DOUALA — La 3e assemblée générale thématique de l'Association de distribution pharmaceutique africaine (ADPA) s'est récemment tenue à Douala, au Cameroun. Cette rencontre a permis aux participants de plancher sur la disponibilité et l'amélioration de la qualité de l'accès aux médicaments de qualité pour les populations.
"Vous remarquerez qu'il n'y a pas de pharmacies à l'intérieur des quartiers de nos villes parce qu'il n'y a pas de routes pour les approvisionner"Franck Nana, président de l'Ordre des pharmaciens du Cameroun
A cette occasion, le président de l'Ordre des pharmaciens du Cameroun, Franck Nana, a accordé une interview à SciDev.Net. Dans cet entretien, il s'exprime sur les difficultés d'accès aux médicaments de qualité en zones rurales et sur les mécanismes de contrôle locaux qui sont parfois poreux.
En ce qui concerne le Cameroun, comment s'organise la distribution des médicaments ?
La répartition des pharmacies est basée sur un arrêté de 2002 où il est écrit que c'est l'autorité de la santé, donc le ministre de la Santé publique, qui détermine, en fonction de la population dans un district et selon leur pouvoir d'achat, le nombre d'officines.
Mais la question est de savoir comment approvisionner de façon durable et quotidienne les officines et les formations sanitaires en produits pharmaceutique.
Aujourd'hui, nous essayons de travailler pour que tous nos 70 distributeurs essaient d'avoir un matériel roulant suffisant afin de pouvoir desservir le Cameroun en moins de 48 heures, peu importe la zone où la formation sanitaire se trouve.
Et quel est le problème à ce niveau ?
Le véritable fléau, ce sont les routes. La preuve, vous remarquerez qu'il n'y a pas de pharmacies à l'intérieur des quartiers de nos villes parce qu'il n'y a pas de routes pour les approvisionner. Si on avait des routes, on n'aurait pas autant de problèmes pour distribuer les médicaments dans l'arrière-pays.
Nous travaillons en ce moment afin de trouver des solutions. Il y a par exemple un distributeur qui a mis en place des box où il peut livrer des pharmacies de nuit quand celles-ci sont fermées. Car, en plus de l'état des routes, il y a aussi les embouteillages qui font en sorte que les produits n'arrivent pas à temps dans certaines pharmacies.
Est-ce qu'en mettant les médicaments dans les box, cela ne va pas altérer leur qualité ?
Il ne s'agit pas d'un kiosque, mais d'un box bien équipé. Pour livrer dans une pharmacie à Yassa dans la périphérie est de Douala en journée partant d'Akwa au centre-ville, la voiture met plusieurs heures alors que, si c'est dans la nuit, elle mettra 30 minutes au plus.
Comme nous ne pouvons pas construire les routes, nous allons simplement trouver des voies et des moyens pour contourner ces difficultés-là. Par exemple utiliser les nouvelles technologies comme les drones pour livrer les produits.
Est-ce qu'il y a un système de commande pour contourner la boue et le piteux état des routes dans les zones rurales ? Même si, pour un début, on peut juste s'appesantir sur les produits urgents comme des produits sanguins, des vaccins, etc. on y travaille.
Au sujet du système de contrôle, il arrive qu'un médicament entre et soit distribué sur le territoire national. Puis, quelques temps après, l'autorité sanitaire demande son retrait du marché ? Comment cela s'explique-t-il ?
Quand on produit un médicament, il y a en interne un laboratoire de contrôle et en externe, le contrôle de l'autorité qui envoie des organismes effectuer ce travail. Avant de distribuer le médicament, il faut avoir une autorisation de mise sur le marché que le laboratoire demande à l'État.
Quand la demande est faite, l'État utilise le laboratoire national de contrôle de qualité des médicaments et d'expertise (LANACOME) pour contrôler les produits qui vont être vendus. C'est après ce dernier contrôle que le produit peut être mis sur le marché. Mais il faut savoir que l'autorisation de mise sur le marché est comme la carte nationale d'identité.
Et quand le produit est déjà sur le marché, l'organisme public doit revenir faire des prélèvements du produit parce que le lot pour lequel la demande a été faite est très souvent différent du lot qu'on commercialise.
C'est en vérifiant qu'on peut tomber sur un lot qui n'est pas bon. Ce contrôle post marketing doit être permanent et aléatoire. C'est à ce niveau qu'on peut détecter un lot qui ne doit pas être sur le marché.
En fin d'année dernière, l'Agence de sécurité du médicament en France a déconseillé le recours à certains médicaments contre le rhume et la grippe. Cette décision n'a-t-elle pas interpellé l'Ordre des pharmaciens ?
En ce qui concerne ce cas, nous avons refusé d'être suivistes. Ce qu'il faut se demander, c'est pourquoi c'est seulement en France que le produit a été retiré et pas en Espagne ou en Allemagne. Posons-nous de bonnes questions et sachons que ce sont les Big Pharma de France qui combattent d'autres laboratoires d'autres pays.
En Europe, on a une agence du médicament qui n'a pas retiré ce produit, sauf la France. On sait bien ce qui se passe et on peut dire que ce que la France dit n'est pas juste. C'est parce que les Asiatiques leur ont damé le pion sur ce couloir. C'est une affaire de concurrence et de business.
Certains patients croient percevoir une certaine différence entre les médicaments distribués en occident et en Afrique. Comment expliquer cela alors qu'on milite pour un accès équitable aux médicaments partout ?
Effectivement, s'il y a une différence entre les médicaments fabriqués chez nous et ceux fabriqués en Europe. C'est à cause de ce qu'on appelle les excipients.
Quand on fabrique par exemple du paracétamol 500, tout ce que vous voyez n'est pas du paracétamol. C'est par exemple de l'amidon de maïs ou de blé qu'on appelle excipients. Le principe actif ne représente qu'un dixième de la poudre qui constitue le comprimé.
Quand le médicament tombe dans le domaine public, le prix doit baisser. Le fabricant a le droit, de changer les excipients. Et ce changement peut avoir un effet sur la qualité du médicament. C'est ce qui fait que le médicament agisse plus vite ou pas.
Quand l'excipient change, le prix baisse et l'efficacité aussi. Donc le paracétamol qui coûte 100 FCFA en Afrique et celui qui coûte 1000 FCFA en Europe n'auront pas les mêmes effets. C'est une logique simple.
Mais n'existe-t-il pas de solutions locales à ces différences-là ?
On est justement en train de travailler sur l'industrialisation du secteur pharmaceutique au Cameroun. L'État a lancé le processus, mais nous sommes aussi à pied d'oeuvre pour l'implémentation de ce projet. En juin 2025, nous organisons une rencontre sur l'utilisation des plantes dans la fabrication des médicaments localement.