Sa parole est de plus en plus rare, mais quand il décide de se confier, Didier Drogba devient intarissable sur de nombreux sujets. Dans la première partie* de cet entretien exclusif, organisé par la Ligue de football professionnel (LFP), l'ancien attaquant de l'OM se mue en défenseur acharné du championnat de Ligue 1. Mais il n'oublie pas de parler de son « OM » et d'évoquer avec justesse les déboires actuels de l'attaquant français Kylian Mbappé.
On vous voit plus souvent en France. Dernièrement, c'était lors de la cérémonie du Ballon d'Or 2024 que vous avez présentée. Est-ce que le Ballon d'Or est une manière pour vous de revenir, 20 ans plus tard, dans le football français ?
Non, le Ballon d'Or est une manière de rester connecté au football mondial en général. Et surtout, c'est une manière pour moi aussi d'avoir un peu de stress, de revivre un peu le genre d'émotions que je vivais avant de fouler chaque pelouse lors de matchs importants. Il y a ce stress, cette incertitude et puis ces méthodes de travail qui sont propres au professionnalisme. Il y a un parallèle avec le sport qui est intéressant. Ça m'amuse aussi. J'aime bien.
Vous revenez tous les ans en France, on imagine que vous suivez la Ligue 1, tout au long de l'année...
La Ligue 1, c'est l'endroit de mes débuts et je me suis fait connaître grâce à la Ligue 1. Donc forcément, il y a un attachement particulier et c'est toujours une fierté, un honneur que d'évoquer la Ligue 1 ou de regarder des matchs ou même de pouvoir assister à certaines rencontres.
Est-ce que pour vous, ce championnat de France qu'on dit « inférieur » aux autres grands championnats européens que sont l'anglais, l'italien, l'espagnol...
(Il coupe) Moi, je vous arrête... La Ligue 1 fait partie des grands championnats européens. Ça, il faut le dire, il faut l'assumer, il faut le reconnaître, il faut l'accepter. C'est-à-dire qu'il faut être fier de ça plutôt que de se comparer au championnat anglais ou espagnol. Les droits (TV) ne sont pas les mêmes et malgré ça, les talents viennent du championnat de France. Il faut le reconnaître.
Je pense qu'il y a pas mal d'exemples comme ça. Déjà, à l'époque, je pars à Chelsea en étant meilleur joueur du championnat, Florent Malouda me rejoint à Chelsea en ayant été meilleur joueur du championnat. Michael Essien également. Donc, ce n'est pas un petit championnat, on parle d'un des meilleurs championnats en Europe.
C'est selon vous un championnat découvreurs de talents ?
C'est un championnat découvreurs de talents, oui, mais c'est un championnat aussi où les meilleurs entraîneurs veulent venir se frotter. Quand on a quelqu'un comme Luis Enrique qui décide de venir au PSG. Quand on a eu des Carlo Ancelotti par le passé, et aujourd'hui Roberto De Zerbi ou Jorge Sampaoli, cela démontre la qualité du championnat.
Je trouve que c'est un championnat complémentaire à ces grands championnats. Le niveau de la Ligue 1 est à l'image de ce que tous ces entraîneurs étrangers, tous ces joueurs étrangers, viennent chercher ici. C'est-à-dire de la renommée, du succès et du plaisir aussi. Les grands championnats sont très difficiles, très exigeants. Le championnat de France est tout aussi exigeant, mais on peut se permettre des erreurs parce que les joueurs sont plus jeunes. Ils sont aussi plus talentueux, et donc ils osent plus. Et ça, moi, je trouve que c'est magnifique d'avoir cette opportunité-là. Parce qu'après, lorsqu'on arrive en Angleterre ou en Espagne, c'est de plus en plus réduit. Il n'y a plus de marge d'erreur.
La Ligue 1, c'est un bel apprentissage, une belle étape à vivre en tant que joueur et en tant qu'entraîneur avant de se frotter par exemple à la Premier League et ses exigences. Ce n'est pas péjoratif, quand je parle de championnat étape, c'est vraiment un must. Un passage, un adoubement.
Justement, quand on voit certaines équipes comme Monaco, Lille ou Brest, qui se débrouillent bien en Ligue des champions cette saison, on se dit que c'est un peu rassurant pour le niveau du championnat de France...
