Les appréhensions face aux incertitudes qu'implique l'élection de Donald Trump sur des dossiers bilatéraux et globaux. L'avenir des relations entre Madagascar et les États-Unis et celui des programmes en cours. Les inquiétudes et les opportunités qu'implique la reprise du projet Base Toliara. Claire Pierangelo, ambassadrice des États-Unis, y apporte des réponses. Interview.
La dernière information majeure sur les relations entre Madagascar et les États-Unis concerne la reprise du projet Base Toliara, après six ans de suspension. La reprise se fera avec un investisseur américain. Qu'est-ce qui aurait pu le motiver à intégrer le projet ?
Claire Pierangelo : D'abord, je voudrais parler des élections aux États-Unis et ce qu'il en sera pour Madagascar après les élections. Nous sommes au beau milieu de notre période de transition présidentielle et les grands électeurs maintenant voteront pour le président au sein du collège électoral ce mois de décembre. Après, le congrès va compter les votes et le 20 janvier 2025, se tiendra l'investiture du nouveau président des États-Unis. D'ici là, le président Biden est encore en poste et continue de travailler, d'expédier les affaires courantes. Il vient de visiter l'Angola.
C'est une visite très importante qui démontre l'engagement du gouvernement américain actuel, mais aussi des États-Unis vis-à-vis de l'Afrique. L'administration Biden est en pleine période de transition pour assurer le transfert de pouvoir avec l'administration Trump. Ce qui est bien avec le système américain, c'est que nous, les fonctionnaires du gouvernement américain, sommes non-partisans. Et donc je travaille toujours pour le président qui est là, qu'importe qui est le président élu.
Lors de la soirée électorale, vous aviez dit que, quel que soit lé président élu, les relations entre Madagascar et les États-Unis resteraient au beau fixe. Qu'avez-vous voulu dire ? Le fait est que tous les chroniqueurs et analystes du monde entier s'accordent à dire qu'il y a une incertitude sur le mandat du président Trump, sur ses décisions, sur ses réactions, surtout par rapport à sa politique étrangère, notamment vis-à-vis de l'Afrique.
Je ne dis pas qu'il n'y aura pas de changement. Mais ce qu'il faut savoir, c'est qu'aux États-Unis, les affaires étrangères sont une responsabilité partagée entre le président et le Congrès. Et le Congrès est vraiment impliqué dans tout ce qui est affaires étrangères des États-Unis. Par exemple, pour l'AGOA [African Growth and Opportunity Act], c'est un programme du Congrès également mandaté par le Congrès.
Et au sein du Congrès, les deux parties ont été très intéressées pour continuer à travailler avec l'Afrique. Bien sûr qu'il y aura des changements. Je ne pourrai pas les prédire. Mais ce qui ne va jamais changer dans la politique étrangère des États-Unis, c'est notre engagement pour la démocratie, la sécurité et la prospérité à travers le monde, en Afrique et à Madagascar.
L'AGOA, justement, est un des sujets sur lesquels les pays africains ont une forte inquiétude par rapport aux futures décisions du président Trump. Le président Trump aura la majorité au Congrès. Ce qui lui permettra éventuellement de faire passer n'importe quelle mesure. N'y aurait-il pas de risque qu'il décide d'arrêter l'AGOA, par rapport à sa politique de protectionnisme économique qui mise notamment sur une hausse des droits de douane ?
C'est une très bonne question, mais je vais vous rappeler que cette année, un groupe élargi bipartisan du Congrès américain est venu à Madagascar, a rencontré votre président sur les questions de l'AGOA justement. Et celui qui était à la tête de cette lourde délégation du Congrès américain, c'est un législateur républicain qui a un intérêt certain pour l'appui au renouvellement de l'AGOA.
Même s'il y a la majorité d'un parti au sein du Congrès, ils sont intransigeants lorsqu'il s'agit de leur indépendance, surtout leur indépendance dans les prises de décision et dans ce qu'ils pensent être le mieux pour les États-Unis, pour le monde, mais également pour leurs électeurs. Bien sûr qu'il y aura des discussions sur ce sujet au sein de la nouvelle administration. Mais ce qui est certain également, c'est qu'ils vont discuter de l'importance de cet accord pour les États-Unis, pour l'accord en soi et pour l'Afrique.
Un des points qui sera discuté au Congrès également, c'est de voir l'état de la relation bilatérale avec Madagascar. C'est l'approche par rapport aux investissements américains à Madagascar également. Parce que c'est vrai que l'AGOA est un marché pour les produits africains vers les États-Unis. Mais il s'agit aussi d'un marché pour les investisseurs américains qui vont venir en Afrique.
