La 15e conférence de l'Association de chirurgie thoracique et vasculaire de l'océan Indien (VASCO) s'est ouverte le 5 décembre à l'hôtel «Shandrani Beachcomber» et a pris fin dimanche. Nous avons fait le point sur les défis et les innovations dans les traitements cardiovasculaires, de même que sur le rôle de l'intelligence artificielle dans la médecine et dans cette discipline de la médecine avec le Dr Reuben Veerapen, chirurgien thoracique et vasculaire et président-fondateur de VASCO.
Un thème fort de ce 15e congrès a été les défis et innovations en pathologies cardiovasculaires. Quels sont-ils ?
L'intelligence artificielle (IA) et la robotique sont incontournables en 2024. On les abordera mais les défis sont grands car on a en France, peut-être moins à Maurice, une démographie médicale en baisse pour une population vieillissante et poly-pathologique dans un contexte économique contraint. Ces deux derniers éléments valent pour Maurice également. Il nous faudra réinventer nos parcours de soins en étant plus pertinents dans la demande des examens complémentaires, dans la prescription des actes et des médicaments pour permettre une équité d'accès aux soins. Il faudra penser à déléguer des tâches moins complexes à d'autres professionnels de santé et éviter de tomber dans le corporatisme. On a donc parlé aussi bien des nouvelles thérapeutiques médicamenteuses, des nouvelles techniques chirurgicales que de la place de l'IA, de la médecine prédictive, de la réalité augmentée, de la génétique dans notre pratique quotidienne.
Pourquoi lier la diabétologie, l'obésité et la lipidologie aux pathologies cardiovasculaires ?
Les maladies métaboliques dont le diabète, l'obésité et les hyperlipidémies dont fait partie l'hypercholestérolémie sont intimement liées à la pathologie cardiovasculaire. Ce sont elles qui aboutissent à la genèse, au développement et aux complications des plaques d'athérome qui sont responsables de plus de 95 % des accidents cardiovasculaires au niveau neurologique, cardiaque et des artères périphériques, entre autres.
Quels sont les défis et innovations en matière de ces trois pathologies susmentionnées ?
La médecine a fait un bond en avant ces cinq dernières années avec de nouvelles molécules dans le diabète. Elles ne soignent pas que le diabète mais protègent aussi le rein, le coeur et les artères en général. Elles permettent d'augmenter l'espérance de vie de manière très significative. Pour le cholestérol, on a des moyens de plus en plus puissants pour abaisser le taux de mauvais cholestérol et les nouvelles recommandations internationales les intègrent maintenant dans notre pratique quotidienne. Tout cela évite des accidents de thrombose dans les artères situées dans les différentes parties du corps et réduisent le risque après un traitement invasif, par exemple après une chirurgie ou une angioplastie.
En quoi la médecine connectée et l'IA jouent-elles un rôle dans le diagnostic et le traitement des pathologies cardiovasculaires ?
L'IA permet déjà, dans certains cas, d'avoir des algorithmes décisionnels et thérapeutiques qui sont optimaux et parfois meilleurs que ce que proposeraient les médecins. On sait, dans certaines spécialités, que la machine fait aussi bien dans la matinée et mieux que les médecins en deuxième patience de journée. La technologie devrait nous permettre d'avoir une médecine plus sûre. Elle analyse déjà certains scanners dans le cadre des dépistages ou pour avoir une gradation du risque cardiovasculaire, notamment avec l'évaluation du score calcique. Autre application concrète, c'est l'analyse des traces électrocardiogrammes sur des enregistrements longs, qui permettent de détecter les troubles du rythme cardiaque. Dans ces cas, on va gagner en temps médical pour se consacrer à d'autres tâches. La médecine connectée relève du domaine de toutes les applications qui recueillent nos données biologiques et/ou cliniques pour améliorer notre prise en charge médicale
Qu'est-ce qui a changé dans la prévention des pathologies cardiovasculaires ?
On a une vraie prise de conscience, depuis quelques années, par rapport à la prévention. Elle doit avant tout concerner notre mode de vie au quotidien : notre alimentation, notre activité physique, la gestion du stress de tous les jours, et la qualité de notre sommeil et de nos interactions sociales. Et cette prévention est d'autant plus importante lorsqu'on a déjà présenté un accident vasculaire périphérique, neurologique ou cardiaque. Bien sûr, nous avons en parallèle des molécules qui nous permettent d'agir sur la prévention secondaire et tertiaire.
