Afrique: Au Maroc, le patron de la BAD Akinwumi Adesina défend sa méthode auprès des investisseurs

En 2025, le Nigérian Akinwumi Adesina quittera la Banque africaine de développement (BAD) après dix ans à sa tête. Son second mandat met en évidence les difficultés à concrétiser le potentiel économique du continent. Lors de l'Africa investment forum de Rabat, il a incité les bailleurs à jouer collectif en plaçant la BAD comme chef de file.

Le 1er janvier, Akinwumi Adesina entamera la dernière ligne droite de sa présidence à la Banque africaine de développement (BAD). Fin mai, le conseil des gouverneurs qui réunit les actionnaires de la BAD se retrouvera à Abidjan pour élire son successeur. Pour l'heure, l'ancien ministre de l'Agriculture du Nigeria, qui termine son second mandat à la tête de l'institution, occupe encore le devant de la scène à l'occasion de l'Africa investment forum, organisé cette année à Rabat du 4 au 6 décembre.

Lors de la cérémonie d'ouverture, face aux investisseurs venus de tout le continent et bien au-delà, costume bleu vif, chemise blanche surmontée par son éternel noeud papillon, rouge pour l'occasion, il égrène les opportunités offertes par le continent. « La taille du marché africain de l'alimentation et de l'agriculture atteindra 1 000 milliards de dollars d'ici à 2030 et la demande d'infrastructures présente une opportunité d'investissement d'au moins 170 milliards de dollars par an », insiste-t-il. Le président rappelle, sur un autre plan, le rôle central que jouera le continent dans la transition énergétique.

La RDC devant la Chine et les États-Unis

L'Afrique concentre 90% des réserves de platine, 60% de celles de cobalt et 30% du lithium. Citant Bloomberg, Akinwumi Adesina affirme que le développement d'une usine de précurseurs de batteries lithium-ion en République démocratique du Congo (RDC) pourrait être trois fois moins coûteux qu'aux États-Unis, en Chine ou en Pologne.

Mais rien n'y fait pour le moment : les matières premières continuent de quitter le continent avant d'être transformées. Leur exploitation reste incontournable, mais elle pose de nombreuses questions environnementales et sociales et son impact économique n'est pas suffisant pour faire décoller l'Afrique.

Akinwumi Adesina constate lui aussi que faire de la BAD une banque à la hauteur des enjeux du continent n'est pas une sinécure. La faute aux conséquences de la pandémie de Covid, à celles de la guerre en Ukraine, qui ont détourné les capitaux internationaux du continent. La faute aussi à une perception du risque souvent exagérée, qui effraie les investisseurs et pousse cette année encore le banquier à appeler de ses voeux la création d'une agence de notation africaine pour s'émanciper de Moody's et consorts.

Blanchi par un audit en 2020

Le président de la Banque paie également un second mandat arraché aux forceps avec l'appui de son pays face à des actionnaires méfiants. Sa gouvernance, mise en cause par des lanceurs d'alerte internes à l'institution, a été blanchie par un audit en 2020, mais après cela ses soutiens se sont faits plus discrets.

Les décaissements de la banque traduisent toutes ces difficultés. Ils étaient en recul en 2021 et en 2022, avant de repartir à la hausse l'an dernier (4,4 milliards unités de compte), mais en restant en-deçà des sommes débloquées entre 2016 et 2018. « La BAD reste trop bureaucratique, regrette le cadre d'un fonds d'investissement. C'est dur de travailler avec ses équipes. » Akinwumi Adesina qui avait fixé l'accès à l'énergie et la production agricole comme des priorités l'avoue lui-même, les progrès à accomplir sont encore gigantesques. Six cents millions d'Africains n'ont actuellement pas l'électricité.

Un vote historique

Certes l'augmentation de capital historique (de 201 à 318 milliards de dollars) qu'il a proposé a été votée en mai dernier lors de l'assemblée annuelle. Il a ainsi sécurisé le triple A que donnent les agences de notation à la BAD. Mais il s'agit d'une augmentation du capital exigible, c'est-à-dire que les actionnaires doivent mettre à disposition de la banque en cas de besoin. Le capital réellement libéré de la Banque est en fait d'environ d'un peu plus de 10 milliards de dollars.

