Ile Maurice: Des mesures annoncées décortiquées par plusieurs experts

9 Décembre 2024

Depuis sa prise de fonction, le ministre de l'Éducation et des ressources humaines, Mahend Gungapersad, s'engage à apporter des réformes concrètes au secteur. Parmi ses propositions figurent la révision du système du National Certificate of Education (NCE), l'abolition de l'Extended Programme, la réduction du seuil de cinq à trois credits pour l'accès en Grade 12 et l'interdiction des portables en milieu scolaire. Cependant, ces mesures suscitent des interrogations. Pour mieux en comprendre les enjeux, nous avons recueilli les avis de pédagogues et de syndicalistes.De g. à dr. : Harrish Reedoy, Yugeshwur Kisto et Lindsay Thomas.

Repenser le concept du NCE

Harrish Reedoy, président de l'United Deputy Rectors and Rectors Union (UDRRU), estime que le NCE doit être revu pour atteindre son objectif initial : combler le fossé entre le Primary School Achievement Certificate (PSAC) et le School Certificate (SC) de Cambridge. Selon lui, le nombre excessif de matières examinables surcharge les élèves, nuisant à leur performance. Il propose de simplifier le programme en se concentrant sur les matières essentielles et les compétences fondamentales. Le président de l'UDRRU souligne aussi une disparité entre les exigences du NCE et celles du SC. Bien que conçu pour préparer les élèves sur cinq ans, le NCE laisse encore certains en difficulté dès les examens de Grade 10. Cette inadéquation remet en question sa capacité à fournir les bases nécessaires pour progresser. Initialement louable, le cadre actuel du NCE peine à atteindre ses objectifs, laissant de nombreux élèves mal préparés pour le SC. Une révision du programme et des méthodes d'évaluation s'impose pour mieux répondre aux exigences des niveaux supérieurs.

Quant à Lindsay Thomas, pédagogue, il plaide pour une approche holistique de l'éducation. «Il est vain d'évaluer une composante isolée d'un système global. Le NCE n'est qu'une étape du parcours éducatif mauricien. La sagesse nous enseigne de start with the end in mind,c'est-à-dire de définir les objectifs finaux avant de structurer les étapes intermédiaires. Chaque phase, dont le NCE, doit enrichir l'ensemble du processus éducatif.» Il souligne également l'importance des assises nationales de l'éducation, réclamées depuis plusieurs années par les professionnels du secteur. «Il faut féliciter la réactivité du nouveau ministre face à cette demande unanime.» Cependant, en attendant cet éventuel «printemps éducatif» qui prendra du temps à se concrétiser, il insiste sur la nécessité de mettre en place des mesures correctives respectueuses du bien-être de l'enfant mauricien.

Yugeshwur Kisto, président de la Government Secondary School Teachers' Union (GSSTU), affirme que le NCE dépasse la simple notion d'examen. «C'est une étape cruciale dans le parcours de nos jeunes. Nous aspirons à en faire un véritable révélateur de potentiel.» Il insiste sur la nécessité de dépasser un système rigide, limité à la mémorisation, pour mettre en place un processus d'évaluation valorisant l'intelligence pratique, la créativité et les compétences multidimensionnelles des élèves. Selon lui, cette transformation doit inclure la participation d'experts pédagogiques, d'enseignants de terrain et de représentants des élèves, garantissant ainsi une approche moderne et inclusive.

L'abolition de l'«Extended Programme»

Le gouvernement envisage une réforme de l'Extended programme, largement critiqué pour son inefficacité. Harrish Reedoy estime qu'il devrait être aboli, soulignant son faible taux de réussite, à peine 8 % après quatre ans, même avec l'évaluation scolaire introduite en 2024. «Destiné aux élèves à capacités plus faibles, ce programme n'a pas atteint ses objectifs et ne les prépare pas à l'avenir.» Il préconise une refonte conforme au droit universel à l'éducation, affirmé par la Conférence mondiale sur l'éducation pour tous de Jomtien, en 1990. Selon lui, il serait préférable d'orienter les élèves ne satisfaisant pas les critères du PSAC vers des parcours alternatifs, comme les écoles professionnelles. Un programme de cinq ans axé sur les compétences essentielles assurerait une meilleure intégration dans la société et dans le monde du travail, tout en respectant l'engagement de Maurice envers une éducation inclusive.

Lindsay Thomas partage ce constat sévère : «Depuis sa mise en oeuvre, ce programme a suscité un tollé. Les résultats de la première cohorte d'élèves broyés par cette machine infernale n'ont fait qu'accentuer le désarroi, avec un taux d'échec qui ajoute l'insulte à la blessure.» Il déplore surtout les répercussions sur les enfants, blessés et démotivés.

