Des groupes armés islamistes sont responsables de meurtres de civils et d'incendies criminels
- Les forces armées maliennes, appuyées par le groupe Wagner soutenu par la Russie, et des groupes armés islamistes ont commis de graves abus contre les civils depuis le retrait de la mission de maintien de la paix de l'ONU il y a un an.
- L'échec des autorités maliennes à traduire en justice les membres des forces de sécurité, du groupe Wagner et des groupes armés islamistes pour les graves abus perpétrés a facilité la poursuite des atrocités.
- Le gouvernement malien devrait travailler avec la Commission nationale des droits de l'homme et l'Expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme au Mali, pour mettre en place un moyen fiable de surveiller et rendre compte des violations commises par les groupes armés et les forces de sécurité.
(Nairobi) - Les forces armées du Mali, appuyées par le groupe Wagner soutenu par la Russie, et des groupes armés islamistes ont commis de graves abus contre les civils depuis le retrait de la mission de maintien de la paix des Nations Unies, la MINUSMA, il y a un an, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le gouvernement malien devrait travailler avec la Commission nationale des droits de l'homme et l'Expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme pour mettre en place un moyen fiable de surveiller et rendre compte des violations commises par les groupes armés et les forces de sécurité.
Depuis mai 2024, les forces armées maliennes et le groupe Wagner ont délibérément tué au moins 32 civils, dont 7 lors d'une frappe de drone, en ont fait disparaître 4 autres et ont incendié au moins 100 maisons lors d'opérations militaires dans des villes et des villages du centre et du nord du Mali. Deux groupes armés islamistes, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda et l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), ont exécuté sommairement au moins 47 civils et déplacé des milliers de personnes depuis juin. Le GSIM a également incendié plus de 1 000 maisons et volé des milliers de têtes de bétail. Human Rights Watch a reçu des rapports crédibles concernant des centaines d'autres civils tués, mais en raison des difficultés à mener des recherches dans le centre et le nord du Mali, les chiffres fournis dans ce rapport sont prudents.
« L'armée malienne et le groupe Wagner, d'une part, et des groupes armés islamistes, d'autre part, ciblent les civils et leurs biens en violation du droit de la guerre », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Depuis que la MINUSMA a quitté le Mali il y a un an, il est extrêmement difficile d'obtenir des informations complètes sur les abus, et nous sommes profondément préoccupés par le fait que la situation est encore pire que ce qui a été rapporté. »
La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a achevé son retrait du pays le 31 décembre 2023 à la demande des autorités maliennes, ce qui a soulevé des inquiétudes quant à la protection des civils ainsi qu'à la surveillance et au signalement des violations commises par toutes les parties au conflit.
Entre juillet et octobre 2024, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 47 témoins et 11 autres sources informées sur les abus commis par l'armée malienne, le groupe Wagner et les groupes armés islamistes. Human Rights Watch a également analysé des images satellite montrant des maisons incendiées dans plusieurs villages, et a aussi vérifié et géolocalisé des photos et des vidéos publiées sur les réseaux sociaux ou envoyées directement à Human Rights Watch. Le 15 octobre, Human Rights Watch a écrit aux ministres de la Justice et de la Défense du Mali afin de leur faire part de ses conclusions et de leur poser des questions à ce sujet, mais n'a pas reçu de réponse.
Human Rights Watch a documenté les violations commises par les forces armées maliennes lors de neuf opérations anti-insurrectionnelles contre le GSIM depuis mai. Des témoins ont raconté que des soldats avaient commis des abus contre des communautés qu'ils accusaient de collaborer avec le GSIM. Une dizaine de témoins ont décrit l'implication de combattants du groupe Wagner, qui apporte son soutien au gouvernement malien depuis décembre 2021. La société de sécurité militaire a été rebaptisée « Africa Corps » à la suite du décès de son dirigeant, Evgueni Prigojine, en 2023, et après que le ministère russe de la Défense en a pris le contrôle direct.
« Notre région est sous la domination du GSIM, et nous devons traiter avec eux », a expliqué un homme de 30 ans de Ndorgollé, dans la région centrale de Ségou. « Ils nous donnent la permission de faire paître le bétail et de pêcher. C'est une question de survie, pas de collaboration. Mais quand vous traitez avec eux, vous devenez une cible [du gouvernement], même si vous n'êtes pas djihadiste. »
Human Rights Watch a documenté une frappe d'un drone militaire malien sur la ville de Tinzaouaten, dans la région de Kidal, en août, qui a tué sept civils, dont cinq enfants. « Mon fils a été blessé à la tête, un de ses yeux a été déchiqueté et il a perdu beaucoup de sang », a décrit le père d'un garçon de 14 ans. « À côté de lui, il y avait d'autres enfants morts et blessés. J'ai mis mon fils sur mes épaules et j'ai supplié un motocycliste de me conduire à l'hôpital, mais il est mort en chemin. » Human Rights Watch a précédemment documenté deux frappes indiscriminées de drones menées par l'armée malienne dans le centre du pays en février, qui ont tué au moins 14 civils, ainsi que d'autres violations graves commises par les forces de sécurité maliennes et les forces alliées du groupe Wagner, ainsi que par les groupes armés islamistes.
