Des femmes enceintes ont été exposées à différents types de pesticides. C'est ce que révèlent les résultats d'une étude menée au Sénégal.
Intitulée : « L'impact de l'exposition aux résidus de pesticides sur la santé materno-foetale », l'étude, réalisée avec l'appui de l'Initiative des organismes subventionnaires de la recherche scientifique (SGCI), a été conduite par Aminata Sarr Diouck, ingénieure toxicologue au laboratoire de toxicologie et de pharmacologie clinique du Centre antipoison de Dakar.
Pour parvenir à ce résultat, la chercheure et son équipe ont analysé des échantillons collectés auprès des femmes enceintes. Les échantillons ont été prélevés dans le méconium (selles du nouveau-né, ndlr), le cordon ombilical, l'urine de la mère, prélevée un peu avant, au moment ou après l'accouchement, et le lait maternel.
"Il faut absolument sensibiliser les populations. Il est important qu'elles aient conscience du danger que peuvent représenter les pesticides au quotidien"Aminata Sarr Diouck, Centre antipoison de Dakar
« Nous avons retrouvé des traces de pesticides dans tous les échantillons que nous avons analysés. Le plus inquiétant, c'est la présence des traces de certains pesticides connus comme étant cancérigènes ou des perturbateurs endocriniens. Sachant que ces derniers ont des conséquences néfastes sur la santé, en particulier des enfants », affirme Aminata Sarr Diouck.
Dans les détails, 66 molécules différentes ont été retrouvées dans au minimum 1 échantillon sur 3. « Ça varie entre 30 % et 100 %, il y a des molécules telles que le trichlorophénol et le paraoxone qui ont été retrouvées dans 100 % des échantillons », révèle la chercheure.
Pour d'autres, fait-elle savoir, « ça va être un tout petit peu moins, on peut descendre jusqu'à 30 %. Mais 30 % en termes de risque sanitaire, c'est toujours énorme puisque ça représente 1 enfant sur 3. Les calculs de moyenne que j'ai faits par enfant ont donné un minimum de 30 mélanges de pesticides différents par enfant », insiste-t-elle.
Elle précise avoir « retrouvé des pesticides dans tous les échantillons, à des degrés moindres pour certains, mais il y en a absolument partout. Nous avons même retrouvé des traces de certains pesticides qui sont censés être interdits depuis très longtemps », indique-t-elle.
Nuisibles
Les pesticides sont des produits phytosanitaires, phytopharmaceutiques ou des biocides utilisés aussi bien dans les domaines de l'agriculture, de la santé, de l'élevage pour lutter contre les différents nuisibles, explique Fatou Tabane, chercheure en écotoxicologie et cheffe de l'unité biologie du Centre régional de recherches en écotoxicologie et sécurité de l'environnement (CBRES-Locustox).
« Ce ne sont pas des produits qui sont spécifiques au secteur agricole, on les utilise aussi dans l'élevage, dans le secteur de la santé et même dans d'autres types d'industries... Ce sont des produits qui sont destinés à tuer des organismes qu'on considère comme étant nuisibles », ajoute-t-elle.
L'importation de pesticide dans la sous-région ouest africaine en général et sur le territoire sénégalais en particulier est réglementée. Pour qu'un pesticide entre dans le pays, il doit bénéficier d'une autorisation provisoire de vente ou d'une homologation.
Ces deux documents sont délivrés par le Comité sahélien des pesticides, qui est l'organe sous-régional chargé d'étudier les demandes d'homologation faites par les industriels, les importateurs de pesticides et autres. Il faut ensuite une autorisation qui soit délivrée par la Direction de la protection des végétaux (DPV).
Mais à côté de ce circuit officiel régional, des pesticides peuvent être directement importés par l'État, notamment par la DPV. Ils peuvent aussi être fournis par des partenaires techniques pour des besoins de réponse urgente en cas de catastrophes telles que des invasions acridiennes.
À ces circuits, s'ajoutent les dérogations accordées par l'État du Sénégal à des industriels tels que les firmes agro-industrielles et qui leur permettent d'importer directement les pesticides dont ils ont besoin.
Selon Fatou Tabane, l'autre voie d'entrée des pesticides au Sénégal, que l'on retrouve également dans la plupart des pays de la sous-région ouest-africaine et qui n'est pas des moindres, c'est celle du commerce transfrontalier.
« Il est difficile d'avoir les chiffres de ce trafic. Parce que ce sont essentiellement des pesticides non homologués, parfois même prohibés qui font l'objet de ce trafic et, comme tout trafic, ces pesticides échappent au contrôle et donc ils ne sont pas comptabilisés », déclare-t-elle.
Alternatives
L'utilisation des pesticides dans le secteur agricole s'est développée de manière considérable, avec des conséquences négatives sur l'environnement, la santé humaine et animale. Aussi, l'étude s'est intéressée aux impacts des pesticides sur la santé.
« Même si on va retrouver des résidus ou des concentrations très faibles [de pesticides], quelles sont les conséquences de ces concentrations-là ? Pour essayer de répondre à cette partie-là, on a décidé de faire ce qu'on appelle une expérimentation animale. On va mimer les concentrations et les mélanges tels que retrouvés dans les différentes matrices, faire des expositions de rats de laboratoire et voir les anomalies qu'on va retrouver chez ces animaux pour voir ce qu'on appelle l'effet cocktail », explique Aminata Sarr.
En l'absence de contrôle total des entrées des pesticides au Sénégal et au regard de leurs effets néfastes sur la santé humaine et sur l'environnement, le recours aux solutions de rechange aux pesticides est fortement recommandé.
« Il existe de nombreuses alternatives, parmi lesquelles la solarisation des sols », propose Karamoko Diarra, enseignant-chercheur à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar et initiateur du master en gestion durable des agroécosystèmes horticoles.
Selon ses explications, c'est une technique qui consiste à utiliser la chaleur solaire pour stériliser les sols en les recouvrant de plastique transparent pendant plusieurs semaines. Cela permet de tuer les ravageurs et les agents pathogènes qui se trouvent dans le sol.
De même, poursuit-il, « en lieu et place des pesticides chimiques, on peut également synthétiser des huiles essentielles. Par exemple, on peut associer le neem à du piment pour en faire une décoction. Cela peut jouer le même rôle qu'un pesticide, sans effet sur la santé humaine ni sur l'environnement », indique l'enseignant.
Pour Aminata Sarr, la première solution face au risque que représente l'utilisation des pesticides pour la santé de la mère et de l'enfant, c'est d'abord la sensibilisation. « Il faut absolument sensibiliser les populations. Il est important qu'elles aient conscience du danger que peuvent représenter les pesticides au quotidien », conclut-elle.
Cet article a été produit avec le soutien de l'Initiative des organismes subventionnaires de la recherche scientifique (IOSRS), qui vise à renforcer les capacités institutionnelles de 17 agences publiques de financement de la science en Afrique subsaharienne.