Un thème développé au cours de votre congrès a été la médecine et la justice. Qu'est-ce qui justifie ce choix de thématique ?
On a une vraie tendance, depuis quelques années, à une judiciarisation de la médecine. Peut-être sur le modèle nordaméricain dont on est encore quand même très loin. Les patients souhaitent des soins de qualité, ce qui est légitime, et ne tolèrent plus, à juste titre, les erreurs médicales... mais il faut également comprendre que la médecine et le médecin ne sont pas infaillibles. Il y a parfois l'état avancé d'une maladie qui a un pronostic sombre et pour lequel le médecin ne peut être tenu responsable de l'issue fatale ou encore l'aléa thérapeutique, c'est-à-dire que tout est mis en oeuvre en accord avec les données de la science et on se retrouve quand même avec des complications. Il faut que les médecins comprennent les raisons de ces plaintes pour être mieux armés à y faire face, mais aussi et surtout pour essayer de les éviter. Le médecin est souvent démuni face à ces plaintes car il n'est pas formé pour cela ; les sessions qui y sont consacrées permettront de voir quel est le parcours de la plainte ordinale, civile ou pénale.
L'observance thérapeutique chez les patients souffrant d'une pathologie vasculaire pose-t-elle problème et comment mieux la faire respecter ?
L'observance thérapeutique est un élément fondamental de la prise en charge du patient. Quand un médecin prescrit un traitement, il suppose que le patient le prend. Or, si le patient ne comprend pas sa maladie ou ne ressent pas d'effets bénéfiques car cela se joue à l'échelle de la cellule, il peut ne pas prendre son traitement et on court à la catastrophe. Par exemple, seuls 40 % des patients prennent leur médicament anti-cholestérol au long cours, seulement un tiers des patients arrêtent vraiment de fumer après un an, les deux tiers restants reprennent le tabac, qui est un poison pour les artères et le poumon. Mieux prescrire en comprenant la personnalité de nos patients, en expliquant peut-être mieux pourquoi on prescrit tel ou tel médicament, devrait permettre d'améliorer cette observance. Autre astuce pour les patients ayant plusieurs médicaments, c'est d'avoir une pilule qui regroupe plusieurs molécules, ce qui permet de réduire le nombre de prises médicamenteuses au quotidien.
Avec un recul de quatre ans, les vaccins contre le Covid-19 ont-ils eu un impact négatif sur le coeur et les artères et veines, et ont-ils causé des décès ?
Le vaccin anti-Covid-19 a permis de sauver des millions de vie mais comme tout traitement, il y a eu des effets secondaires. Au niveau vasculaire notamment pour les vaccins ARN, il y a eu des vascularites, une inflammation des artères et des myocardites chez le sujet jeune. Le vaccin AstraZeneca était associé à un taux de thrombose veineuse plus importante, notamment chez la femme jeune, avec des embolies pulmonaires. Oui, il y a eu des conséquences cardiovasculaires, oui, il y a eu quelques décès imputables au vaccin, mais c'est vraiment à la marge comparativement au bénéfice pour la santé publique.
Y avait-il moyen de faire autrement ?
Peut-être que pour le vaccin ARN, on n'aurait pas dû vacciner les plus jeunes de moins de 30 ans, qui étaient ceux qui ne faisaient pas ou très rarement des formes graves de la maladie et ce sont eux qui ont présenté les cas de myocardites avec défaillance cardiaque. Et pour plus de 95 %, cela a été complètement réversible. Mais si on ne les avait pas vaccinés, on n'aurait pas la protection suffisante au niveau de la population pour protéger les plus vieux et les plus fragiles. Ce sont des questions éthiques et de santé publique qui méritent réflexion.
Qu'est-ce que la télésurveillance, qui a été un thème de votre congrès, et en quoi peut-elle aider dans le traitement des pathologies cardiovasculaires ?
La télésurveillance consiste à recueillir des informations en continue et à distance, et à les analyser, soit synchrone (en direct) ou en asynchrone (en différé). Cela vaut par exemple pour les taux de glycémies pour le diabète ou encore pour le rythme du coeur sur des tracés d'électrocardiogrammes. Cela peut se faire par l'IA et c'est un vrai gain de temps médical.
La robotique fait-elle déjà partie de la salle d'opération de la chirurgie vasculaire et comment la salle d'opération évoluera-t-elle au cours des dix prochaines années ?
