Afrique: Mort d'Hugo Sada, ancien rédacteur en chef à RFI et ancien haut fonctionnaire de la Francophonie

Hugo Sada, ancien journaliste à Jeune Afrique puis à RFI, est mort lundi 9 décembre, à l'âge de 74 ans. Initiateur du tout premier site Internet de RFI, cet expert de l'Afrique et des questions de défense a aussi travaillé auprès de deux ministres socialistes français de la Coopération. Il fut également un proche collaborateur de l'ancien secrétaire général de la Francophonie Abdou Diouf.

Hugo Sada a eu plusieurs vies professionnelles : journaliste, homme de cabinet, diplomate et enseignant. Mais c'est toujours avec le même engagement qu'il a exercé les nombreuses fonctions occupées au cours de sa carrière. Diplômé d'études supérieures de l'Université de Paris 1 à l'aube des années 1970, il se tourne vers le journalisme, sans perdre de vue sa passion pour les questions de stratégie et de défense. Entre 1976 et 1980, il est ainsi rédacteur en chef de l'hebdomadaire Défense et diplomatie. Il collabore aussi au Nouvel observateur et au quotidien Le Matin de Paris. En 1980, il devient rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire panafricain Jeune Afrique.

Mais arrive le mois de mai 1981 et l'élection du socialiste François Mitterrand à la présidence de la République en France. Affichant une volonté de rupture avec ses prédécesseurs de droite, le nouveau chef de l'État nomme Jean-Pierre Cot, ministre de la Coopération. Universitaire, socialiste lui aussi, il est attaché aux droits de l'Homme et à une réforme en profondeur des relations avec le continent africain. Et il a aussi eu pour étudiant un certain Hugo Sada qu'il appelle à ses côtés comme conseiller. L'aventure ne durera qu'un an. Le bouillonnant ministre, dont on disait qu'il se rendait en Afrique avec « sa déclaration des droits de l'Homme sous le bras », est sacrifié sur l'autel de la realpolitik africaine de François Mitterrand.

Du journalisme aux cabinets ministériels

Hugo Sada retourne à Jeune Afrique pour quelques années. Il continue parallèlement à enseigner, notamment à la Sorbonne, avant de rejoindre Radio France Internationale (RFI), en 1992. Il prend la tête de Média France intercontinents, l'agence de presse écrite de RFI qui fournit, à l'époque, des articles à toute la presse francophone d'Afrique. Surtout, lorsque internet devient accessible au grand public, Hugo Sada comprend vite que la Radio mondiale doit être au rendez-vous. Il convainc le PDG de la chaîne Jean-Paul Cluzel de lancer le site rfi.fr qui voit le jour en décembre 1996.

« C'était un moment où on ne percevait pas beaucoup les enjeux que cela pouvait représenter, internet », se remémorait Hugo Sada dans un entretien au site internet de RFI. « À vrai dire, l'argument principal pour convaincre la hiérarchie, c'était que les autres radios internationales, notamment la BBC, s'étaient déjà lancées ». « À l'époque, poursuivait Hugo, la direction nous avait dit : "faites vos preuves, mais on n'a pas d'argent ; bricolez avec les moyens du bord. Et après, on verra" ». Sous sa férule, une petite équipe de journalistes pionniers et de techniciens touche à tout vont petit à petit donner corps à un site d'information qui enverra bientôt ses premiers reporters « multimédias » sur le terrain.

En septembre 2000, il quitte une nouvelle fois les salles de rédaction pour occuper un poste de chargé de mission auprès du ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, Charles Josselin. Le gouvernement du socialiste Lionel Jospin, Premier ministre de Jacques Chirac depuis 1997, a entamé, alors, une réforme de la politique africaine de la France à laquelle Hugo Sada contribuera.

Auprès d'Abdou Diouf à la Francophonie

En mai 2002, Lionel Jospin est éliminé dès le premier tour de la présidentielle. Après un bref retour à RFI, Hugo Sada rejoint, début 2003, l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), dont l'ancien président sénégalais Abdou Diouf vient d'être désigné secrétaire général. « Lorsqu'il était au cabinet de Charles Josselin, Hugo avait suivi de près le dossier de la candidature d'Abdou Diouf qu'il avait rencontré à plusieurs reprises pendant cette période. Il lui avait fait une très bonne impression », confie Tidiane Dioh, ancien fonctionnaire de l'OIF et proche d'Abdou Diouf. C'est ainsi qu'il choisit Hugo Sada comme porte-parole, avant de le nommer quatre ans plus tard délégué à la Paix, aux droits de l'Homme et à la démocratie.

