Dans les pas chaloupés d'un «Brown Baby», l'un de ces enfants métis nés à l'époque de la Seconde Guerre mondiale, issu des amours de soldats noirs américains et de femmes blanches rencontrées en Europe où ils avaient été envoyés en mission. Fabienne Jonca livre un premier roman en forme de combat contre le racisme. «Brown Baby» paraît chez l'Atelier des nomades.
Une musique s'empare de vous. Et ne vous lâche plus. Pas seulement parce que dans l'histoire, Charly, le père, est un musicien de jazz dans un club parisien, le Montana. Mais aussi parce que les titres des chapitres sont évocateurs d'une époque. D'un swing. Un tempo accentué par les références à un faisceau d'oeuvres d'art. Impression, soleil levant de Monet en ouverture. La Nuit étoilée tourbillonnante de Van Gogh. Le Cri de Munch pour exorciser son mal-être, entre autres.
C'est par la musique des mots que Fabienne Jonca nous emporte à la rencontre de Brown Baby, son premier roman. Paru chez Atelier des nomades, l'ouvrage a été lancé le jeudi 5 décembre à la Librairie Le Trèfle, à Curepipe, sous les auspices de l'Institut Français de Maurice.
Brown Baby c'est un retour à la Seconde Guerre mondiale. Auprès des brown babies ou war babies nés de la rencontre entre des soldats noirs américains et des femmes blanches européennes, dans les pays où ils ont été envoyés en mission. Des enfants métis aux sorts divers, victimes de racisme et d'exclusion.
Une fois que le personnage principal, Sam, a enfin mis le cap vers le Japon pour retrouver son père biologique, un soldat américain, l'auteur explique : «Les archives de la protection sociale de l'université du Minnesota font état de quelque 7 000 brown babies nés entre 1945 et 1955. La plupart d'entre eux n'ont découvert qu'une fois adultes qu'ils avaient été adoptés.» Après avoir fait «mille choses», des livres jeunesse, des livres de cuisine, des documentaires, Fabienne Jonca s'était persuadée que «jamais je ne saurais écrire un roman». Jusqu'au jour où elle travaille sur les Cape Coloured, population métissée du Cap, en Afrique du Sud. En se renseignant, elle tombe sur un documentaire traitant des Brown Babies. «J'ai trouvé que c'était tellement injuste que cette histoire m'a obsédée.»
Sam, le personnage, s'est alors «imposé» à elle. Pour devenir une vie sur fond de la «grande histoire». Fabienne Jonca a écrit «tous les matins, en marchant en bas de chez moi». Elle a mis quatre ans à écrire ce premier roman, avec le soutien de la Région Réunion et du coach en écriture Maud Simonnot.
Sur ce chemin de découverte, les titres de chapitres qui se réfèrent à des chansons, des musiques de films, des tableaux, des sculptures, des poèmes «dessinent en creux le portrait du héros. L'art est un révélateur. Il nous dit des choses de nous que nous ignorons». Dans ces oeuvres, il y a évidemment celles qui ont plus touché l'auteure que d'autres, comme Le secret d'Auguste Rodin, «que je suis retournée voir pendant que j'écrivais». Et Slave Auction de Jean-Michel Basquiat, une «toile qui me bouleverse à chaque fois».
Légitimité en littérature
«Corinne Fleury (NdlR : l'éditrice de l'Atelier des nomades) m'a apporté une sorte de libération. Elle m'a vraiment aidée à rendre ce roman plus fort», reconnaît Fabienne Jonca, à propos de Brown Baby.
L'auteure a dû gérer son «problème de légitimité». Pour elle, originaire de Catalogne, étudiante à Paris pendant six ans, vivant à La Réunion depuis 33 ans, «être une femme blanche et raconter un personnage masculin noir» lui a fait craindre d'éventuelles accusations d'appropriation culturelle. Fabienne Jonca explique que dans la version initiale du roman, elle n'avait pas exprimé sa «révolte contre le racisme à sa juste mesure». Ce qu'elle a retravaillé grâce à la latitude accordée par une éditrice «engagée». «Je suis persuadée que si on veut combattre le racisme, le sexisme, l'homophobie, il faut lutter ensemble.»
L'immigration, question universelle
Brown Baby montre des Noirs américains qui, après la Seconde Guerre mondiale, traversent l'Atlantique pour s'installer à Paris pensant fuir la ségrégation. Sauf que la situation n'est pas forcément meilleure, trouver un appartement peut être une galère à cause de la couleur de peau. Dans ce roman dédié «à tous les enfants de la guerre», Fabienne Jonca reconstitue autour de Sam une «famille de coeur», notamment avec un meilleur ami portugais et un Réunionnais bienveillant. «La créolisation est l'avenir du monde.» «On écrit avec ce que l'on est. C'est une solidarité, peu importe la couleur de peau et les origines que je vis à La Réunion et à Maurice.»