"En termes d'assistance, depuis 1983, nous avons fourni 1,5 milliard de dollars à Madagascar et rien que pour les cinq dernières années, cette assistance s'est élevée à 787 millions de dollars."
En se basant sur le tempérament du président Trump. Est-ce que le Congrès osera s'ériger contre sa volonté s'il veut faire passer une loi? Justement, si on prend l'exemple de l'AGOA. S'il souhaite arrêter l'AGOA, est-ce que le Congrès osera s'ériger contre lui, surtout après la victoire électorale éclatante qu'il a obtenue ?
C'est une question qui nécessiterait une boule de cristal pour prédire l'avenir. J'estime que le système américain est assez robuste avec un système de discussion et de prise de décision. Comme je viens de le dire, ils vont évaluer la relation entre les États-Unis et Madagascar. Comment Madagascar traite les compagnies américaines qui investissent ici. Mais nous avons quand même une relation bilatérale qui date de 160 ans.
Et cette année est une année assez spéciale pour nous. On vient de célébrer les 30 ans de Peace Corps Madagascar. Au total, mille sept-cents volontaires ont travaillé dans le domaine de l'éducation, de la santé, de l'agriculture. Cette année marque également les 40 ans de l'USAID à Madagascar. Donc, l'engagement des États-Unis à fournir une assistance humanitaire cruciale en réponse à la sécheresse, les maladies, les cyclones et qui ont permis aux communautés affectées de développer une résilience pour faire face aux chocs futurs ne va pas changer.
En termes d'assistance, depuis 1983, nous avons fourni 1,5 milliard de dollars à Madagascar et rien que pour les cinq dernières années, cette assistance s'est élevée à 787 millions de dollars. Tout ça, c'était pour les collaborations, pour protéger la biodiversité. C'était aussi pour apporter l'électricité au monde rural, ainsi que pour renforcer la démocratie et la gouvernance.
Un des points d'inquiétude porte aussi sur le maintien des financements de ces programmes. Vous avez parlé de la préservation de la biodiversité, de l'environnement ou dans le domaine de la santé et de la lutte contre la malnutrition. Qu'en sera-t-il de ces programmes avec la future administration ?
Comme je vous ai dit, ces programmes vont durer. Il ne faut pas oublier qu'ils ont existé même pendant le premier mandat du président Trump et même avant cette première administration Trump. Et ils continuent jusqu'à maintenant. Il ne faut pas oublier que c'était pendant la première administration Trump qu'il y a eu l'assistance pour lutter contre la pandémie de la Covid dans le monde entier.
Ça a été son insistance et le développement rapide de la production des vaccins qui ont été les clés dans la lutte mondiale contre la Covid-19. Donc, la nouvelle administration va sûrement voir tout cela, mais je ne vais pas faire d'évaluation sur ce qu'ils vont valoriser ou pas. Toutefois, regardons déjà ce qu'ils ont déjà fait et nous verrons ce qu'il en sera pour le futur. En tout cas, il n'y aura pas de changement pour les programmes déjà en cours.
Par exemple, il y a deux semaines, nous avons reçu la visite de l'administratrice adjointe de l'USAID, Maria Detherage. Elle a annoncé un nouveau financement américain de près de 22 millions de dollars, pour renforcer les moyens de subsistance, améliorer la sécurité alimentaire et promouvoir l'inclusion financière de plus de quatre-vingt-huit mille ménages dans les régions du Sud et du Sud-Est de Madagascar. L'USAID est actuellement en train de planifier sa nouvelle stratégie quinquennale. Ça renforcera sans aucun doute notre fort engagement pour le soutien au développement et de coopération.
Certes, mais je reviens toujours sur l'inquiétude face à l'incertitude des quatre futures années. Qu'en sera-t-il des programmes futurs, surtout ceux qui seront à mettre en oeuvre par rapport à des initiatives globales, telles que la lutte contre le changement climatique, par exemple ?
Oui, c'est une question intéressante, mais encore une fois, je vais vous dire de revoir un peu ce qui s'est passé ici pendant la première administration Trump. Les soutiens dans la lutte contre le changement climatique et les appuis pour la biodiversité ont toujours continué. Il y a toujours une différence entre la rhétorique politique et ce que nous faisons vraiment pour le monde et dans le monde. Il faut revoir ce qui a été fait et vous verrez que nous avons toujours continué à faire ce qu'on a déjà fait.
Mais ce qui résonne auprès de l'opinion publique, c'est surtout la décision du Président Trump de se retirer des accords de Paris. C'est son intention de reprendre les exploitations de pétrole et de gaz en Alaska. Ce qui est en contradiction avec les discours sur les efforts mondiaux pour la réduction des gaz à effet de serre, ou la réduction de l'exploitation et de l'utilisation des énergies fossiles.
