Vendredi dernier, c'était jour de finissage de l'exposition « PILOHA ! » pour clôturer la quinzième édition de la Biennale de l'Art africain contemporain.
L'évènement avait pour cadre le quartier huppé du Point E, dans un espace qui, une décennie durant était à la merci de quelques herbes folles et arbres improbables qui y avaient élus domicile. Dans son immensité embrumée par un temps nuageux et quelque peu frisquet, le ciel avait enveloppé avec délicatesse cet espace, témoin de l'ingéniosité humaine pour peu qu'elle soit mue par l'idée de taquiner le possible. Aussi l'avait-elle réconciliée avec la vie à travers un projet conçu pour initier à la beauté artistique et au partage, dans le souci assumé de renforcer le vivre ensemble.
Qui mieux que Ablaye Cissoko, musicien de renommée internationale, pour en dérouler la magie par une nuit qui s'était invitée à travers une obscurité trouée par des faisceaux de lumière ? Seul sur scène, habillé d'un lumineux boubou marron assorti à des boots en cuir, sa kora délicatement tenue, debout pour toiser l'adversité, avec ses doigts d'orfèvre, il a gratifié le public de notes envoûtantes.
Peu importe qui vous êtes, d'où vous provenez, elles vous transpercent, vous transportent, vous parlent par le biais de cette langue universelle qui gît et jaillit dans/et par l'émotion. A travers précisément ce « Ha des choses » qui surgit dans l'immédiateté de son ressenti avant d'être perverti et domestiqué par ce « quoi des choses » qui distancie, interroge, et renvoie aux vécus singuliers. Qu'importe du reste, puisqu'on a tous vibré, bercé par une voix toute en douceur qui a su se poser pour magnifier la fraternité et l'amour.
Dans cette ambiance, sollicité pour faire partie de l'aventure, Ablaye Cissokho avait décidé de participer à titre gracieux au projet artistique qui avait à coeur de défier le possible. Avec en arrière fond, à côté des tableaux de peintres, sculpteurs, photographes, des travaux d'étudiants du Collège d'Architecture de Dakar, des performances et autres installations, des débats autour des films de Djibril Diop Mambéty, William Mbaye, Laurence Attali, Bara Diokhané, les odeurs de mets concoctés par l'ingéniosité de la débrouillardise établissaient un pont entre les arts. « Street food » : « dibi haoussa », « forox tiaya and co ». Ces petites choses qui font le lit des gens de peu.
Toutes ces activités se sont déployées dans l'espace de l'ancienne Ecole des Beaux-Arts qui avait été rasée sans ménagement en 2004, après avoir assuré la formation d'étudiants qui sont ensuite devenus des célébrités dont les noms résonnent dans le monde culturel. Entre autres Kan-Sy, Soly Cissé, Aïcha Aïdara, Louise Yandé Faye, Henry Sagna, Ibrahima Niang Piniang. Parmi eux, un hommage particulier à feu Mamadou Ndoye Dout's, talentueux artiste du quartier de la Médina, décédé prématurément en 2023, à 50 ans, à l'âge de la consolidation des promesses. Le possible s'y est en tout cas invité, exhibant avec une insolence tranquille l'absence de vision et de générosité des
décideurs, sous la houlette de l'artiste plasticien ivoirien Pascal Traoré Nampémanla et de son équipe constituée d'une vingtaine d'artistes venus du Bénin, de France, du Gabon, de Côte d'Ivoire, du Sénégal. Comme une fervente ode au métissage. Aussi était-il heureux, en ce jour de finissage de voir s'y agglutiner un public de toutes les couleurs, de tous les horizons, de tous les âges. La preuve que « Peace. Love. And Harmonie », de son acronyme « Piloha ! », était en voie de se positionner comme un coup de gueule face à l'assaut de la dysharmonie qui travaille notre environnement avec ses guerres, ses exclusions, ses tentations totalitaires.
Etait-ce d'ailleurs un finissage ou bien au contraire un début de quelque chose d'autre à laquelle Dakar mercantilisée sous la coupe réglée de promoteurs immobiliers allait s'ouvrir ? Dans les échanges et les discussions qui se sont exprimés s'incrustaient en effet les inquiétudes de savoir si ce nouvel espace allait se perpétuer comme l'expression d'un besoin vital de créativité, de paix, d'amour et d'harmonie ? Ou tout simplement disparaître le temps d'une Biennale.
En attendant la suite qui en sera donnée, merci aux initiateurs de cette initiative qui s'est révélée une enrichissante et enivrante bouffée d'oxygène.
Merci à Pascal Traoré, à Raïssa Hachem , à l'équipe pluriculturelle, à Ablaye Cissoko, pour avoir refusé d'être ensevelis sous les ordures de la médiocrité et avoir montré la charge subversive du possible quand l'ambition et la générosité sont au rendez-vous.
« Peace. Love. And Harmonie ». « PILOHA! ...HA... »