Le problème des prix des médicaments est complexe. Il y a l'intérêt des clients avant tout mais les décisions ne peuvent pas être prises au détriment des propriétaires de pharmacie. C'est ce qu'explique Nitin Busguth, vice-président du Pharmacy Council et propriétaire de pharmacie. La solution, selon lui, serait de revoir tout le système de santé publique et de mettre les pharmaciens du privé à contribution.
Vous parlez d'un problème compliqué. Expliquez-nous en quoi ça l'est.
Les prix des médicaments ont augmenté, c'est indéniable. Donc, il faut trouver des solutions pour les clients et les patients. D'ailleurs, les décisions politiques vont dans ce sens. Même la communauté des pharmaciens pense qu'il faut trouver des solutions. Mais ce faisant, les propriétaires de pharmacies sont mis de côté, et ce sont eux qui accusent tous les contrecoups des décisions qui sont prises. Je vous parle des petits propriétaires, pas des grands groupes. Cela fait deux ans que nous souf- frons des décisions qui ont été prises.
Concrètement, comment se traduit votre souffrance ?
Je prends mon exemple. J'ai une pharmacie. En novembre 2021, j'ai ouvert une deuxième que j'ai dû fermer en novembre 2023. Comprenez bien ce qui s'est passé. L'ancien régime avait mis en place le regressive mark up. Donc, notre marge de profit a baissé. A côté, il y a eu plusieurs augmentations du salaire minimum. Malgré la baisse de revenus, les employés sont payés pareil. D'ailleurs, il faut savoir qu'en plus des salaires, il y a les charges comme la CSG que l'employeur doit payer aussi. Chez moi, nous étions à cinq employés. L'une a démissionné en février. Je ne l'ai pas remplacée. Par la suite, il y a eu la décision du regressive mark up, suivi des divers hausses salariales. Une autre employée est partie. C'est avec ses salaires que j'ai pu payer les hausses. Et lorsqu'il y a eu le dernier ajustement, j'ai dû prendre de ma poche pour pouvoir payer mes employés.
Un autre problème invisible pour les autres est la charge des banques. Sur les transactions par carte, les banques prennent entre 2,5 % et 2,75 % de commission. Et il y a la TVA de 15 % sur ce service. La taxe n'est pas applicable sur les médicaments mais sur le service, oui. C'est encore une fois ronger sur notre marge minime. En gros, si on vend un produit à Rs 117,60 et que le client paie par carte, nous ne recevons qu'environ Rs 113,80. De plus, il y avait toutes les dépenses personnelles que j'avais calculées sur les revenus alors que les charges ont grimpé. A un moment, je me suis retrouvé confronté à deux choix : fermer ma deuxième pharmacie ou continuer de travailler à perte. Sans compter que nous avions eu vent qu'il allait y avoir d'autres hausses sur le salaire minimum et le réajustement en 2024. Le choix a été rapidement fait.
Et les autres propriétaires en pensent quoi ?
Le problème est plus complexe. Moi, j'ai essayé d'être un petit entrepreneur. Mais pour cela, on ne peut pas être au four et au moulin. Si je dois moi-même faire office d'employé, quand est-ce que je pourrais m'occuper du marketing et de l'administration de mes affaires ? C'est le cas de 95 % des propriétaires de pharmacies à Maurice.
Il y a aussi autre chose. Selon la loi, un pharmacien doit être dans sa pharmacie. Si j'ai une deuxième pharmacie, il me faudra alors employer un deuxième pharmacien. Avec la réduction de notre marge et l'augmentation des salaires, il m'est impossible de le faire. Et par conséquent, c'est im- possible pour moi d'avancer.
L'importation parallèle résoudra vos problèmes ?
Ce n'est pas sûr. Les prix vont baisser, certes. Mais il faut comprendre que dans le cas des propriétaires de pharmacie, il faut trouver un équilibre. Nous avons une marge de 17,6 % de profit en ce moment. Est-ce que je vais préférer faire ce profit sur un produit qui coûte Rs 100 ou sur un produit qui coûte Rs 200 ? Un autre problème que cela pourrait causer est la différence de produits sur le marché. Disons que moi je vends un produit du laboratoire d'origine. Une autre pharmacie vend le même produit mais importé d'un pays différent et à moins cher. On va dire que «sa lafarmasi la voler».
