Afrique: Tirer les enseignements des retraits des missions de paix de l'ONU au Mali et en RDC

analyse

Les États hôtes de deux missions de paix emblématiques de l'ONU ont récemment sommé ces dernières de quitter leur territoire. De telles missions peuvent-elles encore enrayer les conflits : un remaniement est prévu pour que ces interventions onusiennes répondent mieux aux réalités actuelles.

À la fin de l'année 2023, l'opération de maintien de la paix au Mali, la Minusma, s'est retirée à la demande du gouvernement. Un tel retrait a également été demandé et initié - bien qu'actuellement suspendu - pour la Monusco en République démocratique du Congo (RDC).

L'avenir de plusieurs autres missions de paix onusiennes, par exemple la mission politique spéciale en Irak, est également en suspens. À l'heure où la géopolitique mondiale traverse de profonds bouleversements, il est essentiel de réévaluer le rôle des missions de paix dans les décennies à venir. Le Pacte pour l'avenir adopté par les États membres des Nations unies en septembre dernier charge l'organisation d'« adapter les opérations de paix aux défis actuels et aux nouvelles réalités » ; quel est l'avenir prévisible de ces missions dont plusieurs dizaines sont toujours en cours actuellement de par le monde ?

Retraits au Mali et en RDC

En 2023, le gouvernement malien a demandé le retrait de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), déployée en 2013 à la suite du déclenchement de plusieurs insurrections menées par des groupes djihadistes et séparatistes.

Le mandat initial de la mission était de soutenir les efforts de stabilisation de la région nord du Mali et le rétablissement de l'autorité de l'État dans l'ensemble du pays. Il visait également à soutenir des mesures de transition telles qu'une aide à l'organisation d'élections et la promotion d'un dialogue national entre les autorités maliennes et les communautés du nord.

Cependant, lorsque les insurgés islamistes ont commencé à regagner du terrain et à la suite des deux coups d'État survenus en 2020 puis 2021, la Minusma a éprouvé les plus grandes difficultés à garantir la sécurité dans la région. Une situation qui a engendré un mécontentement croissant à son égard au sein de la population. Une étude a montré qu'en février 2023, 57 % de la population urbaine malienne n'était pas satisfaite du travail de la mission.

En RDC, le gouvernement du président Félix Tshisekedi a demandé en septembre 2023 le retrait accéléré de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) d'ici à la fin 2024. Toutefois, ce plan a été suspendu en raison de l'escalade des tensions dans l'est du pays. Alors que la Monusco a achevé la première phase de son retrait du Sud-Kivu en juin 2024, aucun calendrier n'a été établi pour les phases suivantes. La Monusco, qui a succédé en 2010 à une mission antérieure en RDC (Monuc), est le déploiement le plus important et le plus coûteux de l'histoire des opérations de maintien de la paix des Nations unies. Elle a été mandatée principalement pour protéger les civils, aider à stabiliser la partie orientale du pays et soutenir le processus de consolidation de la paix.

Malgré de nombreuses réalisations notables, la Monusco a eu du mal à apporter une stabilité durable dans la région orientale, ce qui a suscité des doutes et le mécontentement de nombreux Congolais. Comme l'a souligné le professeur Kennedy Kihangi Bindu dans un récent témoignage, une enquête d'opinion menée par l'Université libre des Pays des grands Lacs à Goma a mis en évidence la perception pour le moins mitigée de la population du Nord-Kivu à l'égard de l'action de la Monusco. Si elle a connu des réussites, comme le succès de certaines opérations militaires et l'accompagnement de cycles électoraux, la multiplication des groupes armés et la résurgence des activités militaires de certains mouvements dans la région ont, au final, assombri le bilan de la mission onusienne.

Crise de confiance et de légitimité

Les cas de la Minusma et de la Monusco illustrent un « déficit de confiance » croissant et reflètent de surcroît une « crise de légitimité » des missions de paix de l'ONU. Les gouvernements et les populations des pays hôtes ont exprimé leur frustration face à l'incapacité perçue des missions à atteindre leurs objectifs, notamment en matière de stabilisation des régions touchées par les conflits, de protection des civils et de garantie d'une paix à long terme.

Malgré cette opposition, la recherche montre que le bilan des missions de paix est meilleur que ce que laissent entendre leurs détracteurs. Des études quantitatives démontrent que les opérations de maintien de la paix de l'ONU sont efficaces en ce qui concerne la réduction des pertes de combattants et de civils durant les conflits. La présence des Casques bleus favorise aussi la mise en oeuvre d'accords de paix à l'issue des affrontements. Ces deux effets sont renforcés lorsque des missions de paix politiques, missions politiques spéciales ou missions de bons offices existent également dans le pays.

Il demeure que les missions de l'ONU opèrent dans des environnements sécuritaires et géopolitiques complexes et dynamiques, aux prises avec des enjeux régionaux et transnationaux qui affectent profondément la manière dont elles sont mises en oeuvre et perçues par les gouvernements et par la population locale.

