Ile Maurice: «Une mère victime d'abus sexuels peut-elle se montrer surprotectrice envers ses enfants ?»

8 Décembre 2024
interview

Le décès de la petite Esteer Enaelle Jolicoeur, 18 mois, après avoir été «cognée» par sa mère, Rowena Raffin, soulève des questions sur la parentalité responsable mais surtout les effets psychologiques à long terme des traumatismes non traités sur les adultes. Les proches de cette dernière ont confié que Rowena Raffin a elle-même connu une enfance difficile, ayant été violée pendant plusieurs années par un pasteur à Rodrigues. La perte d'une petite fille de trois ans en septembre aurait aggravé ses dommages psychologiques, sans qu'elle n'ait jamais bénéficié d'un vrai soutien psychologique par les autorités concernées. Kunal Bhagan, psychologue à la Mauritius Family Planning and Welfare Association, met en lumière les effets des traumatismes non traités de l'enfance sur les adultes.

Comment un traumatisme peut-il perturber la psychologie et le comportement d'un enfant victime ?

Les traumatismes de l'enfance ont des répercussions négatives sur la psychologie et le comportement des victimes, qui se traduisent par une mauvaise estime de soi, des sentiments de culpabilité et de gêne, des pensées négatives conduisant à de mauvaises prises de décision et des idées dépressives et suicidaires. Ils peuvent également conduire les victimes à des réactions émotionnelles exacerbées et incontrôlables et à des comportements à risque tels que la toxicomanie, la délinquance juvénile, la violence et l'hypersexualisation.

Quel impact, en cas de non-traitement, un traumatisme infantile peut-il avoir sur la personnalité des victimes lorsqu'elles deviennent adultes ?

En l'absence de traitement, les conséquences s'aggravent, entraînant des craintes, des phobies, des difficultés d'apprentissage, une personnalité antisociale, de l'anxiété, un syndrome de stress post-traumatique, des attaques de panique, des comportements autodestructeurs, des comportements hyper- sexualisés, des insomnies, des cauchemars, des reviviscences du traumatisme et d'autres troubles psychologiques.

Comment les abus sexuels subis pendant l'enfance influencent-ils la maternité et les pratiques parentales des femmes ayant survécu à ces abus ?

Les abus sexuels subis pendant l'enfance peuvent avoir deux conséquences majeures sur la mère concernant l'attachement et les pratiques parentales des femmes survivantes, à savoir soit une protection excessive envers l'enfant, soit un mépris total de son rôle de maman. Dans le premier cas, la mère ayant subi des abus sexuels dans son enfance, elle trouvera, en tant qu'adulte, tous les moyens de protéger son enfant contre tout abus, en ne lui laissant aucune liberté, en craignant de se séparer de lui et en adoptant un style parental autoritaire. En revanche, l'impact pourrait être un style parental dédaigneux, où la mère ne s'attache pas à son enfant et ne s'occupe pas bien de lui.

Quels sont les signes auxquels il faut prêter attention pour savoir qu'une personne souffre d'un traumatisme persistant et nécessite de l'aide ?

Toute personne souffrant d'anxiété, de dépression, d'une faible estime de soi, de souvenirs envahissants, de comportements autodestructeurs, de troubles du sommeil, de stress, de toxicomanie, de problèmes relationnels et de problèmes émotionnels peut avoir besoin de l'aide et du suivi d'un professionnel de santé mentale.

Comment expliquer l'incapacité des autorités concernées à offrir un soutien psychologique adéquat aux victimes d'agressions sexuelles ?

Lorsqu'une enquête dure longtemps, les retards dans la prise en charge du cas peuvent avoir des conséquences négatives. Il est également nécessaire de faire appel à des soignants/prestataires de services spécialisés pour s'occuper de ces cas. Tout en apportant un soutien à la victime, le fait que ce soit toujours le même professionnel de santé mentale qui l'assiste pourrait avoir un meilleur impact sur la victime que le fait qu'elle doive voir un autre officier à chaque suivi.

Vu la notion négative associée à la demande d'aide, la victime peut aussi ne pas vouloir poursuivre la psychothérapie. Souvent, des victimes ne veulent pas bénéficier d'un soutien psychologique, pensant que cela signifie qu'elles ne vont pas bien ou qu'elles sont atteintes d'une maladie mentale. Beaucoup ne comprennent pas les objectifs d'un suivi psychologique. Certaines craignent d'être taxées de troubles mentaux, ce qui n'est pas bien vu dans notre société. De plus, nombre de cas ne sont pas rapportés, de sorte que les autorités concernées ne sont même pas au courant de ces cas.

Comment mettre fin au tabou et garantir une assistance globale aux victimes de trauma ?

Il faut savoir qu'environ 300 cas d'abus sexuels sur des enfants sont rapportés chaque année dans notre centre d'accueil et dans cette ère digitale, les abus sexuels et l'exploitation en ligne sont également une réalité, où de nombreux cas ne sont pas rapportés et où les auteurs conditionnent les enfants à une exploitation ultérieure. Une approche holistique et globale devrait être adoptée pour aider les victimes dès le début et elles ne devraient pas avoir à relater leur vécu à plusieurs reprises, afin de garantir leur rétablissement et d'éviter une victimisation secondaire. Il faut insister sur la sensibilisation du grand public et voir d'un bon œil le recours à une aide psychologique.

Ces questions complexes devraient être abordées dans le cadre d'un partenariat et confiées à des institutions spécialisées. Il est également nécessaire d'éduquer nos enfants, de leur parler des abus sexuels, de leur expliquer ce qu'est un «good or bad touch», et de leur indiquer comment et où rapporter un cas, afin qu'ils ne se sentent pas embarrassés d'en parler ou de demander de l'aide lorsqu'ils sont victimes d'abus sexuels.

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