À la galerie Templon, à Paris, l'artiste sénégalais Omar Ba propose une exposition jusqu'au 21 décembre autour de Kaïdara, un conte initiatique peul transcrit par l'écrivain malien Amadou Hampâté Bâ. Une interprétation en 40 tableaux du mythe, qui invite les visiteurs à vivre le conte et s'initier à la sagesse peule.
Dès les premiers pas dans la galerie, les visiteurs se retrouvent emportés au pays des génies nains. La pièce est tapissée de bleu, le parquet grince sous les pas. Depuis son trône, Guéno, le dieu tout-puissant du panthéon peul, les observe.
« Toute la mise en scène a été choisi par Omar Ba, l'artiste sénégalais qui présente l'exposition », explique Anne-Claudie Coric, directrice de la galerie Templon. « L'exposition est vraiment un parcours où de la même façon que les personnages de Kaïdara vont voir des apparitions, et bien nous spectateurs, on voit aussi des apparitions. »
L'exposition illustre le récit initiatique peul Kaïdara, retranscrit par Amadou Hamapté Ba en 1968. Dans son poème allégorique en ver libre, trois hommes - Hammadi, Hamtoudo et Dembourou - se rendent au pays des génies-nains afin de rencontrer Kaïdara, le dieu de la connaissance et de la fortune.
Près de soixante ans après sa première publication, les éditions Diagne de Selliers proposent de redécouvrir ce conte à travers une nouvelle version illustrée du récit. Les illustrations réalisées par Omar Ba à cette occasion sont celles que l'on retrouve dans l'exposition de la galerie Templon. « D'un conte oral, on est passé à un poème rédigé par Hampaté Ba, puis à série de tableaux grâce à Omar Ba », résume Anne-Claudie Coric. Une exposition qui est le résultat de deux ans de travail du peintre sénégalais.
Un voyage initiatique en 40 tableaux
Tout au long de leur périple au sein du « mystérieux pays de Kaïdara », les voyageurs du conte et visiteurs de l'exposition rencontrent des apparitions mystérieuses : un scorpion, un coq, une chauve-souris... Ce sont les onze figures emblématiques. Des symboles qui apportent chacun leur lot de mystère et de symbolique. Le caméléon, qui est l'un des symboles préférés de l'artiste, apparaît sur deux tableaux différents, d'abord en bleu, élément central du tableau, puis en rose, entouré des personnages.
Pour Omar Ba, c'est l'un des exemples des leçons de vie enseignées dans le conte : « Il a la force de se métamorphosen fonction de son environnement et des obstacles qu'ils rencontrent. C'est sa façon de se protéger. C'est un enseignement de vie : l'humain a besoin de s'adapter à son environnement. On n'a pas besoin de le modifier pour exister, au contraire, il faut s'adapter à son milieu pour être en équilibre. »
Au coeur de l'exposition, accroché sur un mur rouge sang, l'Arbre, un tableau de quatre mètres de long sur plus de deux mètres de large. Hamtoudo et Dembourou sont pris entre les branches de l'arbre, recouvert d'or et entourés des symboles rencontrés sur leur chemin. Les mains levées, ils semblent demander la rédemption à Kaïdara, qui les regardent. Quant à Hammadi, il se prosterne derrière le dieu.
C'est le dénouement du récit : à l'issue de leur périple, les personnages du conte rencontrent Kaïdara qui leur offre de l'or en récompense. Hammadi décide de l'échanger contre plus de connaissances. Les deux autres, Hamtoudo et Dembourou, décident de l'utiliser pour acquérir richesse et pouvoir. Cette avidité sera punie par le dieu dans la suite du récit, seul Hammadi en ressortira vivant.
Mettre l'histoire peule sur le devant de la scène
Dans la galerie, la majorité des visiteurs ne connaissent pas le conte, comme Lucie et Samuel. « On est juste entré par curiosité, on a bien compris que ça racontait une histoire, mais ce n'est qu'à la fin, en parlant avec la dame de l'accueil que l'on a appris pour le conte », raconte Lucie, un peu gênée. C'est pourtant là tout l'objectif de la galerie Templon et du travail de l'artiste : faire vivre l'initiation mystérieuse aux visiteurs, y compris les non-initiés. « Sans même connaître l'histoire et tous ses rebondissements, on reconnaît les mêmes trois personnages, les mêmes symboliques et les titres donnent quelques indices », détaille encore Anne-Claudie Coric.
Pour l'artiste, c'est une « récompense » supplémentaire. Omar Ba a grandi au Sénégal, d'un père peul et d'une mère sérère. S'il a entendu raconter l'histoire dans son enfance, ce n'est qu'à travers ce projet qu'il a vraiment découvert le conte de Kaïdara. En plus de redécouvrir un pan de ses origines, le peintre voit dans ce projet « l'importance capitale de pouvoir redonner vie et reposer ces contes africains au-devant de la scène pour que les gens en parlent encore ».
En 1968, lorsque Amadou Hampaté Ba retranscrit le conte, c'est d'abord dans une version peule et française. L'écrivain a oeuvré toute sa vie à la préservation et à la diffusion du patrimoine littéraire et des traditions orales d'Afrique de l'Ouest. C'est dans le même esprit qu'Omar Ba a réalisé ses toiles, « parce que ce sont des contes qui renferment des choses que l'on vit au quotidien, que l'on soit en Afrique ou en Europe ».
Ainsi, jusqu'au 21 décembre, la galerie Templon propose de venir découvrir gratuitement ce conte et les symboles du pays des génies-nains, dont le « secret appartient à Kaïdara, le lointain, le bien proche Kaïdara ».