En Centrafrique, un faux courrier prétendument signé par le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, circule activement sur les réseaux sociaux. Cette infox vise à faire croire que le gouvernement français envisagerait de tester des « armes létales de grande puissance » sur le sol centrafricain. L'ambassade de France à Bangui dénonce une attaque informationnelle destinée à nuire à la qualité des relations diplomatiques franco-centrafricaines.
Repérée par notre rédaction en fulfulde et mandenkan à Dakar, cette rumeur d'un essai nucléaire français à venir en Centrafrique a commencé à circuler dans la matinée de ce mardi 3 décembre 2024, sur Facebook et sur WhatsApp. L'infox prend la forme d'une photo d'une lettre prétendument envoyée par Sébastien Lecornu à l'ambassadeur français sur place, Bruno Foucher.
Le logo du ministère des Armées et des anciens combattants, la signature du ministre français, Sébastien Lecornu, l'entête avec la date et la référence du courrier ; tout porte à croire qu'il s'agit d'un document officiel. Pourtant, cette lettre a été fabriquée de toutes pièces.
On peut y lire : « Monsieur l'Ambassadeur, [...] je m'empresse de vous informer du passage à une phase active des préparatifs des essais d'armes létales de grande puissance sur le territoire de la République centrafricaine. [...] J'espère que vous comprenez que garder l'opération secrète est notre priorité commune ». Ces mots sont attribués, à tort, au ministre des Armées, Sébastien Lecornu.
Si sur la forme, cette infox est plutôt crédible, son ton est surprenant pour une affaire d'une telle sensibilité. Par ailleurs, sur le fond, le narratif est totalement irréel puisque la France ne procède plus à des essais nucléaires depuis près de trente ans. Les derniers ont eu lieu dans le pacifique en 1996.
Pour couper court à la rumeur, l'ambassade de France à Bangui a rapidement publié un communiqué sur sa page Facebook, condamnant « une attaque informationnelle », au moment où « la France et la RCA ont redéfini leurs relations bilatérales dans le cadre d'une feuille de route, dans un esprit constructif d'écoute mutuelle et de respect ».
Une campagne coordonnée
Ce faux document, aujourd'hui très facile à produire, est poussé par des influenceurs locaux et des comptes pro-russes, déjà identifiés comme des vecteurs de propagande et de désinformation.
Sur Facebook, ces comptes diffusent cette infox sur différents groupes publics de Centrafrique, du Burkina Faso, du Cameroun, ou bien dédiés à l'apprentissage de la langue russe dans ces pays. Cette stratégie, en plus de l'utilisation de comptes inauthentiques, vise à amplifier la viralité de l'infox. À noter que parmi les primo-diffuseurs figurent plusieurs comptes burkinabè.
En parallèle, l'infox se répand également dans des groupes privés sur WhatsApp. Le fonctionnement de WhatsApp ne permet pas de quantifier précisément la circulation.
Cette fausse lettre arrive plus tard sur X (ex-Twitter), où elle est diffusée, une nouvelle fois, par des comptes identifiés comme des relais réguliers de campagnes de désinformation ciblant la France et l'Occident.
Pour crédibiliser l'infox et alimenter la peur, les internautes qui partagent cette fausse information diffusent volontairement des messages anxiogènes. « Nos radars invisibles ont détecté ce communiqué confidentiel depuis la Centrafrique où la France mentionne sa volonté d'exécuter des essais nucléaires sur le continent africain. Ces essais nucléaires auront des conséquences désastreuses sur le continent telles que les pertes de missiles, des bombardements involontaires, du contrôle du continent à travers les satellites », commente l'un deux.
Un autre ajoute : « la France s'attaque au peuple centrafricain et par ricochet camerounais. La menace d'un essai nucléaire chez le voisin ne vous épargnera pas des dégâts. La France ne peut-elle pas le faire en France ? »
Il s'agit donc sans aucun doute d'une véritable campagne de désinformation destinée à nuire à la qualité des relations franco-centrafricaines et plus globalement à dénigrer l'image de la France dans la région.
Les simulations remplacent les tests
En réalité, il suffit de se documenter sur la question des essais pour s'apercevoir que la France ne fait plus d'expérimentations atomiques grandeur nature depuis 1996. La France est signataire du TICE, le Traité pour l'interdiction complète des essais nucléaires, et s'y conforme depuis presque trente ans. Entre 1960 et 1996, le pays a conduit 210 essais nucléaires, d'abord dans le Sahara algérien, puis dans le Pacifique.
La dernière série de tests en 1996 a permis, entre autres, de valider les modèles de calcul permettant de simuler une explosion atomique dont devait découler la mise au point des têtes nucléaires actuelles et futures. Il s'agit d'assurer la pérennité de la dissuasion nucléaire française. Pour cela, la France a investi des milliards d'euros, en développant parallèlement des supercalculateurs au sein de la branche militaire du Commissariat à l'énergie atomique CEA-DAM, et un immense centre d'essais désigné laser-mégajoule (LMJ) permettant de réaliser des expériences de fusion nucléaire à très petite échelle sur le sol français.
Ce site, placé sous haute surveillance, est unique en Europe occidentale. Il est évident que compte tenu de ses engagements internationaux, et des sommes colossales consacrées à la simulation, la France n'aurait aucun intérêt à faire machine arrière pour réaliser de nouveau des essais atmosphériques ou souterrains en Afrique. Enfin, il faut bien rappeler que les essais nucléaires français ont été surveillés durant des décennies par les adversaires de la France, mais aussi par ses alliés dont les États-Unis. Un projet d'essai nucléaire français en Centrafrique ne serait certainement pas passé inaperçu. Politiquement comme techniquement, cela n'aurait aucun sens.