Depuis juin, le GSIM a incendié des maisons et volé du bétail dans la région de Bandiagara. Les combattants du GSIM ont attaqué plusieurs villages dans le secteur des districts de Doucombo et de Pignari Bana, mettant le feu à plus de 1 000 maisons, volant au moins 3 500 animaux et forçant des milliers d'habitants à fuir, d'après des témoignages. Des habitants ont indiqué que ces attaques étaient manifestement en représailles contre les communautés que le GSIM accusait de collaborer avec la milice Dan Na Ambassagou, une organisation de coordination de plusieurs groupes d'autodéfense créée en 2016 « pour protéger le pays dogon ». La milice a assuré la sécurité dans de nombreux villages de la région.
« Le GSIM a déclaré que les femmes devaient se couvrir de la tête aux pieds », a raconté un homme de 50 ans du village de Danibombo 1. « Nous avons dit 'Non,', et le GSIM a commencé à battre nos femmes. Alors, beaucoup ont rejoint ou soutenu Dan Na Ambassagou. À cause de cela, nos villages sont devenus la cible [du GSIM]. »
Human Rights Watch a également documenté une attaque de l'EIGS en août contre un camp de personnes déplacées dans la ville de Ménaka, dans la région de Ménaka, qui a tué sept civils. « Ils se sont mis à nous tirer dessus », a expliqué un homme de 42 ans. « Je me suis caché dans une tente.Je pouvais sentir les balles voler au-dessus de ma tête. »
Le 4 avril, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a prolongé d'un an le mandat de l'Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme au Mali. Bien qu'il s'agisse d'une étape importante pour maintenir une présence internationale d'observation des droits humains dans le pays, l'Expert ne dispose pas des ressources nécessaires pour établir des rapports approfondis, qui sont essentiels à la responsabilisation.
En vertu du droit international, il incombe au gouvernement malien de garantir la justice pour les crimes graves, mais les gouvernements successifs ont fait peu de progrès dans les enquêtes, et encore moins dans les poursuites, visant les responsables des nombreuses violations graves commises depuis le début du conflit armé au Mali en 2012.
Toutes les parties au conflit armé malien - les forces armées nationales, le groupe Wagner et autres milices alliées, ainsi que les groupes armés islamistes - sont soumises au droit international humanitaire, notamment à l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et au droit de la guerre coutumier. Les individus qui commettent des violations graves du droit de la guerre avec une intention criminelle - c'est-à-dire, intentionnellement ou imprudemment - peuvent faire l'objet de poursuites pour crimes de guerre. Les individus peuvent aussi être reconnus pénalement responsables lorsqu'ils soutiennent, facilitent, aident ou encouragent un crime de guerre. Le Mali est un État partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), qui a ouvert une enquête sur les crimes de guerre présumés commis dans le pays depuis 2012.
« Le fait que les autorités maliennes n'aient pas traduit en justice les membres des forces de sécurité, du groupe Wagner et des groupes armés islamistes pour les graves abus perpétrés a facilité la poursuite des atrocités », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Le gouvernement devrait travailler en étroite collaboration avec l'Expert indépendant de l'ONU pour mener rapidement des enquêtes et poursuivre de manière appropriée tous les responsables de graves abus. »
Pour lire des témoignages et d'autres détails sur ces abus, veuillez voir ci-dessous. Les noms des personnes avec lesquels Human Rights Watch s'est entretenu n'ont pas été divulgués pour garantir leur protection.
Conflit armé au Mali et départ de la MINUSMA
Depuis 2012, les gouvernements maliens successifs ont combattu le GSIM et l'EIGS. Les hostilités ont provoqué la mort de milliers de civils et le déplacement forcé de plus de 350 000 personnes.
Le départ de la MINUSMA en 2023 a accéléré la fin de l'accord de paix de 2015 entre le gouvernement malien et une coalition de groupes armés majoritairement touaregs du nord du Mali, que la MINUSMA avait pour mandat de mettre en oeuvre. Depuis que les autorités maliennes actuelles, qui ont pris le pouvoir lors d'un coup d'État en mai 2021, ont déclaré l'accord nul en janvier 2023, la sécurité dans le nord du Mali s'est détériorée. Les hostilités ont repris entre une alliance de groupes armés touaregs, la Coalition des mouvements de l'Azawad (CMA), et l'armée malienne aux côtés des combattants du groupe Wagner.
