Quand la Mauritius Investment Corporation (MIC) a été constituée en juin 2020, c'était pour soutenir financièrement les entreprises systémiques brassant un chiffre d'affaires d'au moins Rs 100 millions. Cette institution a, en ces temps de crise sans précédent, joué un rôle primordial pour éviter au pays une situation de banqueroute. Or, ce que l'on déplore, ce sont les demi-vérités dans la communication de la Banque de Maurice et du ministère des Finances, à commencer sur la structure capitalistique de la MIC. Durant le week-end, le Gouverneur de la Banque de Maurice, Rama Sithanen, a confirmé ce qu'affirmaient haut et fort des analystes avisés, à savoir que les fonds propres de la MIC ne proviennent pas d'une ponction de 2 milliards de dollars des réserves de change, mais qu'on a bel et bien fait tourner la planche à billets.
La question qui se pose est : pourquoi l'autorité monétaire et l'ancienne administration ont berné la population pendant quatre ans ? Pourquoi n'a-t-on pas dit qu'on a créé de l'argent juste en tapant sur un clavier ? Cela n'aurait pas fait scandale, sachant que l'hélicoptère monétaire était la solution préconisée à l'époque car les risques de défaut de paiement dans les entreprises systémiques étaient très élevés, avec la crainte d'un impact sur le système bancaire et financier. Donc, c'était une question d'assurer la subsistance de l'économie et d'éviter des pertes d'emplois massives.
Mais, en expliquant aux profanes qu'on avait puisé des réserves de change, les autorités ont fait croire deux choses fondamentales : que l'économie est suffisamment résiliente pour supporter le coût d'un transfert de devises de 2 milliards de dollars (ce, alors que les activités génératrices de Forex comme le tourisme étaient à l'arrêt) et que l'on n'était pas en train de créer les conditions pour favoriser une accélération de la dépréciation de la roupie et une flambée de l'inflation.
Aujourd'hui, on apprend qu'on a été trompé sur toute la ligne et que la Banque centrale a eu recours à l'instrument de l'hélicoptère monétaire. Ainsi, pendant quatre ans, on nage en pleine illusion monétaire, avec l'ancien gouvernement se dédouanant de ses responsabilités par rapport à l'affaiblissement de la roupie.
Il y a également des questions légitimes à se poser sur la contribution unique de Rs 60 milliards de la Banque de Maurice pour financer le Budget 2020-2021. Ce transfert effectué en vertu de l'article 6(1) du Bank of Mauritius Act est inscrit dans les livres de la Banque centrale comme suit : un transfert de Rs 32 milliards provenant du Special Reserve Fund et les Rs 28 milliards restantes étant une avance (donc, une dette quoi qu'en disait à l'époque Renganaden Padayachy) sur les bénéfices futurs de la Banque centrale.
Si après cette transaction, la somme de Rs 32 milliards a été retranchée du Special Reserve Fund, par contre, l'on peut se demander comment la Banque de Maurice avait pu débloquer Rs 28 milliards entre mars et juin 2020. Tout porte à croire qu'il s'agissait encore d'un jeu d'écriture qui a permis d'imprimer de l'argent sur la base de bénéfices futurs (totalement hypothétiques) générés sur les placements de la Banque centrale. Là, il faut se demander : est-ce que ces bénéfices ont été générés et est-ce qu'ils ont été amortis dans les livres de la Banque de Maurice ?
Quoique devant respecter le secret bancaire, Rama Sithanen a fait comprendre que la MIC a pris des risques inconsidérés en acceptant de financer des projets à haut risque. Ainsi, il a fait mention du fait que 10 ou 11 compagnies présentant des risques de niveaux 4 et 5 ont bénéficié des largesses de la MIC. On parle là d'investissements de Rs 3,6 milliards à Rs 3,7 milliards. Ce qui amène Rama Sithanen à dire qu'il y a eu connivence entre la Banque de Maurice et la MIC pour détourner les fonds publics. Parmi, il y a ce cas de la société Menlo Park Ltd, dont l'un des directeurs est un sondeur connu de la place, qui a obtenu à la veille des élections générales un financement de 1 million de dollars, alors qu'elle ne respectait pas 11 des 25 conditions de la lettre d'intention (Term sheet).
Aucune société de capital-investissement qui se respecte ne prend de risques inconsidérés, allant jusqu'à investir dans des actifs potentiellement toxiques. C'est d'ailleurs à cause de cela que Jitendra Bissessur, l'ancien CEO de la MIC, se retrouve dans le pétrin. Il est allé à l'encontre des réserves exprimées par le comité d'investissement pour valider en catimini un contrat de financement.
L'insistance de Rama Sithanen à trouver des alternative institutional arrangements par rapport aux investissements dans des projets fonciers (environ 10 % des investissements de la MIC) soulève des questions. S'agit-il d'investissements toxiques ou d'un manque de discernement de la MIC en choisissant d'investir dans des actifs stratégiques pour l'avenir du pays ?
Concernant l'avenir de la MIC, il est en suspens. Clairement, la vision de l'ancienne direction de la MIC d'en faire une société de capital-investissement n'est plus d'actualité. Dans ce contexte, la MIC devrait, selon toute vraisemblance, retourner les Rs 23,6 milliards non déboursées à la Banque de Maurice. Cela permettra de renflouer le capital de la Banque de Maurice. Une nécessité dans un contexte où le gouvernement s'est fixé çomme objectif de stabiliser la roupie. Ce qui est extrêmement complexe car les forces du marché jouent contre la valeur de la roupie. Et les opérations de change sur le marché interbancaire (open market) pour renforcer la roupie face aux principales sont très coûteuses (environ Rs 8 milliards pour que le dollar se déprécie par 1 roupie) et nécessiteront des sommes colossales devant être puisées des fonds propres de la Banque centrale.
Par ailleurs, la dégradation du balance sheet de la Banque centrale, occasionnée notamment par les pertes d'Air Mauritius, dans laquelle la MIC est l'actionnaire majoritaire, constitue un autre casse-tête. L'une des solutions serait que la Banque de Maurice se désengage de la MIC, comme l'a recommandé à maintes reprises le Fonds monétaire international. Cette option est certainement à l'étude.
L'affaire Silver Bank est un autre dossier brûlant. On parle là d'un détournement de Rs 8,1 milliards de la part des proches de Prateek Gupta sur des prêts et avances de Rs 8,3 milliards. C'est un détournement sans précédent de l'argent des déposants qui ont très peu de chance de récupérer leur argent. Sur ce dossier, Rama Sithanen n'a pas manqué de placer Renganaden Padayachy sur la sellette, en affirmant qu'il y a eu «complicité de la part du ministère des Finances pour détourner des fonds publics», car il est illogique que celui-ci ait pu injecter des centaines de millions de roupies dans une banque nouvellement constituée, occultant dans le processus des offres émanant d'autres établissements bancaires. À ce jour, il reste Rs 522 millions de l'argent du ministère bloqué au sein de la Silver Bank.
Irréfléchies ou pas, ces décisions prises par l'ancienne administration coûtent énormément aux finances publiques.