La robotique commence à prendre une place en chirurgie vasculaire. On a d'ailleurs présenté au congrès des modèles de salles équipées pour la chirurgie vasculaire au 21e siècle. Plusieurs interventions en chirurgie vasculaire, par exemple, pour les syndromes de congestion pelvienne chez la femme, sont réalisées ainsi et avec d'excellents résultats. Je suis également chirurgien thoracique où cela amène un vrai plus pour le patient et le médecin en termes de résultat post-opératoire. La seule problématique actuelle est le coût que cela représente. C'est énorme et c'est la raison principale pour laquelle elle ne va pas se démocratiser avant plusieurs décennies.
Les calcifications vasculaires qui sont visibles chez certaines patientes à la mammographie indiquent-elles un risque plus important de développement de pathologie cardiovasculaire ?
Oui, ce serait un marqueur précoce de l'athérosclérose chez la femme qui, je vous rappelle, est souvent mal prise en charge au niveau cardiovasculaire.
Y a-t-il une activité physique plus adaptée aux pathologies cardiovasculaires ?
Il est recommandé pour une personne entre 20 et 70 ans d'avoir une activité physique minimale de 30 minutes par jour en aérobie, c'est-à-dire en pratiquant par exemple de la marche, de la course à pied, du vélo, de la natation. Il est recommandé si possible d'avoir des activités à intensité modérée ou élevée également si votre état le permet. En effet, l'activité doit être adaptée à tout un chacun en fonction de l'âge et de l'état cardio-pulmonaire ou d'un handicap. Faire le ménage, le jardinage, monter des escaliers font également partie de cette activité physique recommandée. Le but, c'est de bouger le plus possible. Un exemple assez concret : dans les grandes villes, le fait d'avoir un chien en appartement a obligé les propriétaires à les sortir deux fois/jour en marchant. Pour ces patients, il y a eu une nette diminution des complications cardiovasculaires.
Et une nutrition particulière encore inconnue ou méconnue à adopter en termes de prévention ?
On en a parlé au congrès. Ce n'est pas simple car manger procure du plaisir. C'est souvent des moments de convivialité et une question d'habitudes familiales, qui remontent à nos ancêtres. Il faut des messages simples et de grands principes que chacun adaptera à sa culture et à son mode de vie. Il faudrait privilégier un petit-déjeuner et le déjeuner, et moins manger le soir. Il faudrait diminuer notre consommation de viande, surtout de viande rouge, et consommer plutôt du poisson ou du poulet. Il faudrait augmenter notre apport en légumes et fruits, tout en diminuant les féculents type riz, pain blanc, grains secs. On devrait réduire drastiquement notre consommation d'huile, de beurre, de sucres rapides et je sais qu'à Maurice, c'est une habitude qui est solidement ancrée. Sans rentrer dans les détails, il faut mener une vraie lutte contre tout ce qui est fast-food avec des aliments transformés sur toutes ces enseignes bien connues, qui vendent des aliments transformés, riches en sucres et en graisses. Un autre combat à mener, c'est contre l'alcool et le taux de sucres dans les boissons gazeuses.
Vous avez abordé la plainte ordinale à la conférence. De quoi s'agit-il et pourquoi est-ce important dans votre spécialité ?
L'Ordre des médecins, le Medical Council à Maurice, veille au respect de la probité, de la moralité, des compétences et du dévouement dans les soins prodigués par les médecins dans le cadre de leur exercice professionnel, entre autres. Ce sont quatre piliers du code de déontologie que tout médecin a l'obligation de respecter sous peine de sanction. En France, les plaintes sont reçues par le Conseil départemental de l'ordre et après instruction, elles sont référées devant un autre organisme indépendant, qui s'appelle la Chambre disciplinaire de première instance, présidée par un magistrat professionnel et assisté de cinq médecins.
Cela garantie une certaine indépendance de celui qui instruit la plainte et de celui qui la juge. Les médecins y sont confrontés mais sont souvent démunis quand ils reçoivent la convocation, d'où l'intérêt d'en parler. Les trois griefs principaux qui entraînent une sanction sont : la qualité des soins, le comportement du médecin envers son patient ou ses collègues, ou encore dans le cadre de la rédaction de certificats médicaux. C'est une question qui touche tous les médecins et pas seulement les chirurgiens.
Quelles nouveautés dans le traitement des membres inférieurs et notamment du pied chez les diabétiques ?
