La nouvelle Constitution du Gabon, fruit d'un dialogue national, limite les mandats présidentiels, renforce le pouvoir exécutif et introduit des critères d'éligibilité pour la présidence tout en interdisant la transmission dynastique. Elle a été approuvée à 92 % lors d'un référendum, le 16 novembre, avec un taux de participation de 53,54 %.
Alors que le pays amorce sa transition vers un régime civil, ces réformes divisent l'opinion et suscitent des interrogations sur l'avenir démocratique du Gabon. Porté par le général Brice Oligui Nguema, président de la transition de la République gabonaise, ce texte constitutionnel a suscité de vifs débats. Ses opposants ont dénoncé un projet « dictatorial », taillé sur mesure pour lui tandis que ses partisans ont salué un tournant démocratique.
Douglas Yates décrypte pour The Conversation Africa les motivations derrière cette réforme et les perspectives démocratiques qu'elle couvre.
Quels sont les principaux changements introduits dans la nouvelle Constitution du Gabon ?
La nouvelle Constitution a été élaborée à partir des contributions recueillies lors d'un dialogue national organisé au printemps. Sous la direction de l'archevêque catholique Jean-Patrick Iba-Ba, ce dialogue a produit une feuille de route visant à encadrer la durée et les modalités du gouvernement de transition. Cette initiative a rassemblé des acteurs politiques, des membres de la société civile, des leaders de la jeunesse, des chefs traditionnels, des représentants du clergé, et des personnes en situation de handicap, qui ont formulé plusieurs recommandations dont:
- la suspension des partis politiques jusqu'à la mise en oeuvre de nouvelles règles régissant leur réglementation;
- interdiction faite aux membres de l'ancien parti au pouvoir de participer aux élections pendant trois ans (les excluant des élections prévues en août 2025) et
- prolongation de 12 mois de la transition en cas de crise imprévue, au lieu de deux ans promise par la junte.
Les recommandations, qui ne sont pas contraignantes, ont été traduites en texte juridique puis soumises au président de transition.
Les 168 députés et sénateurs de la transition se sont réunis le 12 septembre durant 10 jours, sur convocation du chef de la transition, afin d'examiner et proposer des amendements au projet de Constitution rédigé par des experts et remis au général Nguema. Après son adoption en Conseil des ministres, le 17 octobre 2024, le gouvernement de transition a finalement rendu public le texte de la nouvelle loi fondamentale dans la soirée du 16 novembre 2024, qui crée un mandat présidentiel de sept ans renouvelable une seule fois, avec un régime présidentiel doté d'un pouvoir exécutif fort, sans Premier ministre et l'impossibilité d'une transmission dynastique du pouvoir.
La limite de deux mandats présidentiels consécutifs ne pourra faire l'objet d'aucune révision future. Cette disposition concerne également le mode d'élection au suffrage universel direct.
Autre nouvelle disposition : le service militaire devient obligatoire pour les filles comme pour les garçons. En faisant de la défense de la patrie un devoir civique, le gouvernement cherche à renforcer le lien entre les citoyens et l'État, qui a toujours été problématique pour les régimes militaires.
Enfin, les candidats à la présidentielle devront être exclusivement gabonais - avec au moins un parent né au Gabon - et avoir un conjoint gabonais. Donc sont éliminés Noureddine Bongo, le fils de l'ancien président Ali Bongo qui est de mère française, et Omar Denis Bongo, Jr, le cadet des enfants du feu Omar Bongo dont la mère est congolaise et les fils de l'ancien président Ali Bongo qui sont de mère française.
De nombreux Gabonais expatriés à Paris dénoncent une loi qu'ils considèrent comme "xénophobe", et mettent en avant la forte présence de personnes métissées au Gabon. Selon eux, il est injuste de créer une distinction entre différents types de citoyens gabonais.
Quelles sont les motivations derrière ces réformes constitutionnelles ?
Ce référendum est une étape clé du retour au régime civil. C'est aussi l'occasion de rompre avec un demi-siècle de régime de parti unique sous le règne du Parti démocratique gabonais (PDG - 1967-1991) et de régime dynastique corrompu sous le clan Bongo (1991-2023). Le vote retentissant du oui au référendum suggère que les autorités étaient considérées comme légitimes pour opérer cette rupture. Grâce aux machines à voter électroniques modernes, le décompte a été rapide et sans incident.
Empêcher une autre succession héréditaire de la dynastie Bongo est peut-être l'innovation la plus populaire. Le président de transition Brice Oligui Nguema a promis de rendre le pouvoir au terme d'une période de transition de deux ans, mais il ne cache pas son intention de participer à la présidentielle prévue en août 2025. S'il avait voulu quitter le pouvoir et retourner à la caserne, il aurait certainement inclus une disposition interdisant au président de transition de se présenter à la présidentielle.
Quels pourraient être les impacts de ces changements sur la stabilité politique du Gabon ?
Son succès dans la promotion de la démocratie dépend d'un processus électoral transparent et d'un contrôle garantissant qu'il n'y ait pas d'abus de pouvoir dans le nouveau cadre. De nombreux partis d'opposition accueillent avec prudence la limitation des mandats et l'interdiction du régime dynastique, mais restent sceptiques quant aux intentions de la junte.
Les règles d'éligibilité peuvent présenter des risques pour la tolérance ethnique et la sécurité en raison des critères d'exclusion en matière de participation politique. Par exemple, des exigences telles que la filiation gabonaise et les restrictions sur les binationaux pourraient exclure les groupes minoritaires ou les citoyens naturalisés, exacerbant potentiellement les tensions ethniques.
Bien que les Fangs (ethnie du président de transition et de son prédecesseur) représentent 42 % de la population, d'autres communautés expriment des inquiétudes concernant leur marginalisation, en particulier sur les questions de représentation au sein du gouvernement et de répartition équitable des ressources.
Quel impact ce référendum pourrait-il avoir sur le processus démocratique du pays ?
La mise en oeuvre de la nouvelle Constitution s'inscrit dans le processus de transition démocratique en cours au Gabon. Ce cadre prévoit la tenue d'élections en 2025. Après ces élections, le chef de l'État deviendra le seul détenteur du pouvoir exécutif. Il cumulera également les fonctions de chef du gouvernement. Par ailleurs, il disposera du pouvoir de dissoudre l'Assemblée nationale, sans que cette dernière puisse, en retour, censurer le gouvernement ou destituer le président.
Le risque est d'avoir un régime hyperprésidentiel, incarné par le général Nguema, et une concentration des pouvoirs. Aucun mécanisme n'est prévu pour limiter les abus de pouvoir dans ce régime présidentiel renforcé, hormis la nécessité de se présenter aux élections et la limite de deux mandats.
Les règles d'éligibilité strictes pour les candidats à la présidentielle risquent, on l'a vu, d'exclure certains acteurs politiques. La nouvelle Constitution prévoit une limite de deux mandats présidentiels de sept ans chacun. Si cette mesure empêche l'émergence d'un président à vie, elle confère au vainqueur la possibilité d'un mandat cumulatif de quatorze ans, une durée significative.
Cette évolution soulève des interrogations sur de cette réforme. Est-ce un véritable pas vers une gouvernance démocratique, ou un stratagème destiné à masquer la continuité d'un régime militaire sous des apparences civiles? La réponse pourrait dépendre, en grande partie, de la décision de Brice Oligui Nguema de se présenter ou non aux prochaines élections. S'il ne se présente pas, ce serait un signal clair en faveur d'une transition démocratique authentique.
Douglas Yates, Professor of Political Science , American Graduate School in Paris (AGS)