Dans notre système, il y a plusieurs manières de faire la politique et de prendre des décisions politiques. Il y a le président, mais il y a aussi les autres institutions pour que ça soit équilibré. Pour le poste de secrétaire d'État, le président a nommé et nous espérons qu'il sera confirmé, l'ancien sénateur Marco Rubio en tant que secrétaire d'État. Il a beaucoup d'années d'expérience en termes de développement, de politique étrangère. Il vient de l'État de Floride qui a beaucoup de défis à faire face, exactement comme le cas de Madagascar.
Au sein du gouvernement, il y a beaucoup de personnes qui ont une très forte compréhension de ces défis et de tout ce qui se passe aussi dans le monde. J'ai totale confiance que le nouveau président va consulter ses experts et ses ministres quand il faudra prendre des décisions politiques.
à ce jour, ça va encourager d'autres compagnies américaines à venir investir à Madagascar Les États-Unis sont considérés comme un garant moral de certaines valeurs comme le respect des droits de l'Homme, l'égalité des genres, l'égalité des races. Ne craignez-vous pas qu'après tous les discours tenus durant la campagne électorale du président Trump, cette image de garant moral ne soit écornée vis-à-vis de vos partenaires ?
Ma réponse est non. Après 250 années d'existence des États-Unis, l'histoire nous a prouvé qu'en termes de politique, il y a toujours eu un équilibre. Comme je vous ai dit, il y a la rhétorique politique, mais la réalité en est tout autre. Il y a toujours eu cette histoire d'équilibre. L'équilibre dans les discussions et l'équilibre dans le processus. Mais qui a aidé dans la formulation des politiques ?
Nous avons un système fédéral très fort dans nos cinquante États. Nous avons également un système judiciaire très fort qui est là pour s'assurer que les droits de chaque citoyen américain soient respectés. Nous avons également un système bicaméral où notre congrès est là pour représenter avant tout chaque citoyen des États-Unis. Et donc je ne trouve pas de raison pour que ce qui a marché en 250 ans puisse changer en quatre ans.
Lors de votre entretien avec le Président de la République, l'AGOA et le MCA [Millenium Challenge Account], ont été évoqués. Madagascar a-t-il des chances de réintégrer le MCA rapidement ?
J'ai eu l'opportunité de rencontrer son Excellence, le président de la République, il y a deux ou trois semaines. C'était une opportunité pour nous deux de vraiment discuter de manière extensive sur les questions bilatérales entre nos deux pays. Parmi les trois grandes questions dont nous avions discuté, il y avait également Millennium Challenge Corporation, MCC et bien sûr des questions de scorecards de la MCC et où en est Madagascar par rapport à ces scorecards.
Je suis optimiste pour les années à venir en termes de relations bilatérales économiques entre nos deux pays. Le MCC n'est pas une décision politique. Il est basé sur des données et sur des faits économiques, sur comment Madagascar agit face à certains critères. Un des éléments pris en compte est de savoir comment Madagascar traite les investissements étrangers. Comment Madagascar traite les compagnies américaines qui veulent investir ou qui investissent à Madagascar.
Est-ce que les cadres juridiques sont prévisibles pour les investissements étrangers et pour les investissements américains ? Quel est le statut du respect des normes démocratiques et de gouvernance ainsi que de la lutte contre la corruption au sein du pays ? Certes, respecter ces conditions n'est pas simple, mais c'est faisable. D'autant plus que ce sont des éléments qui dépendent entièrement de Madagascar.
Mon plus grand espoir, c'est que l'année qui vient, Madagascar s'élèvera dans les scorecards, et va pouvoir être qualifié pour obtenir le financement du MCC. Il y a aussi une considération particulière cette année. Il s'agit de la lutte contre la traite des êtres humains. Madagascar doit améliorer son classement en matière de lutte contre la traite des êtres humains. Sans quoi, ça risque d'avoir de fâcheuses répercussions sur son dossier.
Mais il y a une bonne nouvelle, beaucoup de progrès a été fait, que ce soit au niveau des forces de l'ordre, au niveau du système judiciaire, au niveau de la société civile, et même au niveau du gouvernement pour faire face à ces cas de traite des personnes. C'est la raison pour laquelle je suis optimiste sur le fait qu'il y aura une amélioration.
S'il y a des progrès notables en termes de lutte contre la traite des personnes, en termes de soutien aux investissements américains, en termes de lutte contre la corruption, dans un an ou deux, j'ai vraiment bon espoir que Madagascar pourrait être éligible pour obtenir les financements du MCC.