Au niveau des artères des membres inférieurs, on a actuellement, avec la prévalence importante du diabète et du tabagisme, des complications majeures qui entraînent l'amputation. Le but, c'est avant tout de prévenir en dépistant le diabète et le pré-diabète, d'encourager le sevrage tabagique et de dépister les patients qui sont à risque d'amputation. Le traitement quand on commence à avoir une obstruction des artères des jambes, c'est de marcher le plus possible. J'encourage les diabétiques à le faire et se faire aider si possible par un professionnel, qui s'y connaît. Cela évite des interventions chirurgicales. Puis, il y a des médicaments qui sont de plus en plus puissants, d'une part, pour fluidifier le sang, des médicaments pour éviter les dépôts graisseux dans les artères et de nouveaux antidiabétiques qui ont un effet sur l'état de nos artères. Il est indispensable d'avoir un diabète bien équilibré.
Quand on a fait tout cela, on envisagera le traitement chirurgical. De nos jours, plus de 80 % des artères occluses des jambes sont traités par dilatation avec la pose de stents si besoin. On a des techniques classiques qui existent depuis maintenant près de 35 ans et de nouvelles techniques pour forer à l'intérieur des artères qui donnent d'excellents résultats. Quand on ne peut plus dilater ou selon d'autres critères, ces patients peuvent bénéficier d'une chirurgie qu'on appelle «ouverte» pour réaliser un pontage. Dans tous les cas, c'est le chirurgien vasculaire qui proposera le meilleur traitement adapté à cette prise en charge car il maîtrise aussi bien les techniques de dilatation que de chirurgie ouverte.
Qu'est-ce que le «Nutcracker syndrome» syndrome dont il a été question au congrès ?
C'est une pathologie particulière, mise en lumière il y a une vingtaine d'années, qui explique parfois des douleurs au niveau du bas ventre chez les femmes quand on a éliminé une cause purement gynécologique, par exemple, une endométriose ou des fibromes. Ce nutcracker entraîne une compression de la veine du rein gauche, qui permet aussi de ramener le sang veineux à partir de la région pelvienne où se situent les ovaires et l'utérus. Comme il y a une gêne dans le retour du sang, le sang s'accumule et on a une congestion à ce niveau, entraînant des douleurs qui sont parfois très invalidantes pour la femme. Depuis peu, le diagnostic est maintenant bien codifié, tout comme la conduite à tenir.
Quel pourcentage joue la génétique dans les pathologies cardiovasculaires ?
Il y a indéniablement une part génétique dans la genèse de la pathologie cardiovasculaire. Quand on a un parent qui a fait un accident vasculaire cérébral ou qui été dilaté sur ses artères ou encore, qui a eu un infarctus jeune, c'est-à-dire avant 50 ans, on sait que cette personne est à très haut risque cardiovasculaire. Il faudra la surveiller de manière très rapprochée, lui faire bénéficier d'une prévention maximale, qu'elle soit comportementale et/ou médicamenteuse en étant maximaliste. Il y a également maintenant la possibilité de détecter, pour certaines maladies cardiovasculaires et au niveau du génome, des anomalies qui permettent un traitement personnalisé. Ce n'est pas une pratique qui est répandue mais cela fait partie des possibilités dans un avenir proche. On pourra avoir à court et moyen termes une médecine prédictive et curatrice basée sur la génétique.
L'IA finira-t-elle par remplacer les infirmiers, voire les médecins ?
L'IA jouera un rôle de plus en plus important dans tous les domaines, y compris la médecine. Mais il y a également tout le côté humain, l'empathique de l'être humain, cette dimension affective, qui permet de créer une relation de confiance dans le cadre du colloque singulier médecin/ patient. Je pense qu'une annonce d'une maladie grave, par exemple un cancer, doit se faire par une équipe de médecin/infirmiers, avec le soutien de la famille et l'IA ne pourra pas l'assumer. Il y a également le risque juridique lié à l'IA : qui va assumer une erreur, un aléa thérapeutique, est-ce le développeur, le technicien ?
L'IA sera omniprésente mais sera, pour les 50 ans à venir, au moins, encore pilotée par les femmes et les hommes. On se consacrera à des tâches différentes, plus complexes, plus techniques. On validera sûrement certaines décisions diagnostiques et thérapeutiques avec l'aide de l'IA. Mais les infirmiers et médecins ne disparaîtront pas de sitôt. Une partie de la conférence y a été consacrée et notamment la thématique de comment former nos futurs médecins dans ce cadre innovant.