Brouiller les fondamentaux
Le Premier ministre et ministre des Finances, le Dr Navin Ramgoolam, est catégorique. L'ancien régime a légué une économie désastreuse et dilapidée, assortie de statistiques grossièrement maquillées et faussées pour projeter une image de prospérité économique loin des réalités quotidiennes.
L'héritage économique du tandem Jugnauth-Padayachy est revisité dans le rapport de The State of the Economy, fruit d'un audit du bureau du Premier ministre entrepris après l'installation du gouvernement de l'Alliance du changement, le 10 novembre, et rendu public hier après-midi. Ce rapport de 46 pages vient démolir les statistiques de croissance grossièrement exagérées pour mentir à la population en lui faisant croire qu'il y a un boom économique. Or, le Premier ministre maintient qu'il n'y a jamais eu de boom. Au contraire, dit-il, le pays a connu le contraire d'un boom et il est aujourd'hui clair que «this was a very dangerous political gimmick that eventually sealed the fate».
Une réévaluation des National Accounts par Statistics Mauritius montre ainsi une révision baissière des statistiques du Produit intérieur brut (PIB) en 2022 et, d'une manière plus prononcée, en 2023 et 2024. En conséquence, la valeur nominale du PIB l'année dernière a été réduite par au moins Rs 22 milliards, soit une baisse 1,4 % par rapport aux statistiques de 2024. Ce que Navin Ramgoolam juge énorme. La même tendance est observée pour 2024 où l'estimation de croissance nominale a été réduite de plus de Rs 36 milliards.
Le Premier ministre est convaincu que pour arriver à ces chiffres gonflés, la croissance du secteur de la construction aura été délibérément surestimée, soit 37,4 % et 38,3 % en 2023 et 2024 respectivement. La révision de Statistics Mauritius a donné pour la même période 21,3 % et 25 % respectivement.
Le rapport note qu'en septembre dernier, le taux de croissance a été estimé à 7 % alors que le taux réel de la croissance en 2023 est aujourd'hui estimé à 5,6 %. Pour l'année en cours, il est projeté à 5,1 % et non 6,5 % comme l'ex-ministre des Finances l'avait indiqué dans sa dernière conférence de presse. Parallèlement, les taux publiés en septembre 2022, 2023 et 2024 à 8,9 %, 7 % et 6,5 % respectivement ont été révisés à la baisse. Ils sont respectivement pour la même période à 8,7 %, 5,6 % et 5,1 %.
Parlant des finances publiques, Navin Ramgoolam soutient qu'elles n'ont jamais été aussi désastreuses et précaires qu'aujourd'hui. Le précédent gouvernement a littéralement fait exploser tout l'espace budgétaire du pays. «Il n'y a absolument aucune marge de manœuvre. C'est l'héritage du gouvernement précédent. Ils ont pratiqué une politique de terre brûlée. Les chiffres du déficit budgétaire et de la dette du secteur public ont été largement sous-estimés. Ils sont en fait bien plus élevés que ce que l'on faisait croire à la population.» En raison de ce déficit budgétaire, les recettes ont été surestimées de Rs 13,8 milliards en 2023-24 et de Rs 16,7 milliards en 2024-25.
Quant au déficit, il devrait être de 6,7 % du PIB en 2024-25 par rapport à l'objectif budgétaire de 3,4 %. Les besoins d'emprunt du gouvernement sont appelés à exploser.
La dépréciation de la roupie «accélérée» par la politique monétaire de la banque centrale
La politique monétaire adoptée par la Banque de Maurice (BoM) depuis quelques années est critiquée dans le rapport. Elle n'a pas été «en ligne avec les fondamentaux macroéconomiques et les tendances des taux d'intérêt dans d'autres pays, en particulier aux États-Unis». En raison de la politique de taux d'intérêt menée par le Monetary Policy Committee au cours des trois dernières années, «les taux d'intérêt sur les actifs financiers libellés en USD ont été nettement plus élevés que ceux des actifs financiers libellés en roupies», explique le document, qui ajoute que «cette situation a accéléré la dépréciation de la roupie et a, par conséquent, alimenté l'inflation à l'intérieur du pays».
Le rapport souligne que cette approche de la politique monétaire doit être «entièrement revue». Selon les données, entre fin décembre 2014 et fin novembre 2024, la roupie a perdu environ 46 % de sa valeur par rapport au dollar. Sur la période 2020-2024, la dépréciation annuelle moyenne a atteint 5,3 %, un chiffre bien au-delà de la norme historique. Historiquement, la roupie s'était dépréciée de moins de 2 % par an en moyenne, en cohérence avec les fondamentaux économiques.