Depuis le retrait de la MINUSMA, l'armée malienne et des combattants du groupe Wagner qui leur sont alliés ont tué de plus en plus de civils lors d'opérations anti-insurrectionnelles. Selon l'organisation à but non lucratif Armed Conflict & Event Data (ACLED), qui compile les rapports des médias et des groupes non gouvernementaux sur les conflits, les rapports indiquent que l'armée malienne et des forces alliées ont mené 255 opérations ayant entraîné la mort d'environ 1 063 civils entre le 1er janvier et le 31 octobre, contre 216 opérations ayant entraîné la mort de 912 civils au cours de la même période en 2023.
L'ACLED a compilé les rapports de 129 frappes aériennes et de drones entre le 1er janvier et le 31 octobre 2024, contre 84 sur la même période en 2023. De plus, selon l'ACLED, entre le 1er janvier et le 31 octobre 2023, les groupes armés islamistes ont lancé 326 attaques entraînant la mort de 478 civils, contre 279 attaques et 344 civils tués au cours de la même période en 2024.
L'ACLED a également soutenu Human Rights Watch dans sa vérification de certains incidents et dans l'analyse de leur base de données d'événements.
Abus commis par l'armée malienne et le groupe Wagner
Région de Ségou
N'Dola, 2 mai
Le 2 mai, les forces maliennes ont mené une opération à N'Dola, un village contrôlé par le GSIM. Des habitants ont raconté que les soldats ont tué six hommes civils, âgés de 40 à 61 ans, et en ont arrêté huit autres. Les villageois ont dressé une liste avec les noms des victimes et des personnes arrêtées.
« Les soldats ont fait irruption dans le village à 3 heures du matin, en tirant des coups de feu », a déclaré une femme. « Mon mari a essayé de s'enfuir, mais il a été abattu devant la maison. J'ai regardé impuissante alors qu'ils ont mis son corps dans un sac et sont partis. »
Une autorité traditionnelle à N'Dola a confirmé le fait que les six hommes étaient des civils. Elle a ajouté que les huit hommes arrêtés ce jour-là ont été transférés vers un camp militaire à Modolo, situé à 20 kilomètres, avant d'être emmenés dans un camp de gendarmerie à Ségou. Ils ont ensuite été conduits à la prison centrale de Bamako, pour des chefs d'accusation liés au terrorisme.
L'autorité traditionnelle a précisé que le 9 mai, les soldats sont revenus à N'Dola et ont incendié des parties du village. Des images satellites prises le 25 mai montrent des dizaines de maisons brûlées dans la partie sud du village.Barikoro, 8 mai
Le 8 mai, les forces maliennes et le groupe Wagner ont tué deux hommes et un garçon à Barikoro, un village situé dans une zone contrôlée par le GSIM. Des témoins ont expliqué que les soldats venaient de la base militaire de Sokolo - à environ 30 kilomètres à l'ouest - et qu'ils étaient arrivés au village à bord de motos et d'une dizaine de véhicules militaires, y compris des engins blindés ; ils étaient à la recherche d'hommes de l'ethnie peule qu'ils accusaient de collaborer avec le GSIM.
Un mécanicien a raconté qu'il avait conseillé à un homme peul de 34 ans de quitter son garage lorsqu'il a entendu que « des soldats maliens et blancs » recherchaient des hommes peuls. Après le départ de l'homme, le mécanicien a entendu plusieurs coups de feu.
« J'ai trouvé le corps de mon cousin dans la zone ouest du village, touché par huit balles - au front, à la tête, au dos et aux jambes », a déclaré un proche de la victime. « À quelques mètres, nous avons trouvé les corps de deux hommes peuls également criblés de balles, alors nous avons creusé trois trous et les avons recouverts de sable. »
Dans un communiqué du 9 mai, le chef d'état-major de l'armée malienne a annoncé que le 8 mai, les forces maliennes avaient mené des opérations à Massabougou, Barikoro, Bassimoto, Maraba-Were et Dagabory, dans la région de Ségou, neutralisant « plusieurs terroristes » et saisissant des armes et des munitions. Mais des habitants et des proches ont indiqué à Human Rights Watch que les personnes tuées à Barikoro étaient toutes des civils.
Des proches et des témoins ont établi une liste avec les noms et l'âge des victimes, qui avaient 34, 25 et 16 ans.Ala, 9 août, et Dounkala, 16 août
Les forces maliennes et le groupe Wagner se sont rendus au village d'Ala le 9 août et au village de Dounkala, situé à cinq kilomètres d'Ala, le 16 août, dans une zone où le GSIM attaque régulièrement les forces de sécurité.
