Branle-bas de combat entre le bâtiment du Trésor et la BoM Tower. Les deux locataires se livrent depuis presque un mois à une véritable bataille pour donner une nouvelle direction à l'économie, après celle de la politique, le 10 novembre, où 62 % des électeurs ont massivement choisi un nouveau gouvernement à la tête du pays. Avant de changer de cap économique, il faut prendre la pleine mesure de l'héritage laissé par l'ancienne direction du Trésor public. Or, c'est là où le bât blesse.
Car à écouter le Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam, samedi, après l'élection du nouveau locataire de la State House et de son adjoint, on sent que le danger est à venir, tout au moins sur le front économique. Les premiers résultats de son enquête sur les finances publiques lui donnent le vertige. La situation économique est choquante, pire qu'on a imaginé.
L'état de l'économie dans les moindres détails, et auquel les spécialistes de la finance et la population seront exposés prochainement, impose sans doute une discipline financière, voire une rigueur économique. Car la marge de manœuvre du ministre des Finances pour appliquer les premières mesures électoralistes reste très étroite. Le paiement du 14e mois comme la baisse des prix de l'essence et du diesel et l'abolition de la TVA sur une série de produits de denrée de base restent largement tributaires du bilan post Padayachy. Cependant, face à une attente populaire qui se fait chaque jour entendre dans la presse et sur les réseaux sociaux, le Dr. Ramgoolam n'aura pas d'autre choix que d'actionner ces mesures phare de son manifeste électoral, même s'il faudra revoir sa copie originale.
À quelques mètres, au 18e étage de la BoM Tower, le dépoussiérage de dossiers de la Mauritius Investment Coporation (MIC) démontre déjà la tâche herculéenne à laquelle le patron de la Banque centrale, Rama Sithanen, est confronté depuis sa prise de fonctions, le 16 novembre. Il le savait déjà, et l'a dit à travers la presse, il ne peut remettre de l'ordre dans une maison qui est sur la place depuis plus de quatre ans en une semaine, d'autant plus que la perception populaire est tenace que certaines transactions se sont faites dans la plus grande opacité.
Samedi, à la faveur de sa première conférence de presse, il a tenté de naviguer entre son droit à la réserve, maintenant un niveau de confidentialité sur les dossiers à risques tout en jouant la carte de la transparence. Un exercice d'équilibriste qu'il a habilement réussi. Son message est clair: il n'y a qu'une infime partie des financements de la MIC qui est problématique, autour de Rs 3,7 milliards et il entend mettre toute la machinerie en branle pour en récupérer le maximum. Loin évidemment de tout mélanger avec des bénéficiaires qui honorent leurs engagements financiers et dont certaines sociétés sont cotées. Mais au-delà, il y a un constat et un mode d'opération qui donnent froid au dos.
Un guichet pour les finances
Le Chief Executive Officer (CEO) suspendu de la MIC aura sans doute l'occasion de s'expliquer dans son enquête et faire la lumière sur le cas en cours ou autres où sa responsabilité serait engagée. Il refusera de porter seul le chapeau. Il aurait déjà balancé les noms de certaines grosses pointures de l'ancienne direction de la BoM et des VVIP. Mais à entendre le gouverneur Sithanen répéter la connivence qui aurait existé entre l'ancienne équipe des finances et celle de la BoM pour «frauder les fonds publics», il y a lieu de s'inquiéter, si ce n'est de se révolter face à un niveau d'intervention ministérielle difficilement tolérable. On est ici en présence des puissants du jour de l'époque qui auraient confondu une institution de financement avec la tabagie du coin où «any Tom, Dick & Harry» pourrait ouvrir la caisse sans rendre des comptes.
Il faut s'interroger sur la présence des directeurs de la MIC, hier comme aujourd'hui, qui n'ont rien vu ni entendu sur les décisions controversées de l'ancienne direction et qui se réveillent pour dire, selon Rama Sithanen, qu'ils n'étaient pas partie prenante, allant jusqu'à dénoncer le deal dont la presse parle. Des observateurs et ex-directeurs de conseils d'administration s'étonnent de cette attitude et se demandent s'il y a eu objections ou refus de leur part sur certaines décisions du board et si oui, est-ce qu'ils figurent dans des minutes of proceedings pour qu'ils se puissent se défendent demain devant une instance d'investigation.
Entre-temps, toutes les institutions financières internationales nous surveillent comme le lait sur le feu. Chaque déclaration du ministre des Finances comme du gouverneur est analysée pour comprendre comment ils entendent régler le déséquilibre des principaux indicateurs macroéconomiques face à une économie déjà dans le rouge. Est-ce que The State of the Economy déposé à l'Assemblée nationale comme un document officiel public pourra faire l'objet d'analyses sévères dans les prochains rapports de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) sur Maurice et précipiter des agences à abaisser sa notation ? Les spécialistes de la finances n'écartent pas cette possibilité, sachant que la dernière analyse de Moody's en août avait réaffirmé la notation du pays à la limite de la catégorie investissement (investment grade) avec une perspective stable.
Aujourd'hui, avec un rapport accablant sur l'état des finances entraînant une dégradation des grands indicateurs comme le déficit budgétaire et le ratio de la dette publique, il est plus que probable que l'agence de notation américaine attribue une mauvaise note à Maurice, changeant sa perspective positive en négative et baissant son investment grade, qui pourrait voir le pays basculer dans le* junk status*. L'ex-ministre des Services financiers et économiste, Sushil Khushiram, a évoqué récemment cette possibilité, arguant que la voie de salut en pareille circonstance est de frapper à la porte du FMI et de la BM pour un programme de soutien budgétaire.
Il faut s'attendre à ce que le nouveau régime s'appuie sur cet héritage économiquement lourd du gouvernement sortant pour adopter une posture prudente quant aux dépenses publiques nécessaires pour exécuter les promesses électorales. Aux postes de responsabilité, les ministres, hier candidats sur les caisses de savon, doivent apprendre à changer de narratif.