Rapport : La MIC, une initiative risquée qui a affaibli la Banque de Maurice
«L'impression de monnaie par la Banque de Maurice pour financer la Mauritius Investment Corporation Ltd (MIC) a été un acte irresponsable qui a eu des effets néfastes sur le système monétaire, d'autant plus que le système bancaire était déjà saturé de liquidités excédentaires», souligne le rapport dans un segment dédié exclusivement à la MIC. Cette action, précise le rapport, «a contribué à accroître les pressions inflationnistes dans l'économie, à augmenter les liquidités excédentaires dans le système, ce qui aurait pu être extrêmement déstabilisant, et à exercer une pression supplémentaire sur le taux de change de la roupie». Cette entité, dont le seul actionnaire est la Banque de Maurice (BoM), a été créée en 2020 pour soutenir les entreprises qui nécessitaient une aide pour surmonter la crise du Covid-19.
Cependant, selon le rapport, la création de la MIC est intervenue alors que le bilan financier de la BoM était déjà affaibli par le transfert de Rs 73 milliards au gouvernement : Rs 18 milliards pour l'exercice 2019-20, afin de rembourser la dette extérieure, et Rs 55 milliards pour l'exercice 2020- 21, pour le soutien budgétaire. Les analyses des chiffres révèlent à quel point la création de la MIC a fragilisé la BoM. «La mise en place de la MIC, son financement par la création monétaire et certaines allocations spécifiques du portefeuille ont exposé la Banque de Maurice à un risque de crédit important et à des pertes potentielles dans son bilan», indique le rapport.
Le rapport précise également que toute dépréciation des investissements de la MIC ou toute perte dans ses opérations qui entraîne une réduction de son capital aura un impact négatif sur la rentabilité et le bilan de la BoM. Le rapport rappelle que la MIC est financée par la BoM, qui en reste le seul actionnaire, à travers un investissement en fonds propres de Rs 81 milliards. «Cependant, cet investissement en capital n'a pas impliqué l'utilisation des réserves officielles du pays. L'intégralité de l'investissement en fonds propres de Rs 81 milliards a été réalisée par la création monétaire par la Banque de Maurice. Cet investissement a été effectué en quatre tranches entre août 2020 et juin 2021. À ce jour, la MIC a approuvé des investissements d'un total de Rs 66,1 milliards, dont Rs 57,4 milliards ont été déboursés, y compris Rs 25 milliards pour Airport Holdings Ltd. La MIC dispose d'un solde de Rs 23,6 milliards», précise le rapport. Pour remédier à cette situation, la BoM mettra sur pied des solutions appropriées après un audit approfondi de la situation.
État précaire des compagnies : Air Mauritius déclarée «insolvable»
Air Mauritius est l'une des compagnies dont la situation est la plus préoccupante. Selon le rapport, elle aurait dû être considérée comme «insolvable» selon la Companies Act de 2001. Son déficit accumulé s'est aggravé depuis 2020, non seulement en raison de l'impact du Covid-19 sur le secteur de l'aviation mais aussi dû aux pertes de valeur liées à la vente d'avions. Selon le rapport, à la fin du mois au 30 juin 2024, Air Mauritius affichait un déficit accumulé de Rs 16,5 milliards (EUR 331,1 millions), qui a entraîné une negative shareholders' equity de Rs 10,4 milliards (EUR 208,8 millions). Pour redynamiser la compagnie, le rapport estime qu'il est nécessaire d'injecter du capital à travers Airport Holdings Ltd, qui détient la société.
Manque de fonds pour couvrir les coûts de la dette et les opérations de MEL
Le rapport met en évidence la situation financière extrêmement préoccupante de Metro Express Limited (MEL). La société a contracté un prêt de Rs 15,98 milliards dans le cadre de la ligne de crédit accordée par l'Inde. «Les paiements des intérêts sur ce prêt ont commencé au cours de l'exercice 2022-2023. Jusqu'en juin 2024, le gouvernement a octroyé à MEL un prêt total de Rs 1,1 milliard pour le paiement des intérêts et pour couvrir une partie de ses dépenses opérationnelles», indique le rapport. Toutefois, le remboursement annuel du capital, d'environ Rs 900 millions, débutera à partir de l'exercice 2026- 27. Le rapport indique qu'un montant total d'environ Rs 1,2 milliard sera requis chaque année pour le remboursement du capital et le paiement des intérêts du prêt. Des fonds supplémentaires devront aussi être prévus pour couvrir les coûts opérationnels de MEL. Selon le rapport, la société ne pourra pas assumer les frais de service de la dette tout en couvrant l'ensemble de ses dépenses opérationnelles.
Déficit de Rs 3,41 milliards du «price stabilisation account»
Au 13 novembre 2024, le déficit total du Price Stabilisation Account (PSA) s'élevait à Rs 3,41 milliards. En octobre 2023, l'ancien gouvernement, selon le rapport, a injecté Rs 250 millions dans le PSA pour baisser le prix de l'essence de Rs 72,10 le litre à Rs 69 le litre.