Et les engagements pris en 2019 par les actionnaires de l'augmenter ne sont pas encore tous tenus. « Nous recevons entre 600 millions de dollars supplémentaires libérés par nos actionnaires chaque année. Et ce jusqu'en 2032 », précise Hassatou Diop N'Sele, la vice-présidente et directrice financière de l'institution.

Pour pallier la lenteur du processus, Akinwumi Adesina a innové en émettant début 2024 une obligation (pour un montant de 750 millions de dollars), qui a été intégré au capital. On parle de capital hybride. L'opération a attiré l'intérêt de plus de 270 investisseurs et devrait être reconduite. Chaque dollar permet de mobiliser 3 à 4 fois cette somme au travers de partenariats, indique Hassatou Diop N'Sele.

L'AIF en héritage

Alors à Rabat, Akinwumi Adesina fait ce qu'il maîtrise le mieux : promouvoir l'action de la BAD et de l'Africa investment forum (AIF). L'événement qu'il a créé en 2018 fait partie de l'héritage qu'il souhaite laisser. Nul doute dans son esprit que cette plateforme, qui fédère grands bailleurs et investisseurs privés (200 institutions pour l'édition 2024) autour de projets phares à financer, doit lui survivre.

Cette année, ce sont 41 sessions qui seront organisées pour étudier des dossiers à différents stades d'avancement : du corridor de Lobito entre l'Angola, la RDC et la Zambie, à la construction d'un réseau de lignes électriques au Mozambique structuré sous forme de partenariat public-privé et porté par le fonds Africa 50.

Depuis sa création, l'AIF aurait, selon le décompte de la BAD, permis de lever près de 30 milliards de dollars auprès des différents bailleurs. Le 5 décembre, c'est avec Sace, l'organisme de crédit export italien, et la caisse de dépôt et de consignation italienne, que la BAD a signé des partenariats dans le cadre du plan Matei pour l'Afrique mobilisant ainsi plusieurs centaines de millions d'euros.

La Badea, nouveau membre fondateur

Akinwumi Adesina peut aussi se réjouir de l'arrivée cette année de la Banque arabe de développement pour l'Afrique (Badea) parmi les membres fondateurs de l'AIF.

L'événement a également son importance pour le président de la Badea, Sidi Ould Tah. L'ancien ministre des Affaires économiques mauritanien figure en bonne place parmi les potentiels successeurs du Dr Adesina. Les deux hommes se sont d'ailleurs entretenus en tête à tête pendant l'AIF. Sidi Ould Tah aurait notamment le soutien du Nigeria et de la Côte d'Ivoire. En dix ans, avec l'appui des États du Golfe, cet économiste a totalement changé le visage de son institution en augmentant son capital et en multipliant les décaissements pour atteindre 10 milliards de dollars ces neuf dernières années. Prudent, il n'a pas encore officialisé sa candidature. Toutes devront l'être avant le 31 janvier.

Face à lui, la liste des prétendants s'est beaucoup allongée depuis qu'Abbas Mahamat Tolli, l'ex-gouverneur de la Banque centrale des États d'Afrique centrale s'est dévoilé en janvier dernier. On y trouve l'ex-ministre sénégalais et ex-VP de la BAD Amadou Hott, l'ancienne VP sud-africaine de la BAD Bajabulile Swazi Tshabalala, ainsi que le Zambien Samuel Munzele Maimbo, qui a fait sa carrière à la Banque mondiale. Et d'autres pourraient encore être annoncées dans les semaines à venir. Le Dr Adesina aura alors lui aussi tout le loisir de penser à son prochain défi. « Après ça, qu'est ce qui peut le faire lever le matin, si ce n'est devenir président du Nigeria », suppute un chef d'entreprise ouest-africain.

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