À Ala, les soldats ont appréhendé et fait disparaître de force deux hommes, dont un avait été blessé. À Dounkala, ils ont tué un homme et en ont fait disparaître deux autres de force.
D'après les récits des témoins, les soldats et les combattants de Wagner, portant tous des uniformes de l'armée malienne et des fusils d'assaut de type Kalachnikov, venaient d'une base militaire à Diabaly, située respectivement à 6 et 12 kilomètres de Dounkala et d'Ala. Ils ont déclaré que les hommes en uniforme sont passés de porte en porte et ont rassemblé tous les hommes devant la mosquée pour les interroger. Des témoins ont indiqué que les soldats ont ciblé ces villages parce qu'ils soupçonnaient les habitants de collaborer avec le GSIM.
« Ils m'ont demandé si les djihadistes collectaient la zakat [une taxe religieuse] », a déclaré un homme de 42 ans, originaire d'Ala. « J'ai répondu que oui. Ils m'ont demandé si ça nous plaisait, et j'ai dit que non, mais que nous n'avons pas le choix, nous avons peur parce qu'ils sont armés. »
« Les [combattants de] Wagner m'ont posé des questions sur les djihadistes : qui sont-ils, où vivent-ils, est-ce qu'ils viennent au village », a raconté un homme de 42 ans, originaire de Dounkala. « Ils ont interrogé tous les hommes et ont pris des photos de nous. »
Disparitions forcées à Ala
Un habitant âgé de 50 ans a expliqué que deux hommes étaient arrivés au village pendant l'opération militaire et avaient tenté de s'enfuir. « Alors, un [combattant de] Wagner a d'abord tiré en l'air pour les arrêter, avant de tirer une balle dans le pied d'un des deux hommes ... et de les attraper tous les deux. »
Human Rights Watch a obtenu les noms des deux hommes. Des témoins ont indiqué que leurs proches les ont cherchés en vain dans plusieurs bases militaires et postes de police de la région de Ségou. Les autorités n'ont pas révélé où ils se trouvaient.
Meurtre et disparitions forcées à Dounkala
Des témoins à Dounkala ont raconté que des dizaines de combattants de Wagner, accompagnés d'au moins trois soldats maliens, sont entrés dans le village à pied et ont tué un homme de 19 ans.
Un habitant a expliqué que, lors des interrogatoires devant la mosquée, il avait « entendu un coup de feu », puis avait appris plus tard qu'un homme avait été tué chez lui. « Sa mère m'a raconté que lorsque [les combattants de] Wagner lui a ordonné d'aller à la mosquée, il a refusé et les a traités de "kouffar" [mécréants] », a-t-il déclaré. « Alors, un [combattant de] Wagner l'a abattu. J'ai vu le corps avec une balle dans la poitrine. »
Les combattants de Wagner et les soldats maliens ont également arrêté deux hommes dont le sort demeure inconnu. « Les soldats leur ont bandé les yeux et sont partis avec eux en direction de Diabaly », a déclaré un témoin. « Nous ne savons pas où ils sont. Leurs familles ont peur de poser des questions, elles pensent qu'elles peuvent elles aussi être prises pour cible. »
Toulé, 15 août
Le 15 août, les forces maliennes et le groupe Wagner ont conduit une opération militaire dans le village de Toulé, tuant sept hommes et incendiant des dizaines de maisons. Des témoins ont déclaré que les hommes en uniforme, venus de Nampala à bord de dizaines de véhicules militaires, y compris des engins blindés, ont encerclé le village vers 15 heures et sont allés de porte en porte à la recherche d'hommes.
« Un soldat malien et deux [combattants de] Wagner sont venus chez moi et m'ont emmené à un endroit où ils avaient rassemblé toutes les femmes et tous les enfants », a relaté une femme âgée de 50 ans. « Ils ont mis le feu à toutes les maisons. Deux heures plus tard, ils nous ont dit de partir et d'aller à Nampala, situé à 15 kilomètres. »
Un fermier a indiqué qu'il s'était caché dans un canal d'irrigation dans son champ de riz et avait entendu « des gens crier et [vu] des flammes s'échapper du village.... [L]e lendemain, je suis retourné à Toulé et j'ai trouvé les corps de sept villageois, leurs mains ligotées derrière leurs dos, les yeux bandés et leurs gorges tranchées. Le village avait été incendié. »
Human Rights Watch a reçu une liste établie par des témoins avec les noms des sept victimes, tous des hommes âgés de 18 à 60 ans.