Fin 2012, il prend sa retraite de la Francophonie. Une retraite très active : deux ans plus tard, Abdou Diouf l'appelle à nouveau, cette fois pour l'aider à oeuvrer au rapprochement entre Patrice Talon, alors en exil, et le président de l'époque Thomas Boni Yayi. On connaît la suite : l'ancien opposant pourra rentrer dans son pays, se présenter librement à la présidentielle de 2016 et être élu chef de l'État, poste qu'il occupe à ce jour.

Enfin, Hugo Sada sera également aussi la cheville ouvrière du Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique, lancé à l'automne 2014, à l'initiative de la France et du Sénégal. Ce grand rendez-vous international réunissant des dirigeants et des experts sera l'occasion pour Hugo de continuer à oeuvrer une dernière fois dans des domaines où il excellait : la défense et la sécurité, et les relations entre la France et l'Afrique.

Réactions :

▶ Christophe Boisbouvier, journaliste à RFI et ancien responsable de la direction Afrique de RFI

« Je garde le souvenir d'un grand acteur de la Francophonie politique. Il était très attaché à la Déclaration de Bamako de novembre 2000, qui avait considéré que "francophonie et démocratie [étaient] indissociables" et s'était prononcé pour des sanctions en cas de "rupture de la démocratie" et de violations graves des droits de l'homme. Il me disait souvent : "N'oublie pas cette déclaration, relis-la, c'est important !" Je le soupçonne d'avoir joué un rôle personnel dans la rédaction de ce texte fondateur, aux côtés d'Abdou Diouf et d'Alpha Oumar Konaré. Sous les deux mandats à la tête de l'OIF d'Abdou Diouf - qui lui accordait une confiance totale, il s'est beaucoup investi en faveur d'élections transparentes en Afrique, grâce à des listes électorales fiables, notamment en Guinée. Hugo était aussi un homme de dialogue. Au plus fort de la crise entre l'ancien président béninois Thomas Boni Yayi et son opposant Patrice Talon, il a oeuvré à leur réconciliation, ce qui a permis la tenue d'une élection présidentielle transparente en 2016. Hugo était un grand artisan de la paix et de la démocratie en Afrique. »

▶Thierry Perret, ancien journaliste à RFI et ancien rédacteur en chef de Média France intercontinents (MFI)

« Hugo Sada fut journaliste autant que diplomate ou homme de cabinet ministériel, et cette double qualité fut précieuse à bien des occasions. On peut évoquer l'intelligence et la souplesse avec laquelle il "sauva" l'agence de presse MFI, menacée dans les années 1995, comme les autres services de coopération de RFI avec les médias africains. Il "vendit" à Jean-Paul Cluzel, alors PDG, l'idée que MFI pouvait constituer pour la radio mondiale la rédaction de l'internet alors naissant dans les médias français. Ceci tout en maintenant la fonction de coopération média avec l'Afrique, alors passée de mode, mais dont on ne cesse de voir à l'épreuve des événements récents qu'elle créait un lien précieux avec l'opinion en Afrique. À ses côtés et après lui, nous avons été quelques-uns à essayer de rendre plus pérenne le "sauvetage". Cette qualité, son réseau de contacts sans cesse agrandi, et son sens stratégique, lui ont permis de donner une dimension très importante au rôle des médias lorsqu'il a rejoint la Francophonie, devenant Directeur de la démocratie et des droits de l'homme à l'OIF, où il a fait en sorte que le soutien aux médias du Sud soit un pilier de l'action. Il a continué ensuite à s'occuper des sujets de défense, dont il était un spécialiste, avec la même acuité. Il faisait sans doute partie des intellectuels et praticiens, de plus en plus rares, capables de contribuer à donner une vision ou des idées à la politique africaine de la France. »

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