Pour en revenir à ma toute première question, si je ne me trompe pas, l'investissement dans le projet Base Toliara est le plus grand investissement américain à Madagascar, jusqu'ici. Qu'est-ce qui a suscité l'intérêt de l'entreprise américaine à intégrer le projet ?
Effectivement, c'est le plus important investissement américain à Madagascar. C'est un signal fort en termes du climat d'investissement dans le pays. Je parle aussi de la qualité de l'investissement qu'on apporte par rapport aux autres pays. La particularité des investissements américains est qu'ils sont, non seulement, soumis aux lois locales, mais ils sont également assujettis aux lois américaines.
Je ne pourrais pas parler au nom de Energy Fuels, qui est la compagnie américaine qui investit dans Base-Toliara, mais je suis sûre qu'ils ont déjà fait leurs recherches et leurs analyses sur l'importance et les intérêts d'investir à Madagascar. Néanmoins, je suis très enthousiaste parce que cet investissement va mobiliser 800 millions de dollars sur l'ensemble du projet.
Les intérêts de cet investissement, sur le long terme, sont nombreux pour Madagascar. L'amélioration des infrastructures, l'augmentation des recettes en devise et le renforcement de la stabilité économique, et aussi de la manière dont ce projet va soutenir les objectifs de développement de Madagascar. Le pays et la Banque mondiale ont identifié le secteur minier comme un vecteur de développement pour Madagascar.
Si tout se passe bien, étant donné que c'est le premier gros investissement américain à ce jour, ça va encourager d'autres compagnies américaines à venir investir à Madagascar. Ce sera un catalyseur pour plus d'investissements, pour l'emploi inclusif, pour le développement, pour les projets communautaires qui préservent la culture et l'environnement.
Comme dans tout investissement minier, il y a ceux qui sont pour, il y a ceux qui sont contre le projet. Certes, les autorités nationales ont un rôle à jouer pour apporter des explications et rassurer les citoyens. Mais du côté de l'État américain, de l'ambassade, quelle approche envisagez-vous pour rassurer la population locale, surtout, par rapport aux craintes des conséquences sur l'environnement, sur la santé publique, ou encore les activités locales comme la pêche ?
Les compagnies américaines sont sujettes à des lois américaines très strictes et des standards d'opérations élevés. Donc, il y a déjà ça. Les rumeurs, les accusations, les suppositions ont déjà existé avant que la société américaine n'arrive. Je ne peux pas parler au nom de Energy Fuels, mais maintenant que le projet avance, je sais que l'une de leurs priorités est de discuter avec les communautés locales pour faire face à ces questions. Pour ma part, mon travail est de m'assurer que les compagnies américaines qui investissent ici fassent les bonnes choses.
De ce que j'ai compris, c'est que durant la période de suspension, Base Toliara n'a pas pu travailler sur les projets communautaires. J'ai cru comprendre que l'un des éléments sur lequel le gouvernement a justement insisté concerne la Responsabilité sociétale de l'entreprise (RSE). Leur engagement maintenant, c'est d'investir 4 millions de dollars par an en termes d'appui à la communauté. Et donc, dès qu'ils commenceront les constructions, beaucoup de ces projets vont commencer également.
"Si tout se passe bien, étant donné que c'est le premier gros investissement américain"
La décision du Conseil des ministres sur la réouverture, la reprise de Base Toliara est intervenue juste après votre rencontre avec le Président de la République. Ce dossier aurait été parmi vos sujets de discussion. Pourriez-vous me dire ce qui a convaincu l'État de redémarrer le projet avec ce nouveau fonds d'investissement américain ?
Je crois que le gouvernement malgache a pris sa décision seul, sur la base des faits qu'il avait sur l'investissement de ces sociétés. Dans notre conversation, j'ai juste exprimé mon enthousiasme face à ce très grand investissement américain à Madagascar. Mon espoir et ma conviction sont que cet investissement dans Base Toliara ouvre la porte à d'autres investisseurs, mais aussi à d'autres financements internationaux.
Il s'agit ici d'un projet minier sur les minéraux critiques. Il y a des projets similaires dans plusieurs pays en Afrique. Il y a un groupe qu'on appelle "Partenariat minéral à la sécurité minière". Il y a les pays qui produisent, mais il y a aussi les pays consommateurs qui sont membres de cette organisation. Nous, les États-Unis et l'Union européenne, nous sommes à la présidence de ce groupe, et nous avons invité Madagascar à devenir membre. J'ai bon espoir que Madagascar rejoindra ce groupe. Cela lui donnera accès à d'autres investissements, à d'autres financements, et à d'autres opportunités de développement. Ça va aussi l'aider à s'intégrer au marché mondial de ces minéraux.