Après l'annonce tonitruante de Pravind Jugnauth lors du grand rassemblement de l'Alliance Lepep à Vacoas selon laquelle le 14e mois entrerait en vigueur dès cette année, Navin Ramgoolam était au pied du mur et se trouvait dans la quasi-obligation de formuler une contre-proposition. C'est ainsi qu'il prenait l'engagement auprès de la population que c'est sous son gouvernement que ce mois de gratification serait payé. Par la suite, il a réitéré qu'il tiendrait sa promesse peu importe l'état de l'économie et des finances publiques.
Clairement, Navin Ramgoolam n'a pas voulu prendre de risque inconsidéré et hypothéquer les chances de l'Alliance du Changement de remporter les élections générales. Mais il avait sans doute tort : ce n'est pas une mesure isolée et désespérée qui aurait fait gagner Pravind Jugnauth. Le raz-de-bol de la population était manifeste.
Quand le vin est tiré, il faut le boire ! Navin Ramgoolam le sait très bien. Surfant sur une vague de popularité, il ne pourra faire machine arrière et qu'honorer sa promesse électorale coûte que coûte, peu importe les implications économiques et financières, sous peine de décevoir la population. Car il y va de sa crédibilité en tant que chef du gouvernement.
Selon les calculs de Business Mauritius, l'application du 14e mois coûtera à l'économie la coquette somme de Rs 13,8 milliards. Ce coût sera réparti comme suit : Rs 12 milliards pour payer les 450 000 employés du secteur privé et Rs 1,8 milliard qui reviendront aux 85 000 fonctionnaires, incluant ceux travaillant dans les collectivités locales et les corps parapublics. Une charge financière colossale qui viendra s'ajouter à la compensation salariale de Rs 1 500 à Rs 2 000 payée en début d'année et à des instruments politiques comme le salaire minimum qui a augmenté de 29 % (de Rs 11 575 à Rs 15 000) et la relativité salariale, une mesure qui concerne 197 000 employés qui ont touché entre Rs 600 et Rs 2 925.
En ce mois de décembre, le paiement du 14e mois est le dossier prioritaire de l'administration Ramgoolam qui aura à trouver les fonds nécessaires pour, d'une part, verser cette gratification aux fonctionnaires et, d'autre part, soutenir, comme elle l'a promis, les petites et moyennes entreprises (PME) qui font déjà face à d'énormes problèmes de trésorerie. Et là, un problème de définition se pose. En effet, depuis l'adoption du Small and Medium Enterprises Act de 2017, une classe intermédiaire est venue s'imbriquer entre la moyenne entreprise et la grosse entreprise.
Il s'agit de la Mid-market entreprise, qui est définie comme une entreprise brassant un chiffre d'affaires de Rs 100 millions à Rs 250 millions. Donc, si le gouvernement se fonde sur cette définition légale pour actionner son mécanisme de soutien aux PME, il devrait uniquement voler au secours des entrepreneurs qui font moins de Rs 100 millions de revenus. Sur la base de ce scénario, un nombre conséquent d'entreprises pas forcément bien loties devront peut-être aller s'endetter pour honorer une promesse politique. Reste aussi à savoir quels seront les critères financiers qui seront pris en considération.
Est-ce que toutes les PME obtiendront 100 % d'aide de l'État ? Rien n'est moins sûr. Tout cela devrait être précisé dans le cadre législatif régissant le paiement du 14e mois dont la préparation a été confiée à l'Attorney General, Gavin Glover. Une autre question se pose ces jours-ci avec persistance : une partie des fonds non utilisés de Rs 26 milliards de la Mauritius Investment Corporation (MIC) sera-t-elle utilisée pour soutenir financièrement les entreprises pour le paiement du mois de gratification additionnelle ? Si l'on recourt à cette option, il faudra alors sans doute revoir les statuts de la MIC qui, à l'origine, devait soutenir les entreprises systémiques réalisant un chiffre d'affaires minimum de Rs 100 millions.
Il n'y a pas que le 14e mois. L'autre dossier brûlant sur lequel le Premier ministre et ministre des Finances devra se pencher, c'est bien sûr celui de la compensation salariale, avec les consultations tripartites qui devraient démarrer très prochainement. Indexée sur l'inflation, la compensation salariale sert avant tout à compenser la perte du pouvoir d'achat. Jusqu'à présent, malgré les griefs du secteur privé, les problématiques de productivité et de capacité de paiement n'ont jamais été prises en compte par les gouvernements qui se sont succédé dans le calcul final du quantum de la compensation salariale.
Cela dit, sur la base que l'inflation tournera autour de 4 % cette année, le quantum minimum que le gouvernement devrait décider, à l'issue des tripartites, est de Rs 600 par employé (4 % x Rs 15 000 - salaire minimum). Ce qui devrait ajouter une charge financière additionnelle d'environ Rs 3,2 milliards sur le secteur privé.
S'il est vrai que toute entreprise doit, dans l'élaboration de son budget, faire provision pour le paiement de la compensation salariale, il est tout aussi vrai qu'il y a eu depuis le début de l'année des éléments impondérables qui sont venus grossir les coûts salariaux.