours en contact avec son pays qu'il a servi en vrai patriote. Rentré pour de courtes vacances, il partage avec nous sa riche expérience et livre sans langue de bois un constat de ce service public dans un contexte où le pays est à la croisée des chemins... et fait face à d'importants défis énergétiques et environnementaux.
Racontez-nous ce parcours d'un demi-siècle au service du CEB.
Après mes études secondaires au collège New Eton à Rose-Hill, j'ai intégré le CEB comme apprenti ouvrier en mai 1966 à l'âge de 16 ans. L'apprentissage avant d'atteindre le statut d'ouvrier était de sept ans avec une rémunération de Rs 2,50 par jour en première année, augmentée de 25 sous chaque année. L'apprenti devait suivre une formation générale dans toutes les sections techniques de l'entreprise pendant deux ans avant d'être posté dans une filière mécanique (centrale thermique /hydraulique) ou électrique (différents services réseaux). L'ambiance était très conviviale et les anciens aidaient beaucoup les plus jeunes pour une bonne intégration dans l'entreprise.
Étant donné mon niveau de scolarité, j'étais fortement encouragé par mes pairs à prendre des cours de trois ans par correspondance pour un diplôme de technicien supérieur (City & Guilds de Londres). Parallèlement, j'ai rapidement gravi les échelons pour devenir le plus jeune opérateur de centrales hydrauliques à 18 ans. En 1969, j'ai obtenu une bourse d'études et je suis devenu ingénieur électromécanique en 1975 à l'École d'électricité et de mécanique industrielles Violet à Paris.
De retour au CEB, j'ai été brièvement posté au département Transport et Distribution avant de prendre la responsabilité de la centrale de Saint-Louis pour l'installation de nouveaux moteurs diesel de 1978 à 1981. J'ai été transféré en 1984 au siège à Curepipe pour finalement occuper le poste de directeur de la Production en 1988. J'ai pris ma retraite en 2014 comme adjoint du directeur général (DG), ayant été promu à ce poste en 2006. J'ai été rappelé en avril 2015 pour occuper le poste de DG. J'ai malheureusement dû mettre un terme à mes responsabilités en octobre 2016 pour des raisons de santé.
Cela fait presque 10 ans que vous avez quitté le CEB. Quel est votre constat de son évolution depuis ?
Après une absence de près de dix ans, je constate que le parcours du CEB a été plutôt compliqué avec des changements très fréquents au niveau du DG... ce qui n'est pas très sain pour une entreprise de cette importance. L'effort entamé dans les énergies renouvelables s'est toutefois poursuivi à un rythme satisfaisant, tandis que l'investissement dans les nouveaux moyens de production de base pour remplacer les unités vieilles de plus de 30 ans a été nul. Je n'ai pas non plus constaté beaucoup de consolidation du réseau de distribution, nécessaire avec l'émergence de cyclones de plus en plus puissants à travers le monde.
Patrick Assirvaden, avec qui vous avez travaillé pendant trois ans, est le nouveau ministre de l'Énergie et des Services publics. Qu'en pensez-vous ?
Le choix de M. Assirvaden dans la conjoncture est un choix logique, eu égard au fait qu'il connaît bien la maison pour avoir été à la tête de conseil d'administration pendant de longues années. Le défi conjoncturel pour lui est toutefois considérable dans un contexte financier exécrable. Mais il saura sans nul doute s'entourer des meilleurs éléments pour le conseiller sur les orientations et choix techniques nécessaires pour l'avenir.
Maurice prévoit de produire 60 % de sa consommation d'énergie à partir de sources durables d'ici 2030. Plusieurs experts en parlent comme d'un fantasme. Pensez-vous cet objectif réalisable ? Comment gérer les ressources en eau et l'environnement pour réussir ce passage ? Faudrait-il faire appel à des étrangers ?
L'objectif de 60 % d'énergies renouvelables pour 2030 paraît certes difficile à ce stade, étant donné le contexte financier actuel, mais cet objectif devrait être maintenu. L'île de la Réunion a déjà atteint 100 % avec la conversion de toutes ses centrales charbon en centrales biomasse et plus de 200 MW de moteurs diesel utilisent déjà des biocarburants. Je pense que nous devrions nous rapprocher de l'EDF, comme ce fut le cas dans le passé, pour tirer profit de leur expérience dans la problématique d'un mix énergétique optimal pour notre pays et tenir compte d'une bonne balance avec la gestion des ressources en eau et l'impact sur l'environnement. Des progrès considérables dans l'éolien offshore ont été constatés dans beaucoup de pays, et à mon avis, ce créneau n'est pas à négliger pour le long terme à Maurice, comme à Rodrigues. Dans les court et moyen termes, il conviendrait de revisiter le projet CCGT, mis au placard dans des conditions obscures pour remplacer la centrale de Fort-George.