Mais pour le client, c'est une solution ?
Encore une fois, ce n'est pas sûr. Il y a d'autres paramètres à prendre en considération. Il faudra faire des analyses des médicaments importés. A Maurice, il y a un laboratoire privé, qui est accrédité par l'Organisation mondiale de la santé pour les analyses. Si l'importateur doit prendre cela à sa charge, c'est encore des frais supplémentaires et il faudra trouver un moyen de répercuter cela sur les prix. Autrement, s'il doit faire des analyses payées de sa poche, personne n'importera.
A vous entendre, on a l'impression qu'il n'y a pas de solution qui conviendrait à tous.
Il y en a une qui est simple. Dans le manifeste électoral de l'Alliance du changement, il est prévu, pour les médicaments, qui ne sont pas disponibles dans le secteur public, que les patients soient redirigés vers les pharmacies. Etendre cette mesure à tout le système public sera la meilleure solution. Laissez-moi vous expliquer comment cela fait sens. Tout d'abord, ce système marchera s'il y a une pénurie dans les hôpitaux. Or, si tous les départements fonctionnent correctement, et nous espérons que ce sera le cas, il n'y aura pas de manque. Donc, cela ne changera rien pour les pharmacies. Ensuite, depuis des années, le bureau de l'Audit pointe du doigt le ministère de la Santé pour ses gaspillages et sa mauvaise gestion des stocks de médicaments.
Donc, il suffit de ne plus donner de médicaments aux patients dans les hôpitaux et de les diriger vers les pharmacies. Nous nous occuperons d'honorer les ordonnances. Puis, le système de rémunération doit être défini. Par exemple, le pharmacien pourrait garder les ordonnances et faire des réclamations annuelles. Cela résoudrait pas mal de problèmes. Premièrement, il n'y aura plus de gaspillage au ministère. Deuxièmement, cela éradiquera la corruption et le système de commissions dans l'approvisionnement des médicaments. Le ministère en sortira gagnant. Quant à nous, nous aurons accès aux patients avec lesquels nous n'avions jamais contact.
C'est un changement fondamental du système que vous préconisez là...
Soyons francs. Notre marge a baissé et il est très peu probable que les autorités décident de l'augmenter. D'ailleurs, la marge de profits des pharmaciens n'a fait que baisser au fil du temps. Auparavant, elle était de 35 %. Lorsque je suis rentré à Maurice, elle était à 27 %. En 2004, elle a encore été abaissée à 21,6 % et dernièrement, elle est passée à 17,6 %. Et pendant ce temps, le service s'est amélioré. Autrefois, les pharma- ciens donnaient des médicaments aux patients dans des «korne papie» qu'ils fabriquaient eux-mêmes. Aujourd'hui, nous avons des zipper bags et d'autres types de sacs. Cela a un coût que nous ne pouvons pas récupérer sur le prix des ventes. Faites la comparaison avec les cliniques privées, où tout, même «enn ti bout koton», est facturé. Oui, il faut des changements pour que nous puissions survivre.
Et ce système serait la solution miracle ?
Pour qu'il fonctionne, il y a du travail. Par exemple, il faudra que nous sachions quels médicaments sont dispensés dans les hôpitaux et d'où ils sont importés. Il faudra aussi que les patients soient sensibilisés aux génériques, qui seront distribués et qui seront les mêmes que dans les hôpitaux. Les marques seront à ce moment réservées aux clients qui ne viennent pas du privé. Bon, il y aura certainement des critiques. J'entends déjà ceux qui disent qu'il y aura un problème de stockage ou encore que certains ne pourront pas travailler avec un si gros crédit. Mais si nous nous arrêtons aux critiques, rien ne va changer, comme cela a été le cas pour le service fee.