Passer au tout numérique dans les salles de classe. Un rêve inaccessible ? Un cauchemar technologique ? Pas quand l'expérience de conception des livres scolaires numériques est disponible localement. Séverine Martial, éditrice, nous en parle.
Période critique. Il ne reste qu'un peu plus d'un mois avant la prochaine rentrée scolaire. Mardi, les résultats du National Certificate in Education (NCE) ont été annoncés.
Des leçons ont-elles été tirées du cafouillage de début d'année ? En 2024, à la fin du premier trimestre, des manuels scolaires manquaient toujours à l'appel, au secondaire. Ces livres pourtant proposés gratuitement aux élèves par l'Etat, ont subi les effets combinés de contestation d'appels d'offres, de retards techniques du côté des fournisseurs et d'un suivi inadéquat au niveau du ministère, avait reconnu l'ex-ministre de l'Education, Leela Devi Dookun-Luchoomun.
A la faveur du lancement du premier ouvrage de Namma Editions, le mercredi 4 décembre, Séverine Martial partage sa riche expérience d'éditrice de livres scolaires numériques. «L'édition scolaire a été ma zone de confort», confie-t-elle.
Alors qu'elle gérait une librairie à Nice, elle est contactée parce que l'on cherche une personne, «qui connaît Maurice et l'édition». Séverine Martial rentre au pays en 2006. Jusqu'en 2022, elle est la directrice de la maison d'édition Les classiques africains, qui est basée chez nous.
Avant de se mettre à son propre compte, l'éditrice a collaboré avec des éditeurs camerounais, kenyans, rwandais. «C'est l'un des plus gros marchés en termes de volumes. C'est aussi l'un des rares marchés où ils cherchent encore du livre-papier», précise-t-elle. Pour le Kenya par exemple, elle a conçu, rédigé et mis en page un livre de français langue étrangère. «C'est le service que je propose. Après 20 ans d'expérience, une fois que j'ai le programme scolaire, le savoir-faire prend le relais.»
L'éditrice ajoute qu'en Afrique de l'Ouest, plusieurs pays passent au livre scolaire numérique. «En termes de Produit intérieur brut, Maurice est au-dessus d'eux, mais on reste avec des méthodes traditionnelles, parfois archaïques.» Sans oublier les critiques récurrentes sur la qualité à la fois du contenu et de la mise en page des manuels scolaires prescrits. «Si on ne rend pas le livre attirant, aucun enfant ne voudra garder le livre entre ses mains. Comment reprocher à l'enfant de préférer le téléphone portable et la télé, où c'est dynamique et coloré, où ça rit et ça chante ?»
Séverine Martial a aussi travaillé pour l'Ecole des loisirs. Elle représente maintenant cette maison d'édition, «l'un des plus importants éditeurs jeunesse en France». En se basant sur ses expériences, l'éditrice explique que les livres scolaires numériques tiennent sur une tablette paramétrée uniquement pour du contenu scolaire.
En classe, élèves et enseignant sont en ligne. L'enfant travaille directement sur la tablette et cela est transmis instantanément au professeur, qui «suit en temps réel ce que fait toute la classe». L'enseignant peut voir «qui a raté quoi et à quel moment». Pour l'éditrice, le scolaire numérique est un monde fascinant qui «révolutionne l'éducation».
Séverine Martial a déjà visité des salons dédiés au scolaire, «où il y avait le tableau blanc interactif, comme une grande table, avec les élèves autour, travaillant à l'aide du stylet. Les cours sont aussi diffusés sur projecteur. En termes d'interactivité et d'évolution de la pédagogie, c'est extraordinaire. Au moins deux établissements scolaires à Maurice, qui suivent le cursus français sont équipés de ces outils. Et au moins un lycée n'utilise que les livres scolaires numériques, pour les adolescents.»
Ce qui signifie plus de gros cartable, plus de cahiers. Et la «possibilité pour l'enseignant et le parent de suivre les progrès de l'élève. Ce serait intéressant d'avoir ces outils dans les matières qui demandent de l'interaction comme les mathématiques, les sciences. Quand l'enseignement devient ludique, cela change tout. Cela peut libérer beaucoup de potentiel chez les enfants».