Kolima, 21 août
Le 21 août, les forces maliennes et le groupe Wagner ont mené une opération dans le village de Kolima, tuant quatre hommes. Des témoins ont indiqué que des hommes en uniforme sont allés de porte en porte et ont rassemblé tous les hommes devant la mosquée du village. « Alors que nous étions tous assis à la mosquée, nous avons entendu plusieurs coups de feu », a raconté un homme de 45 ans. « Les soldats ont dit qu'ils ont tiré sur des gens qui tentaient de fuir parce qu'ils sont suspects, et qu'il ne nous arrivera rien tant que nous restons calmes, mais que, si nous essayons de nous échapper, ils nous tueront. »
Un homme de 55 ans a expliqué que, lorsque les soldats sont partis, ils ont trouvé les corps de quatre villageois, dont le chef du village, son frère, son neveu et un autre homme. « Les corps étaient criblés de balles », a-t-il décrit. « Le chef du village avait reçu trois balles dans les épaules, les autres avaient été touchés à la tête et aux jambes. »
Human Rights Watch a reçu une liste dressée par des témoins avec les noms des quatre victimes, âgées de 28 à 65 ans.
Ndorgollé, 8 octobre
Des dizaines de soldats maliens et environ 10 combattants de Wagner ont conduit une opération dans le village de Ndorgollé le 8 octobre. D'après des témoins, l'armée exerçait des représailles contre la communauté supposée avoir collaboré avec le GSIM.
Des témoins ont expliqué que des soldats en uniforme sont arrivés à Ndorgollé depuis la base militaire de Nampala, située à 20 kilomètres, vers 8 heures du matin à bord de 23 véhicules militaires, dont au moins deux engins blindés, et ont encerclé le village. Les soldats ont tué deux hommes et en ont arrêté trois autres.
« Ils ont demandé à un homme plus âgé où était son fils », a raconté un éleveur de 28 ans. « Il a répondu qu'il ne savait pas. Alors un soldat lui a tiré une balle à bout portant dans la poitrine. Après cela, son fils est sorti et a été abattu d'une balle dans la tête. »
L'éleveur a ajouté que les soldats ont ensuite fait irruption dans le marché central du village et ont arrêté trois hommes. « Ils les ont emmenés en direction de Nampala », a indiqué un homme de 40 ans qui se trouvait au marché.
Human Rights Watch a reçu deux listes établies par des habitants de Ndorgollé et des proches des victimes avec les noms des deux hommes tués et des trois autres qui ont été arrêtés. Human Rights Watch s'est également entretenu avec une autorité traditionnelle à Nampala qui a déclaré que les 8 et 9 octobre, les forces maliennes et le groupe Wagner ont procédé à des recherches dans la région de Nampala, « tuant au moins deux hommes à Ndorgollé et arrêtant arbitrairement au moins 22 autres », y compris dans les villages de Ndorgollé, Sekere Tamba, Siguere Fangui, Toulé, Bertouma et Sikere Seyna.
Les médias internationaux ont également rapporté que des opérations militaires avaient lieu dans plusieurs villages du district de Nampala, y compris Ndorgollé, les 8 et 9 octobre, entraînant la mort de plusieurs civils.
Région de Mopti
Diyane, 12 juillet
Le 12 juillet, les forces maliennes et le groupe Wagner ont tué deux hommes à Diyane, un village contrôlé par le GSIM. D'après les témoignages, des dizaines de soldats maliens et de combattants de Wagner sont arrivés de la base militaire de Niafunké, située à environ 15 kilomètres de Diyane, à bord d'une trentaine de véhicules militaires, y compris des engins blindés.
Une femme de Diyane a expliqué que deux combattants de Wagner et un soldat malien sont venus chez elle et ont arrêté son mari, âgé de 45 ans, car « il n'était pas en mesure de prouver qu'il ne possédait pas de talkie-walkie », preuve d'une affiliation au GSIM. Elle a indiqué que les soldats ont bandé les yeux de son mari puis sont repartis avec lui. Plus tard, a-t-elle ajouté, « les villageois m'ont informée qu'il avait été tué aux côtés d'un autre homme ». Le frère de cette victime, âgé de 47 ans, a expliqué que, lorsque les soldats sont partis, il a trouvé le corps de son frère et un autre corps, tous deux « avec leurs gorges tranchées, dans une mare de sang ».
Région de Kidal
Tinzaouaten, 25 août
Le 25 août, les forces armées maliennes ont annoncé que leurs drones militaires ciblaient des combattants, des véhicules et des équipements de groupes armés dans la ville de Tinzaouaten. Le même jour, des rebelles séparatistes touaregs du groupe armé anciennement connu sous le nom de Cadre Stratégique Permanent (CSP) et rebaptisé Front de libération de l'Azawad (FLA) en novembre ont déclaré que les frappes avaient tué 21 civils, dont 11 enfants.