De son côté, Yugeshwur Kisto appelle à une transformation radicale. «La ségrégation n'est pas la solution. Nous devons proposer une alternative inclusive, adaptée aux besoins spécifiques des élèves.» Le président de la GSSTU prône un modèle éducatif qui valorise les différences, offre un accompagnement personnalisé, et favorise l'épanouissement académique et émotionnel de chaque élève. Pour y parvenir, il insiste sur l'importance de la formation continue des enseignants, leur permettant de développer des stratégies pédagogiques différenciées adaptées aux besoins uniques des apprenants. «Notre objectif est de créer un environnement où chaque élève, quelle que soit sa capacité initiale, peut progresser, s'épanouir et réussir.»

Le retour des trois «credits» pour accéder au HSC

Dès 2025, le critère des trois credits pour l'admission en Grade 12, annoncé dans le programme électoral de l'Alliance du changement, sera réintroduit. Cette décision, approuvée par le Conseil des ministres, vise à rendre l'éducation postsecondaire plus inclusive. Harrish Reedoyconsidère cette mesure pragmatique : «Elle permettra à davantage d'élèves de poursuivre leurs études au niveau du Higher School Certificate (HSC). Cependant, il reste impératif d'obtenir un credit dans la matière principale pour garantir une préparation adéquate.» Il insiste sur l'importance de ne pas se limiter au minimum : «Les élèves doivent viser la réussite dans toutes leurs matières pour maximiser leurs choix et leurs chances de succès. Cette réforme encourageante doit être accompagnée d'un appel à l'excellence.»

Pour Lindsay Thomas, cette mesure soulève des enjeux plus profonds : «Nous nous concentrons trop sur les résultats quantitatifs au détriment du qualitatif et des intelligences multiples. Dans un monde en mutation, ce sont souvent les chemins atypiques qui mènent au succès.» Il rappelle une citation d'Einstein : «Si vous jugez un poisson sur sa capacité à grimper à un arbre, il vivra toute sa vie en croyant qu'il est stupide.» Selon lui, le système doit évoluer pour valoriser tous les parcours : «Qu'il s'agisse de trois ou cinq credits, ces critères pourraient bientôt devenir obsolètes. Chaque élève mérite un accompagnement vers la réussite, quelle que soit sa voie.»

De son côté, Yugeshwur Kisto prône une mise en oeuvre équilibrée : «Cette réforme élargit les opportunités tout en préservant nos standards académiques. Mais cette ouverture doit s'accompagner de soutiens adaptés pour assurer la réussite des élèves.» Il conclut : «L'excellence ne doit pas être un obstacle, mais un chemin accessible à tous.» Ce retour aux trois credits représente une opportunité, mais appelle également à une réflexion sur les besoins et les aspirations des élèves pour garantir leur épanouissement académique et personnel.

Téléphones portables interdits

L'interdiction des téléphones portables à l'école, bien que difficile à accepter pour les jeunes, est une mesure essentielle pour un environnement d'apprentissage propice, soutient Harrish Reedoy. Il cite un rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (2023), selon lequel ces appareils perturbent les performances scolaires, les interactions sociales et le bien-être mental. «Bien que la technologie puisse enrichir l'éducation, elle doit être utilisée avec discernement. Une utilisation encadrée, notamment pour les élèves du HSC sous la supervision des enseignants, maximise son potentiel éducatif.»

Il souligne que les écoles doivent prioriser la pensée critique, les compétences interpersonnelles et les connaissances. «Limiter les téléphones permet d'atteindre ces objectifs tout en réduisant les risques associés à leur usage excessif.»

Lindsay Thomas, plus réservé, note que cette mesure divise. «Doit-on craindre une fracture générationnelle ou un frein au développement des jeunes ? Avant de prendre une décision définitive, il faudrait adopter une approche essais et erreurs basée sur des consultations et des solutions équilibrées.»

De son côté, Yugeshwur Kisto prône une démarche nuancée. «Les téléphones présentent des risques - distraction, cyberharcèlement, rupture des interactions - mais aussi un potentiel pédagogique.» Il propose un cadre réglementaire pour autoriser leur usage uniquement dans des contextes éducatifs précis, avec des zones et moments dédiés, des formations pour les enseignants et une supervision stricte.

Ces avis traduisent une réflexion collaborative visant à préparer les élèves non seulement aux examens, mais à la vie.

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