À Madagascar, les établissements pénitentiaires enregistrent de sombres records, avec une surpopulation carcérale dépassant les 250 % et un taux de malnutrition sévère de plus de 18 %. Le cas le plus emblématique est sans doute celui de la prison centrale d'Antanimora à Antananarivo qui compte cinq fois plus de détenus que sa capacité initiale. À l'occasion de la journée des droits de l'Homme, des activités y ont été organisées par un mécène privé toute la semaine : tournois de foot, de basket, concours de talents, distribution de repas. Récit de l'émouvante la finale du concours de chant masculin.
D'ordinaire, dans le quartier D, le plus surpeuplé, tout n'est que misère et déchéance. La faim tenaille les prisonniers, les conditions d'hygiène y sont déplorables. À cela s'ajoute en ce moment une épidémie de gale difficile à éradiquer tant l'eau, le savon et les médicaments manquent cruellement.
Alors, quand les six finalistes du concours se mettent à chanter, les sourires émergent sur les visages. Le jury, composé de stars nationales - dont Eusébia et Pela Queen -, sacre finalement un jeune homme de 28 ans, condamné à sept ans de prison et qui attend son pourvoi en cassation. Heureux d'avoir gagné du riz, un canard et l'admiration de ses codétenus, il remercie les organisateurs du concours pour la bouffée d'air frais, et la visibilité donnée à la vie carcérale. « J'implore qu'on nous regarde, qu'on pense à nous, les prisonniers, parce qu'on n'est pas tous méchants, lance-t-il. On souffre dans ce lieu. Ma famille est à l'autre bout du pays, je suis seul, personne ne peut faire le suivi de mon dossier ici. Ce qui m'importe le plus, c'est de sortir d'ici au plus vite. Parce que je veux montrer mon talent et mon travail, que Dieu m'a donné, au monde entier ».
À ses côtés, un autre prisonnier en profite pour supplier « le gouvernement de s'intéresser aux maladies transmissibles et contagieuses » qui sévissent dans la prison. Dans le quartier D, un seul robinet fournit l'eau pour les 1 500 détenus. Berthin Ramamonjisoa, inspecteur en chef de l'administration pénitentiaire, directeur régional de l'administration pénitentiaire en Analamanga, reconnait des besoins prioritaires - plus d'espace, plus de surveillants, plus de soignants -, que l'administration peine à combler.
« Ce que je souhaite, c'est la collaboration tous azimuts, avec tous ceux qui ont des idées et aussi d'aider, non seulement l'administration, mais surtout ces personnes privées de leurs droits, pour qu'elles puissent être capables, le jour où cela arrive, de retourner vivre en société », affirme-t-il.
En attendant leur retour en société, les détenus ont pu, le temps d'une journée, savourer la musique et fredonner des airs au gout de liberté. Les activités prendront fin ce 13 décembre, au quartier des femmes.
«Ces personnes ne sont pas des animaux, ce sont des hommes, donc il faut les respecter» Pierre Lachaud est un entrepreneur qui a su tirer son épingle du jeu en France. Très impliqué au sein du milieu carcéral dans son pays, cet amoureux de Madagascar a décidé de consacrer une partie de son temps et de son argent aux détenus malgaches, qui « d'une manière générale », souligne-t-il, « intéressent moins les bienfaiteurs que les petits écoliers ». Fervent défenseur de l'éducation dans les prisons et du droit à la reconstruction, il est à l'initiative des différentes activités récréatives et nutritives offertes aux 5 000 prisonniers de la prison d'Antanimora ces derniers jours.
« Mon objectif, c'est montrer, à l'occasion de cette journée des Droits de l'homme, que ces personnes ne sont pas des animaux, explique-t-il au micro de Sarah Tétaud. Ce sont des hommes. Donc, il faut les respecter. C'est le message que je veux leur faire passer ».
Interroger sur un message à faire passer également aux autorités, Pierre Lachaud poursuit : « Errare humanum est, c'est du latin. "L'erreur est humaine". Ils ont commis une erreur ou peut-être pas. Il faut voir la prison, certes comme une punition, mais aussi il faut la voir comme un outil de réinsertion. Et c'est ce que je veux vraiment leur faire comprendre. Il y a des jeunes, des très jeunes et des moins jeunes. »
L'entrepreneur souligne : « Les attentes de procès à Madagascar, c'est très long. Cela peut être quatre ans, cela peut être cinq ans. Les gens peuvent ressortir du jour au lendemain en étant déclarés innocents tout en ayant passé cinq ans de leur vie derrière les barbelés. Le système à Madagascar est fait comme cela. On est dans l'une des plus grandes prisons d'Afrique. Il y a 5 000 détenus ici. Ils sont enfermés dans des cellules d'une superficie de 60 m², où ils se trouvent à 100 pour dormir. On est obligé de se réveiller toutes les heures pour ne pas s'étouffer, pour les faire tourner. Les gardiens doivent regarder au réveil s'ils ne sont pas morts. Il y a un taux de mortalité qui est énorme. Il y a des maladies. Pour se nourrir, ils n'ont droit qu'à une feuille de manioc séchée par jour. Je veux que ce soit une journée qui les marque. Ah, ce n'est pas une goutte d'eau dans l'univers carcéral, c'est une goutte d'eau sur toute la planète. Peut-être que certains en prendront une petite lichette... C'est ce que je veux. »