L'éditrice souligne que ces outils technologiques «ne sont plus aussi chers qu'il y a 10 ans». Pour une tablette «dédiée à l'éducation, on n'a pas besoin d'une machine extraordinaire». Si la tablette calibrée pour la classe représente certes un investissement initial, «à Maurice, même s'il y a toutes sortes d'ouvertures sur le numérique on reste avec le tableau blanc et un enseignement par certains côtés archaïque alors qu'il s'est passé tellement de choses dans le pays en 20 ans, comme la cybercité. Avec les connections internet, il n'y aurait plus de problèmes de livraison des livres-papier».
Son calcul: une tablette de qualité moyenne à partir de Rs 5 000. «Une tablette que l'élève utilisera pendant toute sa scolarité primaire, donc cinq ans». Il faut au moins six manuels - qui sont subventionnés dans le secteur public, payants dans le secteur privé. «On n'est pas obligé d'être profitable dans ce créneau de l'éducation et du progrès. Le retour sur investissement c'est plus pour l'immobilier. Le livre scolaire numérique, lui, sert par exemple à rattraper des retards.»
L'éditrice est convaincue qu'il y a «vraiment un train à prendre là». D'autant plus que ce secteur pourrait être générateur d'emplois pour des créateurs de contenus, des développeurs, etc. Séverine Martial ajoute avoir collaboré avec le Futuroscope à Poitiers en 2013-14, «où ils ont un département dédié aux livres scolaires numériques. Cela faisait 10 ans que la France était passée aux contenus scolaires numériques et quand j'y étais, ils évaluaient le projet et faisaient des propositions pour l'améliorer. C'est le type d'universitaires qui seraient ravis de partager leur expérience. Avec des étudiants qui pourraient travailler sur le projet».
Réaliste, l'éditrice et mère de famille reconnaît que l'enfant, face à l'attrait d'outils comme le portable et la télé, «va toujours lâcher le livre. Mais l'idée c'est qu'il garde le livre suffisamment longtemps». A charge aux parents de lire avec l'enfant, de l'accompagner. «On ne peut pas laisser l'enfant avec le livre et lui dire de se débrouiller. Cela devient une punition, pas un moment fun. Il faut s'intéresser à ce que l'enfant lit. Cela va l'encourager à continuer.»
Livre jeunesse : Lancement de «Telvima» de Stéphanie Fanchette Brillant
Le mercredi 4 décembre la maison d'édition Namma a lancé sa première publication de littérature jeunesse, «Telvima» de Stéphanie Fanchette Brillant. L'éditrice, Séverine Martial, explique que Namma est le nom d'une déesse sumérienne de la connaissance. La maison d'édition existe depuis un an. Avant d'entamer son parcours professionnel, Séverine Martial a fait quatre ans d'études des métiers du livre à l'université Paris XIII. «J'ai travaillé aux Editions de l'Olivier au moment où ils ont commencé à publier Carl de Souza et Barlen Pyamootoo.»
Littérature Mauricienne une histoire de famille
«Le livre a toujours fait partie de ma vie. Chez mes parents, la maison est tapissée de livres», confie Séverine Martial. Y avait-il des livres interdits dans cette famille qui lit ? «Ah si ! Je n'avais pas droit à la Bibliothèque rose, à ce qui plaisait aux filles. Ma mère avait étudié les littératures jeunesse, il y avait des titres qui n'étaient pas recommandés. Il fallait se cacher pour lire la collection des Oui-Oui», se souvient l'éditrice en riant. A 15 ans, elle s'entend dire : «Mais comment tu peux lire Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, parce que le titre paraissait soporifique, alors que cela m'a passionnée.»
Elle reconnaît que c'est par son père (Yvan Martial, journaliste et historien) qu'elle a eu accès à la littérature mauricienne. «Adolescente j'ai commencé à lire Marcelle Lagesse, Arthur Martial mon grand-père, Savinien Mérédac. La bibliothèque de mon grand-père Arthur est chez mes parents. Il y a la collection des livres qu'il a écrits, celle des ouvrages de ses contemporains et tous les numéros du magazine l'Essor. Quand on est adolescente et qu'on passe juillet-août à Vacoas, c'est une caverne d'Ali Baba.» Ces trésors, Séverine Martial ambitionne de leur donner une nouvelle vie. Une nouvelle publication «pas piece meal, un à la fois, mais une véritable collection d'une dizaine d'ouvrages pour que cette littérature mauricienne peu lue ait un nouvel impact».