Des témoins ont indiqué que la première frappe de drone, vers 11 heures du matin, a touché des véhicules garés devant une pharmacie, tandis que la seconde, environ 10 minutes plus tard, au même endroit, a tué sept civils, dont cinq enfants âgés de 14 à 16 ans.
Un homme de 52 ans a perdu trois fils dans les frappes, dont deux étaient des enfants de moins de 16 ans. Il a raconté :
J'ai entendu les deux frappes, et la peur d'une troisième m'a empêché de me précipiter sur les lieux.... Alors, les corps de mes enfants sont restés là jusqu'au début de la soirée où j'ai pu enfin les voir, tous touchés par des éclats d'obus.... Nous les avons enterrés dans un seul trou sans enlever leurs vêtements, à seulement 900 mètres du lieu des frappes.
Human Rights Watch a examiné une liste établie par des proches avec les noms et les âges des victimes, et a géolocalisé quatre photos, deux envoyées par des proches à Human Rights Watch et deux mises en ligne montrant des corps, y compris d'enfants, sur le site des frappes.
Abus commis par les groupes armés islamistes
Région de Ménaka
Ménaka, 19 juillet
Le 19 juillet, l'EIGS a attaqué un camp accueillant environ 200 personnes déplacées de l'ethnie Dawsahak à la périphérie de la ville de Ménaka, tuant au moins sept hommes, dont quatre hommes âgés, et blessant deux femmes.
D'après les témoins, l'attaque a été menée manifestement en représailles contre le peuple Dawsahak, un groupe ethnique touareg que l'EIGS accuse de collaborer avec le GSIM. La milice Dawsahak, connue sous le nom de Mouvement pour le salut de l'Azawad (MSA-D), a été autrefois alliée au gouvernement malien à la suite d'un accord de paix conclu en 2015, que les autorités maliennes ont déclaré nul en janvier. La milice a mené des attaques contre l'EIGS dans le nord-est du Mali, parfois aux côtés du GSIM.
Une mère de neuf enfants, âgée de 50 ans, a expliqué :
Les assaillants sont entrés dans ma tente où j'étais assise avec mon mari.... L'un d'eux lui a tiré dessus à bout portant, à l'oreille droite, et la balle lui a traversé la tête en laissant un grand trou. Puis il a tiré une autre balle dans la poitrine de mon mari. Celui-ci est tombé sur le dos et est mort instantanément sous mes yeux.
Une femme de 18 ans a raconté :
Je me suis cachée dans une remise.... Les terroristes m'ont vue et ont tiré.... J'ai senti que quelque chose était entré dans mon dos, je l'ai touché, et mes mains étaient couvertes de sang. J'ai compris que c'était une balle, elle était ressortie du côté droit de ma poitrine. Je suis restée là jusqu'à ce qu'une ambulance vienne me chercher avec deux autres blessés pour nous conduire au centre de santé de Ménaka.
Des témoins ont indiqué que l'armée malienne et la milice Dawsahak sont intervenues pour repousser les combattants de l'EIGS, évacuer les blessés et enterrer les morts. « Les assaillants ont tiré pendant environ 20 minutes, puis l'armée et la milice sont arrivées en réponse », a expliqué un homme de 42 ans. « Si elles n'étaient pas intervenues, cela aurait été un carnage. »
Human Rights Watch a reçu une liste avec les noms des sept personnes tuées, tous des hommes âgés de 34 à 86 ans, dressée par des proches et des survivants.
Région de Bandiagara
Incendies criminels et meurtres dans les districts de Doucombo et de Pignari Bana, juin-novembre
Entre juin et novembre, le GSIM a attaqué au moins dix villages dans le secteur du district de Doucombo et au moins un dans le secteur du district de Pignari Bana, incendiant plus de 1 000 maisons et volant plus de 3 500 têtes de bétail selon des témoins.
D'après des témoignages, le 25 juin, des combattants du GSIM ont attaqué le village de Tégourou, brûlant au moins 10 maisons ; le 1er juillet, ils ont attaqué Djiguibombo, brûlant plusieurs maisons et le centre de santé local ; le 24 août, ils ont attaqué le village de Tilé et incendié plus de 500 maisons ; le 29 septembre, ils ont attaqué et brûlé au moins 450 maisons, dont au moins 150 à Pel Kanda et 100 dans les villages de Songo, Ndiombo et Antaba ; les 13 et 14 octobre, ils ont attaqué les villages de Danibombo 2 et Danibombo 1, respectivement, brûlant au moins 140 maisons dans les deux localités ; le 8 novembre, ils ont attaqué le village d'Allaye-Kokolo, incendiant au moins 75 maisons et 20 magasins.