Moi, je ne suis pas inquiet pour le niveau du championnat de France. Je pense qu'effectivement, ces résultats, me confortent. Quand je parle d'une étape à franchir, c'est en ce sens. Aujourd'hui, ces équipes qui affrontent Brest ou Lille se disent : « attention quand même, ces équipes françaises ne sont pas faciles à jouer ». Et cela montre tout le talent qu'il y a en France.
Cela fait un plus de 20 ans que vous avez quitté Marseille et l'OM. Qu'est-ce qui manque à Marseille selon vous pour briller encore plus ?
Vous savez, c'est la raison pour laquelle je n'ai jamais voulu être entraîneur ; je suis incapable de vous dire ce qu'il manque à Marseille pour briller plus. Par contre, je suis capable de vous dire que Marseille a fait une première partie de saison encourageante et a montré des signes sur lesquels ils peuvent travailler.
Il y a une base qui est là, maintenant, il faut l'améliorer, la rendre plus compétitive, ça, ce n'est pas mon travail, mais celui du club et de l'entraîneur. D'ailleurs, j'ai eu l'occasion recevoir les dirigeants de l'OM à Abidjan et je suis très content de voir que le club s'ouvre encore plus à l'Afrique et au monde.
L'OM a toujours été populaire en Afrique grâce à ses talents africains, comme vous, grâce au défunt président Pape Diouf. Est-ce qu'aujourd'hui, la popularité de l'OM est en concurrence avec celle du PSG en Côte d'Ivoire ou ailleurs sur le continent ?
Alors, je ne vais pas mentir, c'est vrai qu'il y a de plus en plus de supporters du Paris Saint-Germain, mais Marseille a toujours une place spéciale dans le coeur des Africains. Je suis désolé de le dire, Marseille, ça a été Abedi Pelé, Joseph-Antoine Bell, George Weah, ou encore Basile Boli. Marseille a représenté le continent africain. Pas simplement la Côte d'Ivoire ou le Ghana, mais le continent africain.
Et à l'international aussi, il y a eu des joueurs uruguayens comme Francescoli (Enzo). Marseille, c'est le club du monde. C'est un club qui a vraiment une place particulière dans le coeur des fans et des amoureux du football.
Pour finir cette première partie de l'entretien, une question sur Kylian Mbappé qui connaît une période délicate en ce moment. En tant qu'attaquant, quel conseil vous lui donneriez ?
Déjà, je suis quand même un peu déçu de voir cette vague d'ingratitude envers lui. C'est tout de même quelqu'un qui a beaucoup fait pour la France. Il a contribué à cette deuxième étoile. Il y a deux ans, il était à deux doigts de donner une troisième étoile à la France. Et aujourd'hui, il est un peu chahuté. C'est la loi de notre sport. C'est un sport très ingrat, le football, on le sait tous.
Mais ce sont des cycles. Il traverse une période difficile, son adaptation n'est pas des plus faciles, mais je préfère avoir une adaptation difficile à Madrid que de me retrouver dans une situation où tout est plus facile. Je pense qu'il va beaucoup apprendre de cette expérience. Il va mûrir, il sera encore plus mature et ça va lui profiter et profiter à l'équipe de France. Cette période délicate fait partie de la carrière d'un joueur, c'est comme les blessures, sauf que celles-là ne sont pas physiques, mais elles peuvent vous aider à devenir un autre joueur, même encore plus fort, donc c'est une transition.
Je vois ça un peu comme un Tiger Woods (golfeur) qui avait du mal pendant un moment à retrouver son jeu et une fois qu'il l'a retrouvé, il est redevenu le Tiger Woods que tout le monde aime. Kylian passe par une période pas simple, il a voulu être là-bas, il est prêt pour le challenge. Je connais un peu le personnage, et oui, en tant qu'être humain, il va douter, c'est normal. Mais c'est quelqu'un qui a des certitudes aussi. Je suis très optimiste pour lui.
*Retrouvez la deuxième partie de l'entretien jeudi 05 décembre. Didier Drogba parle de sa fondation, des Éléphants, de la Coupe du monde 2026, de ses ambitions ou pas à la FIF et à la CAF.