En Côte d'Ivoire, Fraternité Matin célèbre ses soixante ans d'existence. Avec 17 983 numéros depuis le 9 décembre 1964, le journal contrôlé par l'État constitue une mémoire de la Côte d'Ivoire indépendante.
C'est un hangar oublié au sous-sol, derrière les rotatives... Des dizaines de milliers de journaux y sont entreposés, classés par date, et empilés sur des dizaines de mètres de rayonnages. Une mine d'or à l'odeur de papier jauni. Jean-Baptiste Adoulé la garde depuis 17 ans. « Je suis un peu le gardien de la mémoire de FratMat, affirme-t-il. Je prends bien soin des journaux, et j'espère que ceux qui nous suivront feront la même chose. »
Tout en haut de la première étagère, juste au-dessus de l'étiquette « 1964 », se trouvent les premières éditions. Le numéro un, imprimé sur un très grand format B2, célèbre la naissance du journal à sa Une. Une photo en noir et blanc montre le président Félix Houphouët-Boigny en train de couper le ruban autour des locaux de Fraternité Matin.
Vingt-neuf ans plus tard, presque jour pour jour, le journal titre « La Côte d'Ivoire est orpheline » - le logo est noir, FratMat observe le deuil au lendemain de la mort du premier président ivoirien.
Numérisation des archives
Cette édition du 8 décembre 1993 est aujourd'hui numérisée - de juillet 2023 à juin 2024, le service de documentation du journal a scanné toutes les éditions papier, imprimées jusqu'en 2005. L'équivalent de 900 000 pages. À cela s'ajoute la numérisation manuelle en cours de la photothèque du journal, ainsi que celle des autres publications du groupe, pour la plupart disparues, comme Le Quotidien du Sport, ou Ivoire Dimanche.
« On dit que Fraternité Matin est une mine - et c'est vrai que quand on voit toutes ces photos, on est nostalgique... c'est bien de garder nos archives, notre mémoire », témoigne Aboudoulaye Touré, le chef du service.
Une numérisation également rendue nécessaire par les risques du stockage des éditions papier. Un dégât des eaux a ruiné une partie des vieux journaux ; d'autres éditions sont manquantes, et une centaine de numéros n'ont pas pu être retrouvés jusqu'à présent.
Le groupe Fraternité Matin entend valoriser ce fonds exceptionnel, « une mémoire de la Côte d'Ivoire » pour le directeur général adjoint en charge du développement des rédactions, Adama Koné. Cet ancien de la Radio Télévision Ivoirienne (RTI) a pour projet d'ouvrir un centre de documentation, ouvert aux historiens entre autres, pour qu'ils puissent consulter les anciens numéros.
«Fraternité Matin», aujourd'hui, va explorer sur le canal de la radio avec des podcasts, des éléments vidéo, avec tout un programme qui va permettre de fidéliser les lecteurs. À côté de cela, on a un centre de documentation qui est en vue avec un archivage numérique de tout ce que nous avons pu faire depuis 60 ans. C'est un projet qui rentre dans le plan stratégique de développement de la maison et qui va permettre de montrer un autre visage, beaucoup plus attaché à la réalité de ce que nous vivons en matière de médias en Côte d'Ivoire et même dans le monde. Adama Koné, directeur général adjoint du groupe «Fraternité Matin»
Benoît Almeras Ce qui peut révéler quelques surprises. Le 1er avril 2011, en pleine crise post-électorale entre les camps d'Alassane Ouattara et de Laurent Gbagbo, Fraternité Matin publie son numéro 13 918 sur les tentatives de médiation entre les deux hommes. S'ensuit deux semaines sans publication, jusqu'au 18 avril 2011, une semaine après la prise de pouvoir de l'actuel président ivoirien. Le journal publie alors un deuxième numéro 13 918, surnommé « Le journal de la réconciliation », avec le discours d'apaisement du chef d'État à sa Une. Comme un nouveau départ pour un journal qui se veut « ni neutre, ni partisan » mais souvent proche de l'exécutif en place.