Les combattants du GSIM ont également tué deux hommes à Tegourou, au moins dix personnes à Djiguibombo, un homme à Pel Kanda, quatre hommes et une femme à Songo, cinq hommes à Danibombo 2 et blessé six hommes à Danibombo 1. Ils ont aussi tué neuf hommes à Allaye-Kokolo le 8 novembre et sept autres hommes et un garçon dans le même village le 19 novembre.
Des témoins ont indiqué que ces attaques étaient manifestement en représailles contre les communautés que le GSIM accusait de collaborer avec la milice Dan Na Ambassagou.
Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux le 30 septembre, les combattants du GSIM ont revendiqué les attaques du 29 septembre à Pel Kanda, Songo, Ndiombo et Antaba.
Des témoins ont décrit un mode opératoire similaire pour les dix attaques, avec de nombreux combattants du GSIM, portant des foulards et armés de fusils d'assaut de type Kalachnikov, conduisant des motos et attaquant les villages, incendiant des maisons et tuant des habitants qui n'avaient pas fui.
Human Rights Watch a interrogé 20 habitants de ces 10 villages qui ont été témoins des incendies criminels du GSIM ou ont constaté les incendies lorsqu'ils sont rentrés chez eux.
Un homme de Tilé, âgé de 45 ans, a expliqué :
Lorsque l'attaque a commencé vers 17 heures, je me suis caché dans la brousse. Je suis revenu le lendemain pour évaluer les pertes. J'ai perdu 50 moutons, 60 chèvres et 2 ânes. Ma maison a été complètement brûlée. Les assaillants ont incendié plus de 500 maisons et volé 431 moutons, 678 chèvres et 364 vaches. Ils ont aussi brûlé 12 vélos et 6 motos.
Un homme de 39 ans de Songo a raconté :
J'ai vu les terroristes arriver avec beaucoup de motos. Ils tiraient et criaient « Allah Akbar ». Nous avons tous fui. Je suis allé à Bandiagara. J'ai alerté l'armée malienne et, le lendemain, avec une escorte militaire et cinq autres hommes, nous sommes retournés à Songo. C'était totalement brûlé, plus de 100 maisons et granges étaient parties en fumée. Un millier de vaches ont été prises ... 530 personnes de Songo ont été déplacées à Bamako et plus de 5 400 à Bandiagara.
Une comparaison des images satellites prises le 23 juin et le 27 juin fait apparaître de nouveaux signes d'incendie dans le village de Tégourou. Dans les villages de Pel Kanda, Songo, Ndiombo et Antaba, des signes d'incendie sont visibles sur les images prises le 4 octobre qui n'étaient pas visibles le 22 septembre.
Un homme d'Allaye-Kokolo a déclaré :
Le GSIM avait menacé le village via un message [texte] sur WhatsApp environ une semaine avant l'attaque. Le message disait que, si nous n'arrêtions pas notre collaboration avec la milice Dan Na Ambassagou, les combattants du GSIM viendraient nous trouver.... Le jour de l'attaque, j'ai vu les assaillants arriver et je me suis immédiatement enfui dans la brousse.... Quand je suis rentré au village, j'ai vu des dizaines de maisons et de magasins incendiés, ainsi que tout ce qui se trouvait à l'intérieur.
Human Rights Watch a analysé et géoréférencé une vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 9 novembre, filmée dans le village d'Allaye-Kokolo, situé sur la Route nationale 15 entre Mopti et Bandiagara. La vidéo montre des hommes armés, certains à moto, sur la route, alors que des bâtiments brûlent tout autour. On peut entendre un homme dire en fulfuldé : « Dieu est grand, Allaye-Kokolo brûle. » Les images satellites font état de signes d'incendie apparaissant dans le village entre le 7 et le 9 novembre. Des images satellites infrarouges de haute résolution du 19 novembre montrent l'incendie des bâtiments que l'on voit dans la vidéo. Le marché semble aussi complètement brûlé, et d'autres maisons à l'intérieur du village sont potentiellement aussi brulées.
Des témoins ont indiqué que des dizaines de combattants du GSIM ont attaqué Tégourou le 25 juin et tué deux hommes, âgés de 25 et 26 ans. Un témoin a déclaré que les victimes étaient ses amis : « J'ai vu leurs corps ; ils avaient tous deux été abattus d'une balle dans la tête. »
Des témoins à Djiguibombo ont raconté que les combattants du GSIM sont entrés à moto dans le village le 1er juillet, alors que les habitants célébraient un mariage, et ont ouvert le feu sur des villageois. « Ils ont crié "Allah Akbhar" et nous ont tiré dessus », a expliqué un agriculteur de 50 ans. « J'ai vu au moins 10 corps sur le sol. »
Human Rights Watch a reçu une liste établie par des témoins et des habitants avec les noms de 10 personnes tuées, tous des hommes âgés de 25 à 67 ans. Dans un communiqué du 3 juillet, le gouverneur de la région de Bandiagara a déclaré que le 1er juillet, des groupes armés ont attaqué les villages de Djiguibombo et Sokorokanda, tuant 21 personnes à Djiguibombo et pillant et incendiant son centre de santé.
