Il ne reste plus aucune structure debout, là où se tenait jadis une vénérable belle dame créole, l'ex-Publico House, rue St Georges, à Port-Louis. La maison, classée puis déclassée comme patrimoine national, est désormais à terre.
Que de souvenirs des jours heureux. La vie à l'ombre des manguiers en fleurs dans le Ward IV. Entre la maison d'enfance, rue St Georges, les classes à l'école du gouvernement Raoul Rivet. Les heures rythmées par le clocher de l'église Immaculée Conception. Et les anniversaires au goût sucré des gâteaux de madame Chavry, une voisine bonne pâtissière.
Toutes ces images, c'est dans la mémoire de Didier Wong qu'elles survivent. Car la maison de son enfance est à terre. La démolition de l'ex-Publico House, vénérable maison coloniale à étage, ourlée d'une magnifique balustrade, est désormais complétée.
Mardi, des camions embarquaient une partie du bois du chantier de démolition. Avant que les grilles en fer forgé ne se referment. Que la plaque d'une agence immobilière ne soit fixée au-dessus, signalant que le terrain, désormais libéré de son encombrante construction en état de délabrement, est à vendre.
C'est à Paris où il vit, que Didier Wong, docteur en arts plastiques, enseignant d'arts appliqués et formateur académique, a appris avec stupeur le sort réservé à la maison de son enfance. «Cela me touche même si ma famille n'était plus propriétaire de la maison», explique Didier Wong. Quand l'ex-Publico House a été classée patrimoine national, «cela a été fait in extremis. Un membre de ma famille, un photographe soucieux du patrimoine avait fait un forcing, avec l'association SOS Patrimoine, pour sauver la maison».
Du sauvetage au tout dernier moment, on est passé à la démolition totale de l'édifice. «C'est hallucinant. Il semble que dès le début, celui qui avait acheté l'emplacement souhaitait y construire un hôtel. On craignait que cela ne soit un hôtel de passe. Quel intérêt avait-il à entretenir la maison ? L'Etat n'aide pas les propriétaires de patrimoines nationaux pour l'entretien de ce bien», souligne Didier Wong. Il estime que le propriétaire a laissé pourrir la vieille maison avant de s'en débarrasser. Dans le quartier, il y a d'autres maisons coloniales à l'abandon, dont celle occupée un temps par le restaurant Lambic.
Flash-back. Années 1990. «Quand ma grandmère, qui vivait à l'étage, a déménagé parce que la maison était devenue trop grande pour elle, l'agence Publico qui louait le rez-de-chaussée a pris l'étage aussi», raconte Didier Wong. Enfant, il se souvient être resté de longues heures à observer le travail des décorateurs de l'agence Publico sur des affiches publicitaires en aluminium. Est-ce les prémices de sa vocation artistique ? Didier Wong sourit.
Ce sont ses grands-parents maternels, les Kwang Shin Hung, venus de Canton en Chine dans les années 1960 qui achètent la maison à la famille Li Yuen Fong. «Mon grand-père était dans le commerce.» Des grands-parents chinois qui se sont rencontrés à Maurice. Dans leur foyer rue St Georges, ils élèvent cinq enfants, dont Paulette, la mère de Didier Wong, qui a enseigné au collège Lorette de Port-Louis.
Après leur mariage en 1973, les parents de Didier Wong s'installent à l'étage de la maison coloniale. L'artiste et enseignant d'arts appliqués naît en 1975. Il se souvient que «la cuisine était séparée de la maison. Il fallait traverser une passerelle pour y aller».
L'antique maison était voisine des locaux du groupe Le Mauricien. «J'ai quelques souvenirs de l'incendie du journal»*, confie Didier Wong. C'était le 8 janvier 1978. Le sinistre ravage le bâtiment construit au début du 20e siècle. Le journal perd non seulement des équipements mais surtout de précieuses archives. Le petit enfant qu'était Didier Wong se souvient de l'ambiance quand «tout le monde quittait la maison». Au plus fort de l'occupation, il y a eu dix personnes de sa famille dans la maison. «Nous avons déménagé pour Rivière-Noire quand j'étais en cinquième.»
Histoire d'une destruction programmée
Une réponse parlementaire de l'ex-ministre des Arts et du patrimoine culturel, Avinash Teeluck, indique que le conseil des ministres a décidé enlever l'ex-Publico House de la liste du patrimoine national le 14 février 2020. La maison avait été classée patrimoine national en juillet 2016.
Depuis, «le propriétaire a demandé au ministère et au National Heritage Fund d'enlever cette structure de la liste du patrimoine national. Il a affirmé qu'il ne pouvait ni développer son bien ni le rénover. Et qu'il n'arrive pas à rembourser l'emprunt pris pour acheter cette propriété». Une évaluation du coût de la rénovation, a ajouté le ministre d'alors, était à «Rs 32 millions en janvier 2017 et entre Rs 45 millions à Rs 55 millions en 2019».
Comme le coût des réparations était énorme, un comité d'experts a été constitué pour considérer la possibilité d'enlever l'ex-Publico House de la liste du patrimoine national. Ce comité a trouvé qu'au moment de l'acquisition, la maison n'était pas classée patrimoine. Que le classement, le 1er juillet 2016 a été faite sans consultation avec le propriétaire. Que l'Etat n'a pas les fonds pour soutenir la rénovation d'édifices privés. L'ex-Publico House a alors été déclassée.
Pour Arrmaan Shamachurn, président de SOS Patrimoine, une série de questions demeurent. Pourquoi est-ce qu'avec le classement de la maison comme patrimoine national, le propriétaire a affirmé qu'il ne pouvait plus développer son bien ? Il se demande qu'elles étaient les intentions du propriétaire en achetant cette maison et si c'était bien pour la rénover. Il souligne que la loi ne prévoit pas de consultation avec le propriétaire avant le classement d'un bien. «C'est le ministre qui désigne un bien patrimoine national, ensuite le directeur du National Heritage Fund informe le propriétaire.»
Le président de SOS Patrimoine souligne que dans sa réponse, le ministre d'alors a admis que «no expertise is available at the NHF for restoration (...) and funds were not available in the budget of the NHF nor provision has been made by Government for restoration of private building». Pour Arrmaan Shamachurn, «le manque de fonds a toujours été une excuse pour que l'Etat ne prenne aucune action en faveur du patrimoine».