Avec l'exposition "Demmoon Dikkat", le Musee des Civilisations Noires (MCN) relance le débat sur le retour des oeuvres africaines et leur rôle dans la réappropriation culturelle.
Vendredi dernier, le Musée des Civilisations Noires (MCN) de Dakar a fêté son anniversaire dans une atmosphère solennelle et inspirante. L'événement a réuni des personnalités éminentes, dont Mme Aminata Touré, ancienne Première ministre, Haut-représentant du président de la République, des universitaires, les membres de la famille d'El Hadj Omar Foutiyou Tall et de nombreux passionnés d'histoire et de culture. Au coeur des célébrations, l'exposition "Demmoon Dikkat" a servi de plateforme pour aborder la problématique brûlante de la restitution des oeuvres d'art africaines, avec le retard dans les promesses faites dans ce sens.
Dans son allocution, le nouveau Directeur général du musée, Mohamed Ly, a placé la question de la restitution au centre des débats. Il a rappelé que depuis sa nomination, le musée s'est engagé à transformer ce débat en une opportunité de réappropriation culturelle. « Le musée doit être un espace où le patrimoine raconte sa propre histoire, non pas en subissant des discours étrangers, mais en proposant un langage qui nous appartient », a-t-il déclaré avec conviction.
L'exposition "Demmoon Dikkat", présentée à cette occasion, met en lumière des objets restitués tels que le sabre emblématique de résistance africaine, des manuscrits historiques et d'autres artefacts, tout en soulignant les lacunes dans les engagements internationaux pour le retour des biens culturels africains. M. Ly a notamment pointé le retard dans les promesses faites par certaines nations européennes, en particulier après l'annonce de restitution faite par le Président Macron en 2017.
Les participants ont également exploré les dimensions humaines et émotionnelles de la restitution. Un rappel poignant a été fait sur le rapatriement du corps d'Abdoulaye Tall, une figure de la résistance, ainsi que sur les conditions floues d'acquisition de nombreux objets exposés dans des musées occidentaux. « Ces artefacts ne sont pas seulement des objets, mais des témoins de notre histoire, porteurs de mémoire et de dignité », a souligné la sociologue Madame Awa Ly.
Le lexique de l'exposition a frappé par sa richesse et sa pertinence : "pillage", "déculturation", "transmission" et "victoire". Ces termes, comme autant d'échos, illustrent les complexités et contradictions autour de la restitution culturelle. L'exposition inclut également un extrait visionnaire du film "La Noire de..." de Sembène Ousmane, questionnant les relations entre identité, patrimoine et histoire.
Au-delà de la commémoration, cet anniversaire a été l'occasion d'en appeler à une révolution culturelle africaine. Mohamed Ly a insisté sur la nécessité d'un élan collectif entre gouvernements et communautés pour accélérer la restitution des patrimoines et leur valorisation sur le continent. « C'est une question de souveraineté, mais aussi de dignité nationale. Ce patrimoine doit être chez nous, non pas comme une faveur, mais comme un droit », a-t-il affirmé.
L'événement s'est conclu par une note d'espoir : renforcer les partenariats et la coopération pour que ces oeuvres restituées continuent de témoigner, dans leur contexte d'origine, de la grandeur et de la diversité des civilisations africaines.
Ainsi, le MCN s'affirme comme une institution phare, à la fois mémoire vivante et acteur de plaidoyer pour une justice culturelle longtemps attendue.