En 2015, vous aviez affirmé qu'il n'y avait aucun risque de délestage. Aujourd'hui vous maintenez ces propos ? Qu'en est-il des projets pour moderniser la production d'électricité, dont la production à partir de gaz liquéfié ?
Le risque de délestage partiel aux heures de pointe n'est pas à exclure. En effet, quand on réalise que les turbines à combustion de Nicolay sont de plus en plus sollicitées pour la demande quotidienne, il y a de quoi s'inquiéter. La pointe a déjà atteint 525 MW. La défaillance des vieux moteurs à Fort-George ou au niveau des Independent Power Producers (IPP) pourrait en effet nous entraîner dans ce scénario. Malheureusement malgré d'énormes investissements dans des batteries de stockage, il ne semble pas que ces unités puisse participer raisonnablement à la demande en heure de pointe. Sur 38 MW de batteries, leur contribution en pointe ne dépasse guère 5 MW. Il conviendrait donc de savoir pourquoi et d'adresser rapidement ce problème avant de considérer d'autres investissements semblables à hauteur de plusieurs milliards.
Vous étiez en poste quand l'appel d'offres a été lancé pour l'installation de moteurs à la centrale de St-Louis. Ensuite il y a eu le scandale entourant ce contrat. Que s'est-il réellement passé ?
Concernant l'affaire St-Louis, j'ai bien sûr été choqué, comme tout le monde d'ailleurs, de l'ampleur de ce scandale. J'ai toujours eu confiance dans tous ceux impliqués directement dans le suivi de ce projet et je suis heureux qu'ils aient été réintégrés, car je connais leur compétence et leur expérience. Beaucoup de leçons doivent être retenues de cette affaire et, en particulier, le rôle et la responsabilité des consultants. La Vérité est comme le Soleil et nul ne peut le cacher. J'aime beaucoup cet extrait de la Bhagavad-Gita: "Whatever happened, happened for the good. Whatever is happening, is happening for the good. Whatever will happen, will also happen for the good."
Si vous aviez un conseil à donner au nouveau ministre, quel serait-il ?
L'avantage du nouveau ministre est sa connaissance du système et des cadres techniques. Il lui faudra donc rétablir un cadre serein dans l'entreprise pour qu'un vrai travail d'équipe puisse se faire comme par le passé et démolir cette culture du secret, qui empêche les ingénieurs compétents de s'exprimer librement et de s'épanouir. Au cours de ma longue carrière de cinq décennies, j'ai connu une pléthore de ministres de l'Énergie et des Utilités publiques... du Dr Busawon à Joe Lesjongard.
J'en retiendrai deux, comme des personnes remarquables, notamment Mahen Uchanah et Ivan Collendavelloo. Le premier ayant occupé ce poste ministériel pendant plus de 15 ans a été le parrain des plus grands investissements stratégiques du CEB dans des moyens pour garantir à la population une fourniture adéquate. Il est très dommage que son image ait été ternie par le scandale politico-financier des turbines de Nicolay... portant indûment à lui seul le chapeau...
La mandature d'Ivan Collendavelloo fut certes de plus courte durée mais elle fut marquée par des décisions stratégiques à long terme dans les énergies renouvelables et le développement thermique des moyens de production de base à Maurice, comme à Rodrigues. Il m'a toujours soutenu de manière indéfectible dans divers projets, le dernier étant l'augmentation de la capacité de la retenue de Sans-Souci de 30 %, projet déjà amorti en seulement trois années après sa mise en service.
Que diriez-vous à un jeune qui débute et qui veut servir son pays ?
Tout jeune intégrant le CEB doit s'intéresser globalement à tout ce qui se fait au niveau de l'entreprise dans tous les départements divers et faire du travail une prière, comme le dit Khalil Gibran. Pour revenir aux jeunes, j'aimerais leur dire de se perfectionner dans leur formation de base plutôt que de s'engager dans des formations parallèles avec le seul objectif d'étoffer leur CV. Trop d'heures de travail sont inutilement gaspillés pendant des années à cette fin au détriment de l'entreprise.
Vous avez eu un long parcours au CEB et vous avez toujours gardé le contact. Seriez-vous disposé à partager vos connaissances et compétences, si les autorités vous le demandaient ?
Mon état de santé exclut tout travail de consultant permanent localement, mais je reste disposé à donner un avis ponctuel ou à échanger avec les consultants sur certains dossiers techniques, si les responsables le souhaitent.