Les médias internationaux et une organisation de la société civile malienne qui ont mentionné l'attaque ont également dénombré au moins 21 morts parmi les civils. Cependant, Human Rights Watch n'a pas été en mesure de confirmer ces informations.
Des témoins à Pel Kanda ont indiqué que les combattants du GSIM ont tué un agriculteur de 50 ans au cours de l'attaque. « Nous avons trouvé son corps dans les champs, gisant sur le dos », a précisé un homme de Pel Kanda. « Il avait été tué d'une balle dans la tête. »
Un couple âgé du village de Songo a été retrouvé brûlé vif dans sa maison. Leur fils de 45 ans a raconté qu'il était retourné à Songo le lendemain de l'attaque et avait trouvé les corps de ses parents carbonisés, « il ne restait que des squelettes ». Un autre homme de Songo a décrit qu'il avait trouvé les corps de trois hommes atteints de handicaps mentaux au centre du village, « les mains liées derrière le dos » et présentant des blessures par balle à la tête.
À Danibombo 2, des témoins ont expliqué que des combattants du GSIM avaient tué cinq hommes âgés de 18 à 60 ans. Ils ont précisé que quatre ont eu la gorge tranchée et qu'un a été tué par balle.
Un homme de 37 ans de Danibombo 2, qui a perdu un frère et deux oncles, a raconté :
Mes proches ont été massacrés. Nous avons trouvé leurs corps et ceux de deux autres personnes dans le village et ses environs. Les corps étaient dans un état de putréfaction avancé, donc nous n'avons pas pu les déplacer et nous les avons enterrés là où nous les avons trouvés.
Des témoins à Danibombo 1 ont décrit que six hommes, âgés de 34 à 65 ans, ont été blessés par balle alors qu'ils fuyaient le village au cours de l'attaque. « Nous les avons évacués vers l'hôpital de Bandiagara », a raconté un habitant. « L'un d'eux a reçu une balle dans la main gauche, un autre a eu une fracture du pied et les autres ont été blessés aux jambes et aux pieds. »
Des témoins ont expliqué que le GSIM a attaqué le village d'Allaye-Kokolo à deux reprises, le 8 novembre, tuant neuf hommes, et le 19 novembre, tuant sept hommes et un garçon.
Un homme de 35 ans, qui a été témoin de la première attaque, a raconté :
Quand ils sont venus [la première fois], j'étais dans ma boutique au marché avec un ami. Je les ai vus s'approcher à moto, et j'ai pensé que c'étaient des soldats, parce qu'ils portaient des uniformes militaires. Mais ensuite, ils se sont approchés davantage et ont commencé à tirer en criant « Allah Akbar ». Ils ont ouvert le feu sur moi et mon ami qui est tombé sur le coup.... J'ai couru, et ils m'ont pourchassé jusqu'à ce que je saute dans un fossé. Ils ont continué à tirer et à poursuivre d'autres personnes.
L'homme est revenu au village le lendemain, escorté par des soldats maliens. Il a expliqué qu'avec d'autres villageois, ils ont trouvé les corps de neuf hommes dispersés dans le village :
Le corps de mon ami était toujours devant la boutique, il avait une blessure par balle à la tête.... Nous avons ensuite récupéré trois corps au centre du village, trois autres à la sortie nord du village, et deux corps dans des maisons.... [T]ous avaient reçu des balles dans la tête, le dos et les épaules.... Nous les avons enterrés le même jour dans une fosse commune.
Un autre homme, qui a été témoin de la deuxième attaque, a raconté :
Dans la matinée du 19 novembre, avec un groupe d'environ 12 personnes, nous avons décidé de retourner au village pour récupérer certains de nos biens, mais nous avons été surpris par le GSIM. Dès qu'ils [les combattants] nous ont repérés, ils ont commencé à tirer. Certains d'entre nous ont réussi à s'échapper, mais d'autres ont été abattus. Je me suis caché dans la brousse et, quand nous avons eu la certitude que les assaillants étaient partis, vers 15 heures, nous sommes revenus pour récupérer les corps, que nous avons enterrés dans le village voisin de Kako.
Human Rights Watch a reçu deux listes, dressées par des habitants et des proches, avec les noms des 17 victimes, 16 hommes, âgés de 20 à 70 ans, et un garçon de 14 ans.