Rabat — Les vrais enjeux de la protection des données personnelles sont sociétaux et ne sont pas qu'individuels, a affirmé le président de la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel, Omar Seghrouchni.
Dans un entretien accordé au quotidien "Le Matin", M. Seghrouchni a fait savoir que "souvent, l'idée de protéger les données à caractère personnel est considérée pour la seule personne concernée et certains responsables peuvent penser, faussement, qu'il est possible de la contourner", estimant que ce sont des responsables qui se limitent à voir la question technique, mal apprise, et non la question sociétale beaucoup plus complexe à appréhender.
Selon lui, cette absence de recul, à la fois technocrate et sociétal, donc politique dans le sens grec du terme, peut devenir, vite fait, lourde de conséquences.
"Notre société doit s'insérer dans son écosystème régional et mondial. Si l'on veut continuer à travailler en partenariat avec l'étranger ou si l'on veut continuer à attirer les investisseurs", a-t-il précisé, relevant qu'il est important de les rassurer et de les aider à réduire leurs risques.
Il est important, entre autres, d'avoir le bon niveau de protection des données à caractère personnel, a enchaîné M. Seghrouchni, ajoutant qu'il n'est pas possible d'être un hub du digital en déployant de la "donnée sale" d'où la nécessité pour notre économie de "légaliser" la donnée partagée.
Par ailleurs, M. Seghrouchni a fait remarquer qu'il existe un troisième enjeu, à savoir celui de la souveraineté numérique, qui à revoir et à moderniser, estimant qu'il ne peut se limiter à vouloir garder la donnée sensible dans sa poche ou dans son coffre-fort fût-il un Data Center.
Il faut encourager le partage de l'essentiel des données en protégeant leurs circulations, développer une protection circulatoire et tous les accords internationaux qui bâtissent la continuité juridique, car cela permet d'activer les bonnes juridictions où qu'elles soient, a-t-il dit.
"Il faut aller aussi vers une vision du futur, un digital sociétal, avec au moins un triangle à trois sommets : le citoyen et la personne concernée, l'économie nationale et nos intérêts chiffrés et enfin l'intérêt collectif ou la souveraineté numérique modernisée", a expliqué M. Seghrouchni, relevant qu'il faudra probablement dépasser le triangle et aller vers une figure avec plus de sommets.
La solution proposée est de ne pas se laisser happer par l'effet mode. Les technologies, quels que soient leurs apports bénéfiques, continuent à manipuler des données, a-t-il fait savoir, expliquant que quand ces données s'avèrent à caractère personnel, il ne faut pas oublier l'être humain et donc le protéger, en protégeant ses données à caractère personnel.
"C'est pour cela qu'une stratégie digitale technologique est nécessaire, mais non suffisante. Il faut qu'elle soit aussi une stratégie sociétale et civilisationnelle", a-t-il soutenu.
S'agissant du rôle des technologies émergentes (Intelligence artificielle, Big Data, etc.) dans la protection des données au Maroc, il a estimé que pour l'instant, "nous sommes dans les phases premières de développement", ajoutant qu'"il nous faudra construire une vision sociétale".
Selon lui, il ne fait pas se limiter à développer la technologie digitale, mais aborder la société et la civilisation digitale : une civilisation digitale marocaine.
Concernant les ajustements juridiques nécessaires pour être au diapason des enjeux du numérique, M. Seghrouchni s'est dit rassuré en dépit qu'il y a beaucoup à faire, notant que plusieurs entités marocaines sont déjà très conscientes de l'importance du "juridique spécialisé au digital".
Il a cité, à cet égard, le Secrétariat général du gouvernement, la Direction générale de la Sûreté nationale, la Gendarmerie Royale, la Direction générale de la sécurité des systèmes d'information, les Forces Armées Royales, mais aussi certaines organisations constitutionnelles sans oublier certaines instances gouvernementales, associatives et bon nombre d'entités du secteur privé.
"Le Maroc est pas mal loti. Il faut maintenant s'assurer que les choses sont bien synchronisées ou se synchronisent petit à petit", a fait remarquer M. Seghrouchni.
En ce qui concerne les priorités, il a souligné qu'elles sont multiples et sur plusieurs axes et dimensions, précisant qu'elles sont à la fois d'ordre stratégique et d'ordre opérationnel.
Depuis le début du Règne de SM le Roi Mohammed VI, le Maroc a avancé à pas de géants, s'est-il félicité, relevant que le Royaume a su allier des progrès en infrastructures économiques diverses basées sur une évolution sociétale.
"Il s'agit de préserver cet objectif en veillant à ne pas aller vers un digital incohérent", a-t-il insisté.
Pour ce faire, "l'être humain et le citoyen restent centraux. Leurs données à caractère personnel doivent être protégées", a-t-il fait constater, affirmant que le Maroc en a la capacité, les ressources, les compétences et une volonté politique dont la resynchronisation est en train de se confirmer.