Dakar — L'installation d'une "bibliothèque haptique", un concept alliant technologie et tout ce qui est en rapport avec le sens du toucher et les traditions africaines est une des innovations de la 15e Biennale de l'art africain contemporain de Dakar (Dak'art) qui prend fin, samedi.
Cette bibliothèque vise »à décoloniser les savoirs et à élargir l'espace de connaissance » dans un travail d'éveil pour répondre au thème de la Biennale 2024 »The Wake, l'éveil, le sillage », a a expliqué la Sénégalaise Tabara Korka Ndiaye, l'une des commissaires de cet évènement culturel.
"La bibliothèque haptique se présente comme une bibliothèque anticolonialiste qui repense et détourne la bibliothèque comme un souk, un espace assez politique, fluide pour le désir du commun", a t-elle ajouté.
Pour Tabara Korka Ndiaye, il s'agit surtout »(...) de rouvrir des archives oubliées qui ne se limitent pas à la matière écrite, à la finitude du livre et à l'idée conventionnelle de la bibliothèque".
"Elle sert de laboratoire d'imagination et de pensée radicale. Ici l'acte de remémorer devient une forme de réécriture et de résistance aux récits coloniaux qui ont démembré l'affectivité, des liens et des cultures entières", a souligné la commissaire.
Initiée par "Archive Ensemble" créée en 2009, la bibliothèque, installée dans une salle qui jouxte celle de la Cour Suprême de l'ancien palais de justice du cap manuel, "remet en question la domination inhérente de la vue et de la matière imprimée en confrontant de multiples approches afin d'inscrire un savoir et de le disséminer dans une proximité qui encourage l'interaction".
Elle étudie aussi, selon Mme Ndiaye, les possibilités d'édition dans le sens large du terme en puisant dans des connaissances ancestrales et une pensée extra logique pour permettre aux visiteurs de vivre des expériences sensorielles uniques.
Cette bibliothèque haptique a été l'attraction du Dak'art pour les visiteurs émerveillés par ce concept.
Elle est constituée de huit écrans, alignés tout autour, sur lesquels apparaissent des images, accompagnées de musique et montrant ainsi comment fabriquer les pagnes tissés qui sont suspendus au plafond et un peu partout sur des présentoirs en fer.
Des étagères de livres de la littérature négro-africaine et du black féminisme, de la poterie, des cassettes à bandes de musique anciennes de célèbres artistes sont également étalées un peu partout dans cette grande pièce.
Une musique basse et continue donne une ambiance détendue dans l'espace. Les oeuvres sont disposées de telle sorte que les utilisateurs puissent entrer en contact direct par le toucher, l'ouïe et par la vue avec les principaux éléments.
Venue visiter la biennale, Joëlle, étudiante d'origine nigériane, scotchée devant les étagères de livres, apprécie l'endroit. "Je suis nourrie de la littérature négro-africaine qui montre l'importance de la culture africaine et cela se reflète dans ce lieu", dit-elle, ajoutant qu'un tel lieu lui renseigne davantage sur son identité culturelle et sur la culture d'autres pays africains.
Ndèye Marème Sougou se dit impressionnée par ce qu'elle a vu. "C'est totalement différent des bibliothèques que je vois en général, le décor me touche vraiment, j'aime bien les différentes ambiances ; d'une part les vidéos avec de la musique et d'autres part l'aspect silencieux les livres", raconte-t-elle.
»'C'est intrigant, mais aussi fascinant en même temps. C'est notre histoire, notre culture", lance-t-elle.
L'étudiante Siny Ndiaye se dit très heureuse de visiter un tel lieu. »C'est très joli, le décor est très bien réussi et je découvre d'autres aspects de notre culture que je ne connaissais pas », explique-t-elle pointant du doigt les écrans montrant les méthodes de fabrication des pagnes et nattes tissées.
Elle se dit fière de découvrir la littérature négro-africaine et le concept "black féminisme" à travers cette bibliothèque.
Massiré Ndiaye, étudiant en master, abonde dans le même sens. Il apprécie le concept de la bibliothèque et se dit heureux de visiter cet endroit qui se dit "anticolonialiste".
La Camerounaise Flore salue elle aussi le concept et se dit fière de découvrir des artistes camerounais sur les cassettes à bande exposés.
"J'aime vraiment cet endroit surtout les pagnes et la sculpture. C'est un très beau décor" confie-t-elle.