L'absence de mécanismes d'intervention proactifs aggrave la précarité des jeunes dans les quartiers populaires
Dévoilée mercredi 4 décembre à Tunis, l'étude «La jeunesse tunisienne entre inclusion et exclusion», élaborée par un groupe de chercheurs tunisiens en sociologie, s'articule autour de plusieurs axes se rapportant en particulier à l'entrée tardive dans la vie adulte, la panne de l'ascenseur social avec toutes les conséquences qui en découlent et qui impactent considérablement la vie des jeunes dans ces quartiers populaires qui subissent une exclusion multidimensionnelle.
Ascenseur social en panne conduisant au chômage et à la marginalisation, recours à des «stratégies de survie» et à d'autres alternatives risquées, comme la migration clandestine, et à l'économie informelle et désajustement entre position et ambition, créent une situation de malaise et d'errance dans laquelle se trouve une majorité de jeunes de la nouvelle génération dans les quartiers du Kram-Ouest (Tunis) et de la cité Ennour (Sfax), dévoile le docteur en sciences sociales Sofien Jaballah lors de la présentation d'une étude élaborée par l'ONG Democracy Reporting International (Bureau de Tunis).
La refonte législative, une urgence
L'étude s'attarde sur «la panne de l'ascenseur social et l'absence de garanties réelles pour les droits économiques et sociaux des jeunes», d'où leur recours à des «stratégies de survie» et à d'autres alternatives risquées comme la migration clandestine, et à l'économie informelle. À ce propos, Sofien Jaballah explique : «Avec des circuits migratoires formels, souvent inaccessibles, la migration irrégulière devient une issue envisagée par 62 % des jeunes hommes au Kram-Ouest». En matière d'éducation, 55,20 % des jeunes ont atteint le niveau secondaire, et 17,60 % le niveau universitaire, alors qu'au Kram-Ouest, il est encore plus bas. Il est de 46,80 % pour le niveau secondaire et de 12,40 % pour le niveau universitaire.
Face au chômage et aux obstacles à l'emploi formel, 47 % des jeunes des quartiers populaires se tournent vers des activités informelles, le plus souvent précaires et non protégées. Ces circuits offrent une réponse immédiate, mais perpétuent l'insécurité économique et sociale. «L'absence de mécanismes d'intervention proactifs aggrave la précarité des jeunes, leur laissant pour seules options des solutions alternatives, comme l'économie informelle et la migration clandestine».
Les chercheurs soulignent aussi dans cette étude l'urgence d'une refonte législative basée sur la science sociale, car avant de légiférer, il est impératif de comprendre scientifiquement les problèmes sociaux. Cela implique une approche en adéquation avec les réalités sociales et non l'inverse. «En Tunisie, les législations sont le plus souvent déconnectées des besoins réels. Les lois sont largement méconnues par les jeunes et généralement perçues comme injustes et inadaptées à leurs réalités. La déconnexion est totale entre les jeunes et les cadres législatifs qu'ils considèrent comme des instruments d'exclusion sociale».
Difficulté de travail et d'accès aux services de soins
À la Cité Ennour, 84 % des hommes et 77,60 % des femmes trouvent des difficultés à se procurer un emploi, alors qu'au Kram-Ouest ce taux est estimé à 64,75 % pour la gent masculine et 49,22 pour la gent féminine. L'étude pointe aussi les difficultés auxquelles font face les citoyens en matière d'accès aux services de soins dans les deux régions. L'absence de mécanismes d'intervention proactifs aggrave la précarité des jeunes, leur laissant l'économie informelle et la migration clandestine comme seules solutions alternatives.
L'étude indique que 67 % des jeunes dans ces quartiers souhaitent changer d'air et s'installer dans d'autres cités plus confortables (plus de 70 % au Kram-Ouest), alors que 48,80 % des hommes sont en faveur de la migration irrégulière à la Cité Ennour. Au Kram-Ouest, le taux est plus élevé, il est de 62,30 %. En ce qui concerne la migration irrégulière, 36,60 % veulent larguer les amarres (34,80 % au Kram ouest et 34,80 à la Cité Ennour).
Mettre fin à la victimisation
Les intervenants ont souligné, lors du débat, l'importance pour les décideurs de prendre en compte de telles études dans l'élaboration des politiques sociales. «Il y a comme une résistance aux données scientifiques. Il faut que les résultats de ces études qui œuvrent pour l'inclusion des jeunes servent d'appui aux institutions créées par l'Etat, à l'instar de l'Observatoire national de la jeunesse ou l'Observatoire national des migrations», souligne à ce propos Dorra Mahfoudh Draoui, sociologue, professeure universitaire à la retraite). «Ces jeunes sont mécontents, mais il faut aussi se demander quelle perception porte aujourd'hui la nouvelle génération de jeunes sur la citoyenneté ?», demande-t-elle aux sociologues et aux chercheurs qui ont contribué à l'élaboration de cette étude.
Pour d'autres intervenants, il est question de nos jours de dépasser le cadre de la victimisation et ne plus se contenter de jeter l'anathème sur les institutions et les politiques publiques, mais il faut que la société civile, qui est pilotée actuellement par une nouvelle génération, passe à l'action. Autrement dit à l'élaboration de projets constructifs susceptibles de favoriser l'inclusion sociale et économique des jeunes dans les quartiers populaires.