En outre, la présence de nombreux groupes armés complique de plus en plus leur travail, tout comme l'implication d'acteurs extérieurs dotés de leurs propres intérêts géopolitiques. Au Mali et en RDC, les missions de l'ONU sont ainsi devenues le théâtre de rivalités entre superpuissances, les acteurs internationaux les utilisant pour faire avancer leurs propres agendas politiques. Un exemple frappant est celui du Mali, qui a dénoncé début 2023 le rôle prédominant de la France dans l'élaboration des mandats de la Minusma au Conseil de sécurité de l'ONU. Cette prise de position s'inscrit dans le contexte plus large du renforcement des relations entre le nouveau régime malien et la Russie, matérialisé notamment par la présence croissante de la société de sécurité privée Wagner. De tels développements illustrent la façon dont les tensions entre acteurs globaux peuvent directement impacter les mandats et les opérations des missions onusiennes.

De nouveaux acteurs - sociétés de sécurité privées, coalitions régionales et forces militaires parallèles - jouent également un rôle grandissant dans les zones de conflit, compliquant encore plus la capacité de l'ONU à s'affirmer et à maintenir sa légitimité sur le terrain. Ces nouveaux acteurs opèrent souvent en dehors des cadres traditionnels de la diplomatie internationale et peuvent constituer des alternatives attrayantes pour les États hôtes.

L'évolution des missions depuis leur création en 1945

La fin de la Minusma et de la Monusco s'inscrit dans une tendance plus large de réduction du nombre total de missions de paix au cours des deux dernières décennies et de leur portée.

Les recherches menées par des équipes du Geneva Graduate Institute et de l'ETH Zurich montrent que plus de 140 missions de paix de l'ONU ont été déployées dans le monde depuis la création de l'organisation en 1945. Ce chiffre inclut non seulement les opérations de maintien de la paix, mais aussi les missions politiques spéciales et de bons offices. Le nombre de missions, leur type et leurs objectifs ont beaucoup évolué en raison des dynamiques liées à la nature des conflits et au contexte géopolitique.

Pendant la guerre froide (1948-1989), l'ONU a déployé quelques missions seulement, dont la majorité était des opérations de maintien de la paix. Leur mandat et leur portée étaient assez limités : elles étaient conçues principalement pour surveiller les cessez-le-feu et les zones tampons, par exemple entre l'Inde et le Pakistan, Israël et l'Égypte ou bien à Chypre.

La hausse du nombre de conflits armés intra-étatiques dans les années 1990 et les espoirs renouvelés dans la valeur de la coopération multilatérale après la fin de la guerre froide ont favorisé l'augmentation rapide du déploiement d'opérations de maintien de la paix « multidimensionnelles ». Celles-ci combinaient des tâches militaires mais aussi civiles pour encourager, entre autres, l'État de droit, les droits de l'homme et la promotion de la société civile. Au même moment, les missions politiques sont devenues plus fréquentes. Au total, un record de 58 nouvelles missions ont été lancées entre 1990 et 2000.

Ces deux dernières décennies, les tendances ont encore évolué. Face à un ordre mondial multipolaire marqué par des guerres civiles de plus en plus internationalisées et une concurrence géopolitique accrue, le nombre et la portée des nouvelles opérations de maintien de la paix se sont considérablement réduits. Le nombre de missions politiques, quant à lui, reste stable de sorte qu'elles dominent désormais le paysage des missions déployées par l'ONU.

Quel avenir pour les missions de paix ?

L'ONU demeure un forum unique et indispensable pour traiter des questions de paix et de sécurité internationales. Alors que la confiance dans ses missions de paix s'érode, il convient d'envisager une nouvelle voie.

Les experts suggèrent de repenser plus fondamentalement les solutions apportées par les missions de l'ONU, en s'appuyant sur un leadership courageux. Cela impliquerait, au minimum, de réfléchir à la pertinence et aux avantages comparatifs de l'ONU dans différents contextes.

Il faudrait également adapter les mandats aux besoins réels des États et des populations hôtes, à travers une écoute active. S'accorder avec les États hôtes sur les objectifs des missions, plutôt que d'imposer une approche unique, est crucial pour espérer rétablir la confiance et favoriser une paix durable. Comme l'a souligné un haut fonctionnaire de l'ONU lors d'un récent panel sur la Minusma, « nous sommes devenus trop à l'aise avec les concepts que nous avons développés ».

Le pacte pour l'avenir pourrait donc servir de plate-forme utile afin d'identifier les orientations futures de ces missions. Cependant, les efforts devront viser un dialogue inclusif, qui engage non seulement les États membres mais aussi la société civile, les acteurs locaux et les organisations régionales.

En conclusion, l'avenir des missions de paix de l'ONU dépendra de leur capacité à s'adapter à l'évolution du paysage mondial, à rétablir la confiance avec les pays hôtes et à surmonter les tensions géopolitiques qui compliquent souvent leur travail. Comme les cas de la Minusma et de la Monusco le démontrent, le moment est venu de réévaluer de manière critique la façon dont la communauté internationale abordera les missions de paix au cours des prochaines décennies.

Chiara Lanfranchi, Researcher · CCDP - Centre on Conflict, Development and Peacebuilding, Graduate Institute - Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Margaux Pinaud, Project Coordinator, Centre on Conflict, Development & Peacebuilding, Graduate Institute - Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Sara Hellmüller, Senior Researcher at ETH Zurich, Graduate Institute - Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

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