Dans cet entretien, Naoufal Bouamri, avocat au barreau de Tétouan et vice-président de l'Organisation marocaine des droits humains (OMDH), revient sur les nouveautés de la loi relative aux peines alternatives, assurant que grâce à celle-ci on passe d'une peine purement dissuasive à une sanction réparatrice et réhabilitative intégrant l'approche humanitaire.
Libé : Quelle est, selon vous, l'importance d'adopter des peines alternatives dans la redéfinition de la politique pénale marocaine ? Et comment, au sein de l'Organisation marocaine des droits humains (OMDH), avez-vous abordé cette question ?
L'un des problèmes dont souffre le Maroc est la surpopulation carcérale, qui a atteint des niveaux inédits, comme en témoignent les chiffres communiqués par la Délégation générale de l'Administration pénitentiaire et de la réinsertion (DGAPR), qui a tiré la sonnette d'alarme en affirmant que le nombre des détenus a dépassé les 100.000 pour une capacité ne dépassant pas les 64.600. Les rapports des organisations des droits de l'Homme dont l'OMDH ont, à maintes reprises, exprimé leurs préoccupations face à la surpopulation carcérale et l'incapacité des prisons marocaines à accueillir ce nombre croissant de détenus.
La présidence du ministère public a tenté de remédier à cette situation chaotique par le biais de circulaires adressées aux différentes juridictions du Royaume afin de rationaliser la détention préventive. Cependant, le nombre de détenus et de personnes en détention préventive n'a pas été réduit compte tenu de l'existence d'un Code pénal qui limite la marge de manœuvre des personnes qui veillent à l'application de la loi comme le ministère public et les juges...
Dans ce contexte, il a été envisagé d'adopter une nouvelle législation relative aux peines alternatives au lieu de celles privatives de liberté, car on pensait que la réforme pénale tarderait à voir le jour en raison des débats sociétaux à propos de certains délits liés aux libertés individuelles. Il faut souligner que la loi relative aux peines alternatives a fait l'objet d'un vif débat au sein de la société.
L'OMDH était à l'avant-garde de ce chantier de réforme en lançant un débat avec la DGAPR ou à travers ses communiqués et mémorandums dans lesquels elle a présenté sa vision en ce qui concerne la simplification des procédures juridiques pour bénéficier des peines alternatives prévues dans ce texte.
Elle a également mis en garde contre ce qu'on appelle « l'achat de la peine », car il y a des craintes fort légitimes de tomber dans une sorte de discrimination financière, ce qui bafouerait le principe d'égalité entre les bénéficiaires des dispositions de cette loi. Il y a eu également des remarques sur les délits concernés par ces nouvelles peines. On a remédié à ces points de manière à préserver l'esprit et la finalité de ce texte juridique, en créant un équilibre qui tient compte des différentes parties au litige.
La réduction de la surpopulation carcérale, qui a atteint des niveaux record est-elle la raison qui a poussé le législateur à adopter les peines alternatives ? Ou bien cela est lié à un changement de la conception de la peine et de son rôle dans la réforme et la réhabilitation ?
Il semble que deux facteurs aient poussé le législateur à l'élaboration d'une loi spécifique relative aux peines alternatives : la surpopulation dans les prisons et le changement de la vision du législateur dans le cadre de la nouvelle politique pénale. Un changement qui concerne le concept de «peine» en lui-même, car on passe d'une peine purement dissuasive à une sanction réparatrice et réhabilitative intégrant l'approche humanitaire dans le droit pour réduire le taux de criminalité, d'autant plus que les peines privatives de liberté se sont révélées incapables à elles seules d'avoir un effet dissuasif. En effet, ces peines n'ont pas permis la diminution du taux de criminalité ni de récidive.
Par conséquent, les peines alternatives visent avant tout à humaniser les peines et à créer une alternative à la privation de liberté en faveur de l'exercice du travail d'intérêt général.
Selon vous, comment assurer la mise en oeuvre optimale des dispositions de cette loi? Quels sont les problèmes d'ordre juridique ou autre qui peuvent surgir lors de son application ?
Nous sommes encore à la première étape de mise en oeuvre de cette loi. Il se peut donc qu'il y ait une certaine confusion au début, d'autant que de nombreux textes nécessitent l'intervention de plusieurs institutions, qu'elles soient judiciaires, sociales ou professionnelles. Je pense que nous avons besoin d'un guide destiné aux hommes et aux femmes qui veillent à l'application de la loi, ainsi qu'aux détenus pour les sensibiliser quant à leurs droits.
Comment pouvons-nous garantir l'équité dans l'application de ces peines afin qu'elles ne s'écartent pas des objectifs pour lesquels elles ont été mises en place et garantir qu'elles ne soient pas exploitées ?
Le consentement du détenu est-il nécessaire pour appliquer ces sanctions ? Ou bien les autorités judiciaires peuvent-elles imposer ces sanctions même sans son consentement ?
Nous devons ici distinguer entre deux niveaux. Le premier concerne l'étape d'enquête, c'est-à-dire celle précédant la décision du tribunal et durant laquelle le ministère public peut renoncer à la détention préventive et adopter l'une des mesures stipulées dans le Code de la procédure pénale ou dans la loi relative aux peines alternatives. Si l'on s'engage dans cette voie, nous assisterons à une baisse du nombre de décisions prises par le ministère public concernant la mise en dépôt ou la poursuite des délinquants en état d'arrestation.
Le second est lié à la peine elle-même. Ici, il faut souligner que l'adoption de cette loi et sa mise en oeuvre peuvent être entravées par l'absence de réforme du Code pénal qui définit la nature des crimes, la notion de peine, et précise les peines pour divers délits. Ainsi, le retard dans l'adoption d'un nouveau Code pénal inspiré de l'esprit du texte de la loi relative aux peines alternatives ne peut pas conduire à la mise en oeuvre optimale de ce texte.
Outre que les personnes poursuivies ne peuvent en tirer profit, d'autant plus que les juges rendent leurs jugements en vertu des dispositions du Code pénal qui date de l'année 1962, et qui, dans sa forme et son esprit actuels est très « archaïque » par rapport à la loi relative aux peines alternatives.
Quelles sont les expériences internationales réussies les plus marquantes en matière d'application de peines alternatives au lieu de celles privatives de liberté ?
Il existe plusieurs expériences internationales en ce qui concerne l'application des peines alternatives notamment celle de la Norvège dont les peines alternatives axées sur la réhabilitation et la justice réparatrice ont contribué à atteindre des taux de récidive parmi les plus bas du monde.
Certes on peut s'inspirer de ces expériences réussies, mais je crois que nous avons dépassé cette phase avec l'adoption de la loi, de sorte que nous allons maintenant passer à une autre étape d'une importance cruciale, celle de sa mise en oeuvre. Cela nécessite de toute évidence un véritable effort juridique et une synergie entre les différentes institutions pour garantir le succès de cette expérience qui augure d'une nouvelle ère de la politique pénale dans notre pays.